Le Pape 'a braccio', et les jeunes acteurs

Le Corriere della Sera analyse la mise en scène médiatique de Loreto.
Ceux qui ont pu suivre le direct sur KTO ou sur Raiuno savent de quoi je parle. Les autres pourront sans peine l'imaginer.

Eclairage savoureux et inattendu sur cette "leçon" de communication donnée par Benoît XVI, et dont nos hommes politiques pourraient assurément s'inspirer.

Article de Aldo Grasso, ma traduction (source: Le blog de Raffaella)
---------------------------
Sur le thème, voir ici: Le Saint-Père à Loreto

Article du Corriere della Sera

I giovani sul palco e il Papa a braccio
Les jeunes sur la scène et le Pape 'a braccio'
Aldo Grasso

Les rencontres du Pape avec les jeunes sont toujours un évènement médiatique, compte tenu de l'inévitable présence des caméras. Le meeting de Loreto lui-même, où le Saint Père a été accueilli par 400 mille jeunes, s'est vite imposé par sa force communicative et charismatique : la fête, les chants, les applaudissements à rallonge, les cris, l'imposant appareil scénographique, le passage du Pape entre les divers secteurs avec la "papamobile", l'Avé Marie chanté par Andrea Bocelli, tout a servi à la télévision pour mettre en forme un récit de grande intensité, pour s'imposer comme chronique et en même temps exercice rituel, pour cueillir l'instant où, grâce surtout à la présence du Pape, un moyen de communication tente de rendre son intervention mémorable.
Du reste la télé, cela a souvent été dit, est la nouvelle agorà, une grande place virtuelle sans barrières (et L"Agorà des jeunes" était le titre de la grande veillée de Loreto), le lieu idéal et universel pour "une soirée spéciale riche de prières et de chants", selon les propres mots de Benoît XVI. Et il en a été ainsi.

Là où il y a la télé, il faut bien compter avec la télé, malgré que la rencontre fût consacrée à la foi, et servît à alimenter l'enthousiasme des jeunes et des comunnautés chrétiennes. Il n'y a donc pas à s'étonner si un aspect nouveau a frappé le spectateur, un aspect apparemment marginal, presque insignifiant. Mais sur la scène médiatique rien de ce qui apparaît n'est dénué de signification.
Les jeunes qui ont lu les morceaux étaient tous très beaux, comme sortis d'un casting : les garçons avec les cheveux savamment décoiffés, la barbe à peine faite, le vêtement décontracté choisi avec beaucoup de soin, les filles blondes avec les yeux bleus, le vêtement servant juste à couvrir et découvrir les endroits appropriés. Des jeunes à la mode. En somme, pour la première fois a disparu cette vieille tradition oratoriale qu'il veut que les jeunes croyants soient peu attirés par le soin du corps et le souci vestimentaire. Pour la première fois les jeunes qui s'exprimaient devant le Pape semblaient avoir (ou voulaient avoir) confiance en la télévision.
J'imagine que les organisateurs n'auraient pas eu de mal à trouver parmi les présents ces nouveaux "speaker", qui cependant en réalité étaient des acteurs qui ont lu les témoignages de la soirée comme s'il s'agissait d'une tragédie grecque en accentuant l'aspect thêatral.
Et il n'est pas difficile d'apercevoir ici la longue main de Bibi Ballandi, grand organisateur d'évènements tv (même de celui-là), directeur de l'ombre de Raiuno, manager d'artistes comme Fiorello, Celentano, Morandi mais aussi de Lucio De, Claudio Baglioni et du groupe rock des "Vibrations" présents à Loreto.
Pour qui a suivi le long direct de Raiuno, le détail du nouveau look de Loreto s'est mis en évidence par un singulier contraste. Pendant que les jeunes s'appliquaient et semblaient "réciter" - ils lisaient de toute façon quelque chose de préparé - Benoît XVI répondait "a braccio", nullement préoccupé de la forme et des formes. Et comme les thèmes qu'il a abordés, de l'encouragement à ne jamais cesser de rêver, à l'avertissement contre l'amour "kleenex", étaient extrêmement intéressants et profonds, le plus jeune, le plus informel, le plus décontracté, semblait vraiment lui.
Et ceci est une belle leçon dont il faudra tenir compte.

-----------
Dans le même ordre d'idée, le site Petrus signe un article plus sévère pour cette soirée. Je ne suis pas sûre (???) d'y souscrire à 100%, et je demande par avance pardon au Saint-Père si je déforme ses intentions: je le vénère trop pour accepter l'idée qu'on puisse le traiter de façon désinvolte. Même si -c'est le plus probable- il s'en soucie peu, car bien sûr, il a magnifiquement fait passer son message.
Mais hier, cela faisait beaucoup. Les mega raduni auxquels il doit se soumettre pour "garder le contact" avec la nouvelle génération me blessent pour lui, car je ne suis pas sûre de n'y trouver que de la bonté de la part de ceux qui se chargent de l'organisation.

L'article de Petrus

Loreto impagliato
Pietro Siffi

Lorsqu'on reçoit chez soi un hôte de marque, on prépare la pièce la plus belle, on l'orne, on la décore des marques de la fête ; on se présente avec les vêtements que la circonstance exige ; on honore l'hôte en lui offrant la meilleure place ; pour l'accompagner on évite de lui tourner le dos et si on lui offre un concert, on veille à choisir un répertoire qui convienne à son goût. Ce sont des concepts fondamentaux de bonne éducation et de civilisation, qui ont cours du Quirinale (ndr: résidence du président de la République italienne) jusqu'à la famille modeste de province.
Je regarde, perplexe, les images de Loreto transmises par la télévision : on a monté une scène hyper- moderne, plus adaptée à une représentation du "Scissor Sisters" qu'à une rencontre de prière ; le Saint Père est assis sur un siège de bois dénudé; les jeunes qui lui apportent le livre des prières et le micro sont en T-shirts, tout comme ceux qui se succèdent pour lui parler ; les membres de l'orchestre sont assis tout près du Pape, au même niveau de la loge, et ils lui tournent le dos, le masquant presque à la vue de l'assistance. ...
Que les miaulements [de la musique] indisposent la Sainteté de Notre Seigneur est sans importance: il faut montrer que les jeunes sont bien ainsi, les garçons avec les cheveux enduits de gel ... les filles avec le maquillage et la voix sucrée de starlettes. Et puis la procession devant le micro de gens qui pleurnichent sur leurs mésaventures.
... Pourtant il suffisait de peu de choses pour ne pas "embêter" Benoît XVI : nous sommes en septembre et une cravate ne tue personne. Ce petit orchestre de café chantant (en français dans le texte, ndt) pouvait facilement jouer quelque chose de moins minable, de plus ambitieux, de plus conforme à un évènement qui devrait être sacré et pas profane.
..
Un sobre baldaquin avec l'un de ces trônes dont sont remplis les Musées diocesains et les Cathédrales aurait peut-être coûté moins cher que ce catafalque de concert rock. Mais non : nous sommes avec les jeunes et alors le laisser-aller s'impose. Jeunesse oblige. En avant avec des chapeaux cowboys et des visages peints comme les "natifs" d'Amérique. Il y a quelque chose de faux et de frelaté dans les expressions de ces jeunes poseurs : ils me rappellent les simagrées de certains petits-enfants qui cherchent à se faire bien voir par le grand-père âgé, dans le seul but d'avoir une récompense plus substantielle. C'est une succession de chants à la Moriccone avec des entractes de fêtes paroissiales, où la Sainte Écriture est employée comme un artifice pour faire un clin d'oeil provocateur au réalisateur et se donner le beau rôle. Un inquiétant cliché de notre societé malade, faite de sentimentalisme pour éprouver des émotions artificielles et d'un vide intérieur impossible à combler. Touchons nous, embrassons nous, bécotons nous, battons des mains : comme les tribus primitive devant le totem. Tous à pleurer des chaudes larmes avec les faciles - et très profanes - notes de l'Ave Maria de Schubert.
La religion de ceux-là est l'évidence des peuples : banal, horizontal, privé du souffle de la Grâce.
Dommage que Benoît XVI ait dû assister à une semblable kermesse, montrant - oui, lui, même octogénaire et accablé d'engagements - que le Catholicisme rend jeune. Mais d'une jeunesse de l'âme, correcte et pleine de dignité. Et pourtant, on arrive à l'inverse du but recherché: devant ces acteurs avec le souffleur dans la bouche, le Pape montre encore une fois sa courtoisie et sa spontanéité pour répondre patiemment à chacun, sans avoir besoin de singer les "telenovelas" vénézuéliennes, comme font les acteurs et les actrices que nous avons dû subir par amour du Saint Père.




Comment ne pas penser (pour répondre à l'auteur de l'article) à la catéchèse sur Grégoire de Naziance: "il reçut l'ordination sacerdotale avec une certaine réticence, parce qu'il savait qu'il lui faudrait ensuite faire le pasteur, s'occuper des autres, de leurs affaires, et donc ne plus pouvoir se recueillir dans la méditation pure..." ?
C'est sans doute la clé pour comprendre son attitude.