Grenelle de l'environnement

Une bonne analyse philosophique et politique, de Luc Ferry.
Peut-être vaudrait-il mieux dire "une analyse que je partage", au moins pour l'essentiel.
Page Débats & Opinions dans le Figaro du 19 octobre.

Quand je vois que des ONG (Greenpeace) ont été choisis comme interlocuteurs privilégiés par le gouvernement FRANCAIS, et qu'Al Gore intervient comme expert, je demande "à quel titre? ".
Même si ces prétendus experts ont raison (pure hypothèse d'école), cela ne leur donne pas de légitimité particulière à intervenir dans la politique de notre pays (à moins qu'il ne s'agisse justement de choisir ce prétexte d'un problème global pour imposer aussi un gouvernement global). Car d'une part cela pose le problème des limites de la démocratie (les "experts" peuvent donc intervenir contre la majorité lorsque celle-ci se trompe?). De l'autre, cela détruit tout l'édifice de la propagande cathophobe qui déclare ne rien vouloir accepter de l'enseignement de l'Eglise. Mais l'Eglise a au moins autant à dire sur l'homme, sur la morale, sur la nature, que Nicolas Hulot, ou Al Gore, ou n 'importe quel ONG sur l'environnement .
Et quand le premier ministre appelle les participants "à essayer de trouver un maximum de convergences", s'engageant " à ce que toutes les conclusions précises, concrètes et consensuelles soient mises en oeuvre" (dépêche AP), l'électeur français peut s'interroger sur la valeur de son bulletin de vote, et le contribuable sur sa docilité à payer ses impôts.

Luc Ferry

Ce "Grenelle" n'a de légitimité ni scientifique, ni républicaine.
19 octobre 2007

Débats & Opinions du FIGARO
Par Luc Ferry, philosophe, ancien ministre.

Au fond de l'écologie contemporaine, il y a toujours cette « grande peur planétaire » que les militants déclinent en une multitude de rubriques : épuisement des ressources naturelles, dangers nucléaires, traitement des déchets, manipulations génétiques, réchauffement climatique, atteintes à la biodiversité, pollution des mers et des rivières... Craintes factuelles et empiriques, portant sur des périls dont on devrait bien parvenir un jour à mesurer de manière scientifique la réalité et la portée exactes.
Mais il y a plus, et autre chose, dans le souci de préserver la nature telle qu'elle est, voire de la restaurer telle qu'elle fut pour la transmettre aux futures générations : le principe fondateur d'une « autre politique », plus ou moins anticapitaliste et altermondialiste, qui soumette enfin l'économie à l'écologie.
Et pour la justifier, rien n'est plus précieux que de pouvoir s'appuyer sur cette formidable et si commune passion qu'est la peur.
Voilà pourquoi l'écologie radicale se plaît à souligner en permanence le décalage entre la faiblesse de nos lumières et l'extraordinaire potentiel de destruction dont nous disposons. Comme le monstre de Frankenstein ou la créature de l'apprenti sorcier, notre monde industriel et technicien aurait développé des capacités d'anéantissement de la terre d'autant plus effrayantes qu'elles échapperaient au contrôle de leurs créateurs. Avec un tel discours, plus besoin de discussion : les esprits sont prêts à être mis au pas pour accepter de bonne grâce les mesures liberticides qu'on cherche à leur imposer.
Pas de malentendu : nul ne doute qu'il faille protéger la planète ni qu'il y ait quelque urgence à le faire. Ce qui inquiète, pourtant, plus encore que les pollutions de l'air ou de l'eau - qui ne nous empêchent pas d'avoir quasiment doublé nos espérances de vie en un siècle ! - c'est celle de l'atmosphère intellectuelle et morale dans laquelle la réflexion semble aujourd'hui prendre place.

Car nos écologistes militants, de gauche comme maintenant de droite, associent de manière imparable trois logiques qui, au final, forment un redoutable piège : une logique de la peur selon laquelle cette passion, naguère encore honteuse, serait désormais un vecteur de sagesse - ce dont témoigne la calamiteuse inscription du principe de précaution dans une Constitution où il n'a que faire ; une logique médiatique, où les people, animateurs télé, vedettes de cinéma, de la chanson ou de la politique, relèguent les scientifiques et les économistes sérieux au fond du fond du panier ; enfin une logique d'interdiction qui, une fois la panique bien ancrée dans les esprits, n'a plus qu'à se baisser pour en ramasser les dividendes politiques.

Limiter la vitesse à 120 km/h ne sert rigoureusement à rien en termes de protection de l'environnement et relève de la pure démagogie - les Allemands, bien plus écolos que nous, ont d'ailleurs écarté cette mesure absurde au profit de modulations plus intelligentes, des limitations que nous serions bien avisés d'imiter.
Mais l'interdit rassure parce qu'il donne le sentiment que le politique, enfin, « fait quelque chose ». C'est l'association de ces trois logiques qu'il faut déconstruire si nous voulons avoir une chance d'aborder de façon positive la politique environnementale.
C'est dire combien nous sommes loin du compte ! Quels que soient ses mérites et la qualité des personnes qui y prennent part, le « Grenelle de l'environnement » n'a de légitimité ni scientifique, ni républicaine. Il ne représente en rien les citoyens que nous sommes et relève à 100 % du management et de la communication politiques.
Quoi qu'il en sorte, c'est fort heureusement au Parlement qu'il reviendra de trancher. Voilà pourquoi il est indispensable de l'éclairer plus et mieux qu'aujourd'hui, et de créer à cette fin, en s'inspirant des enseignements qu'on peut maintenant tirer du fonctionnement des comités d'éthique, une véritable institution républicaine, composée au premier chef d'authentiques scientifiques, qui soit enfin chargée d'éclairer l'espace public.
Il est désormais vital qu'existe sur ces questions un lieu dans lequel on organise le nécessaire débat contradictoire sur des sujets, par exemple les OGM, dont la simple honnêteté intellectuelle oblige à affirmer qu'ils sont loin d'être tranchés.
Un lieu dans lequel on puisse distinguer les vrais risques des rumeurs absurdes, mais aussi construire une hiérarchie des priorités sans laquelle aucune politique ambitieuse n'a de sens.
Pour l'instant, c'est l'alliance de la peur et des médias qui domine. Il faut lui substituer celle de la science et de la République.

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Sur ce sujet, on (re)lira avec profit la contribution du site Libertés Politiques, déjà citée dans ces pages (Environnement, encore... ): il s'agit d'une intervention du Cardinal Renato Martino, président du Conseil Pontifical Justice et Paix, qui nous explique en quoi consiste cette "écologie humaine" chère à la doctrine sociale de l'Eglise":



Le Cardinal Martino

Pour le cardinal, le biologisme ne distingue pas la différence substantielle entre l’homme et l’animal, réduisant toutes les fonctions humaines à leurs seuls éléments biologiques et génétiques : le biologisme « n'est pas une science, c’est une idéologie opposée à l'anthropocentrisme ».

Le président de Justice et Paix a également repoussé « l'idéologie du catastrophisme », expliquant que « la source de tous les catastrophismes de l’écologisme idéologique a été le rapport du MIT (Massachussets Institute of Technology) pour le Club de Rome, en 1972, sur “Les limites du développement”. » (*)
« D’autres rapports ont suivi, a-t-il continué, portant surtout sur l'épuisement des énergies non renouvelables et la surpopulation. Le thème de la surpopulation a fait réémerger les idéologies néo-malthusiennes fondées sur l'idée que la principale cause de la dégradation de l’environnement vient de la soi-disant surpopulation. »

Selon le cardinal Martino, « la mentalité catastrophiste devient idéologique quand elle se nourrit de ce pessimisme antrhopologique qui ne conçoit pas l'homme comme une ressource ». Paradoxe, « ce pessimisme et cette méfiance pour l’homme se transforment alors en une confiance extrême pour les techniques sélectives comme l'avortement et la stérilisation de masse ».

Sur ce point, le président de Justice et Paix a rappelé qu'à l’occasion de la Conférence de l’ONU sur la population et le développement, qui s'est tenue au Caire en 1994, puis celle consacrée à la femme, à Pékin l'année suivante, « l'action diplomatique conduite par la délégation du Saint-Siège s’est trouvée en singulière syntonie avec les pays pauvres de la planète, motivés pour dénoncer l'idéologie néomalthusienne qui proposait une planification centralisée des naissances, faisant violence aux femmes ».

La doctrine sociale de l'Église n’apprécie pas non plus l'idéologie égoïste du naturalisme, c'est-à-dire de « retour à la nature » sous ces diverses formes, de l’« ésotérisme naturaliste, du narcissisme physique, à la recherche du bien-être psychologique dans l’émotion, confondue avec le bien-être spirituel » : « Il s'agit de formes de naturalisme qui se retrouvent dans le New Âge, et qui alimentent le supermarché de la religiosité. Elles comprennent la biosphère de manière panthéiste, comme une totalité indistincte, perdant de vue définitivement la notion de nature comme un dialogue entre l'homme et Dieu. »

L’alternative

Sur le front de ces idéologies, l’environnement est une question sociale pour laquelle la doctrine de l'Église emploie le concept d'« écologie humaine », tel que Jean Paul II l’a exposé dans l'encyclique Centesimus annus (n. 38). Le pape polonais y relevait qu’« on se préoccupait à juste titre de sauvegarder l’environnement naturel, mais qu’on ne se mobilisait pas de la même manière pour l’environnement humain : “On s’engage trop peu, disait-il, pour sauvegarder les conditions morales d'une authentique écologie humaine” ».

« Pour l’Église, l'expression écologie sociale — a souligné le président de Justice et Paix — ne signifie pas seulement que l’environnement naturel doit être humanisé, mais qu’il doit être ordonné au bien de l’homme d'aujourd'hui et des générations futures. Il veut même et surtout dire que la sauvegarde de l’environnement humain — la vie, la famille, le travail, la ville — demande le respect absolu de sa propre écologie, de son fonctionnement physiologique, de sa nature. »

« En ce sens, l'écologie humaine — a conclu le cardinal — est un concept semblable à celui du bien commun, entendu comme l'ensemble des conditions sociales qui permettent et favorisent le développement intégral de la personne humaine ».

A propos des conclusions du Club de Rome, dont il est souvent question, Claude Allègre apporte un éclairage scientifique (modèles mathématiques déficients) et même historique (l'histoire se répète...)
"Ma vérité sur la planète", pages 30 et suivantes.

Claude Allègre, encore

Dans les années 70, une alerte écologique vint défrayer la chronique.
Le commissaire européen Sico Mansholt, publia un rapport au titre éloquent, Halte à la croissance !
Le Club de Rome avait confié à une équipe de scientifiques dirigée par le professeur Meadows, du prestigieux MIT, le soin d'étudier l'évolution future du système économique mondial. Sous la conduite d'un spécialiste des systèmes, Jay Forester, l'équipe du MIT avait construit un modèle informatique et, à partir de là, calculé des scénarios d'évolution future de la planète.
Le diagnostic était sans appel : les scientifiques démontraient que nous allions rapidement épuiser nos sources d'énergie, nos matières premières métalliques, que les déchets produits par l'industrie, l'agriculture et les villes allaient tout envahir, tout polluer, etc. La catastrophe planétaire était pour bientôt et nous allions tous mourir de faim dans un avenir proche !
Responsable de tout cela : la croissance économique. Il fallait donc arrêter la croissance !
Dans le même temps, aux Etats-Unis, une autre équipe d'économistes travaillant indépendamment prévoyait une stagnation économique américaine inévitable par suite d'une mauvaise gestion des ressources. Sico Mansholt, fort du porte-voix que constitue la Commission européenne, entreprit de convaincre les gouvernements européens de la nécessité d'une nouvelle stratégie économique, la croissance zéro.
Ceux qui étaient montrés du doigt étaient les multinationales, les cartels pétroliers qui exploitaient sans vergogne les ressources de la planète.
...
Les prédictions du Club de Rome et des Cassandres américaines ont, comme on le sait, été démenties par les faits. Les ressources énergétiques ne se sont pas épuisées, les ressources minérales non plus. Nous ne sommes pas morts de faim et les Etats-Unis ont connu l'une des plus fortes périodes de croissance de leur histoire!
L'analyse des échecs, mais aussi des conséquences de ces prédictions, notamment celles du Club de Rome qui ont eu le plus grand retentissement dans le monde politique, n'est pas dépourvue d'intérêt[..] sur le plan technique de la modélisation.
Toutes les simulations du MIT utilisaient des fonctions exponentielles positives, c'est-à-dire des fonctions où tout va de plus en plus vite. Il n'y avait aucune régulation, aucune boucle de contre-réactions. Or, on sait que l'exponentielle positive n'existe pas dans les phénomènes naturels, qu'il y a toujours des phénomènes régulateurs.
....

On en revient donc au thème des modèles mathématiques, dont l'insuffisance s'étend aux domaines économiques et environnementaux, voir ici:
Le point de vue d'un mathématicien