François Bayrou et l'opium du peuple

Ou comment le "chrétien de conviction"(!!) s'approprie la dialectique marxiste (voir ici, à propos de l'opium du peuple: Une lecture sans commentaire ).
On peut dire qu'il a de bonnes références culturelles. Ses propos pourraient presque (à l'exception d'un paragraphe) porter la signature d'un chroniqueur de "Libé"!
C'est une réponse à tous ceux qui pourraient regretter de ne pas avoir voté pour Bayrou au second tour de la présidentielle.
Il fallait que ce soit lui qui émette cette critique du "concept de laïcité positive" qui aurait été théorisée (sic!) par Nicolas Sarkozy lors de son discours du Latran.
J'ai déjà dit que dans ce discours, ce n'est pas le contenu qui me gêne (bien au contraire) mais le récitant, et son opportunisme.
L'idée d'opium du peuple est une idée qui me fait horreur, surtout formulée par un chrétien.
Un chrétien qui a comme référence Jules Ferry.
Du retrait du sentiment religieux (catholique, car c'est de lui qu'il s'agit ici) vers la sphère privée à sa marginalisation, du qualificatif d'opium de peuple à la persécution des catholiques, la frontière est difficile à cerner, et la pente est glissante.

Evidemment, la conclusion de l'article n'est pas fausse, mais là, il ne s'agit plus de concept, seulement de critique politicienne du "récitant" qui est une cible trop évidente pour la rater.
----------------------
Note: Il n'est pas inintéressant de comparer la transcription de l'entretien sur le site du FIGARO, et le compte-rendu qu'en fait l'AFP. Je précise que je n'ai eu accès à l'article du Figaro qu'en second lieu.


La "laïcité positive", un retour à "l'opium du peuple" selon Bayrou
(Dépêche AFP, 26/12)
----------------
Le concept de "laïcité positive" avancé par Nicolas Sarkozy "remet en cause la conception de la laïcité républicaine" et favorise un retour à la religion "opium du peuple" dénoncée par Karl Marx, estime François Bayrou dans un entretien a paraître mercredi dans Le Figaro.

"Quand on a besoin d'un adjectif, c'est qu'on veut changer le sens du mot. Il y a dans le discours prononcé à Saint-Jean-de-Latran (lors du voyage jeudi de M. Sarkozy au Vatican) quelque chose de profond, passé à peu près inaperçu, une remise en cause de la conception de la laïcité républicaine autour de laquelle, depuis la Libération, la France s'est construite", estime le président du MoDem.

"C'est le retour, qu'on croyait impossible en France, du mélange des genres entre l'Etat et la religion. Ce mélange des genres n'a jamais produit de bons fruits, je le dis comme citoyen, et je le dis aussi comme chrétien de conviction", poursuit M. Bayrou.

"Cette conception sociologique de la religion, fournissant +l'espérance+ qui fait que les peuples se tiennent tranquilles et respectent les règles établies, on croyait qu'elle était loin derrière nous! Ce n'est pas autre chose que +l'opium du peuple+ que dénonçait Marx", poursuit le leader centriste.

Il estime qu'il s'agit là d'un "leitmotiv chez Nicolas Sarkozy, notamment quand il a parlé des bienfaits de la présence de l'islam pour pacifier les banlieues".

"L'aspiration spirituelle est un mouvement précieux de l'être humain. Sur ce point, je suis d'accord avec Nicolas Sarkozy. La société doit la respecter. Mais lorsqu'on suggère que la morale républicaine doit se fonder dans les religions, on change d'approche", dit-il.

M. Bayrou relève par ailleurs le "paradoxe troublant que celui d'un pouvoir qui affiche chaque fois qu'il le peut sa complaisance avec le matérialisme financier et, en même temps, souhaite faire de la religion une autorité dans l'espace public".


L'article du Figaro

Bayrou : «Sarkozy remet en cause la laïcité républicaine»
Judith Waintraub
26/12/2007 |
«La République n'a pas à sous-traiter l'espérance aux religions. Elle est en charge de réaliser un monde meilleur», dit François Bayrou.

Le président du Mouvement démocrate reproche à Nicolas Sarkozy «le mélange des genres, entre l'État et la religion».

LE FIGARO. Que pensez-vous du concept de «laïcité positive» défendu par Nicolas Sarkozy ?
François BAYROU. Quand on a besoin d'un adjectif, c'est qu'on veut changer le sens du mot.
Il y a dans le discours prononcé à Saint-Jean-de-Latran quelque chose de profond, passé à peu près inaperçu, une remise en cause de la conception de la laïcité républicaine autour de laquelle, depuis la Libération, la France s'est construite. S'exprimant comme président de la République, il introduit la notion de «racines essentiellement chrétiennes» de la France, oubliant le grand mouvement d'émancipation des Lumières. Il affirme que la République a «intérêt» à compter beaucoup de croyants. Il demande aux religions, toujours dans «l'intérêt» de la République, de fonder la morale du pays. C'est le retour, qu'on croyait impossible en France, du mélange des genres entre l'État et la religion. Ce mélange des genres n'a jamais produit de bons fruits, je le dis comme citoyen, et je le dis aussi comme chrétien de conviction.

Est-ce une erreur de parler d'espérance quand on fait de la politique ?
La République n'a pas à sous-traiter l'espérance aux religions. La République est en charge de réaliser un monde meilleur, et pas d'inviter à l'attendre. Cette conception sociologique de la religion, fournissant «l'espérance» qui fait que les peuples se tiennent tranquilles et respectent les règles établies, on croyait qu'elle était loin derrière nous ! Ce n'est pas autre chose que «l'opium du peuple» que dénonçait Marx. C'est un leitmotiv chez Nicolas Sarkozy, notamment quand il a parlé des bienfaits de la présence de l'islam pour pacifier les banlieues. En réalité, l'espérance religieuse et l'espérance civique ne sont pas de même nature. Elles ne sont pas du même monde. Au demeurant, la foi, ce n'est pas seulement l'espérance, ce n'est pas seulement pour l'avenir. C'est pour le présent, c'est voir le monde et voir l'autre dans une certaine lumière qui les révèle et les grandit. C'est en cela qu'il existe un humanisme chrétien.

La République doit-elle prendre en compte ce que Nicolas Sarkozy appelle l'«aspiration spirituelle» de l'être humain, qui existe selon lui chez chacun de nous ?
L'aspiration spirituelle est un mouvement précieux de l'être humain. Sur ce point, je suis d'accord avec Nicolas Sarkozy. La société doit la respecter. Mais lorsqu'on suggère que la morale républicaine doit se fonder dans les religions, on change d'approche. D'abord, il ne revient à aucune autorité civile de trancher ainsi une question de conscience. Il est aussi anormal de voir un président dire qu'il faut se référer à la religion que d'en voir un autre affirmer qu'il faut rejeter toute religion. Cette orientation, dans un sens ou dans un autre, n'est pas dans ses compétences. De surcroît, en tenant ce discours dans une société plurireligieuse, on pré­pare les conditions d'un affrontement entre les différentes religions. Car, quand elles se contredisent, qui décidera qu'une religion est supérieure à une autre dans le domaine de la morale et des valeurs ?

Quelle est votre conception de la laïcité ?
Celle de Jules Ferry. Quand Nicolas Sarkozy dit que «jamais l'instituteur ne pourra remplacer le pasteur ou le curé» dans l'apprentissage de la différence entre le bien et le mal, parce qu'il lui «manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d'un engagement porté par l'espérance», il exprime exactement le contraire du message de Jules Ferry. La morale de l'instituteur n'est pas inférieure à celle du prêtre. Pour Jules Ferry, elle est la morale universelle au genre humain, qui prend garde à ne choquer aucune des familles qui confient leur enfant aux maîtres. La laïcité est un bien très précieux que la France a su définir avant et mieux que les autres. Elle détermine un espace public à l'intérieur duquel on ne fait pas intervenir la religion par l'autorité du dogme, et un espace intime, familial, où chaque être humain cultive des convictions, une vision du monde, qu'il ne peut imposer aux autres. L'idée qui fonde la démocratie, c'est la vision géniale que Pascal a exprimée de la distinction des ordres : il y a l'ordre du pouvoir, l'ordre de la religion et l'ordre de la science. Le pouvoir doit garantir la liberté de prier et la liberté de penser dans les deux autres ordres. Mais l'homme n'est libre que si on empêche toute interférence entre ces ordres distincts. De la même façon, quand Nicolas Sarkozy établit un parallèle entre la vocation religieuse et sa vocation présidentielle, il mélange ce qui ne doit pas l'être.

Cela vous choque ?
Oui. En outre, c'est un paradoxe troublant que celui d'un pouvoir qui affiche chaque fois qu'il le peut sa complaisance avec le matérialisme financier et, en même temps, souhaite faire de la religion une autorité dans l'espace public. Cela s'est déjà produit dans l'histoire. Aujourd'hui, par exemple, chez Bush. Et cela, les citoyens républicains, laïques aussi bien que chrétiens, ne peuvent l'admettre : ils ont quelque chose en commun, c'est le «rendons à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu».