Manifeste pour une autre Eglise

- Vous êtes nombreux, Éminence ? Nombreux à penser que l'Église a absolument besoin de prendre un tournant si elle ne veut pas continuer à s'affaiblir. Nombreux dans la haute hiérarchie à penser qu'il est temps de prendre des décisions radicales. Nombreux à désirer vous opposer aux mouvements de restauration qui aboutiraient, selon vous, à transformer l'Église en une petite chapelle d'initiés vertueux.
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- Nous sommes un certain nombre de personnes un peu partout dans le monde qui avons appris à nous connaître et qui pensons que des questions doivent être posées et des réponses apportées. Nous jugeons que ces questions n'ont pas été vraiment posées dans l'atmosphère très particulière du dernier conclave et des dernières années de la vie du pape Jean Paul. Nous voulons que ces questions soient entendues.
- Un complot, Éminence ?
- Non, bien sûr que non, pas un complot. Il n'y a pas de réseau secret, de consignes, de stratégies souterraines. Simplement des hommes et des femmes qui s'appuient sur des analyses convergentes, qui sont engagés dans des actions voisines, qui aiment se rencontrer et échanger leurs points de vue.
- Et ces gens, Eminence, que cherchent-ils ? Quel est leur objectif ?
- Deux objectifs en fait. Ils veulent renouveler la façon d'être chrétien. Renouveler n'est peut-être pas le bon mot, j'y reviendrai tout à l'heure. Et ils veulent développer et faire partager une analyse solide de l'état de l'Eglise et des options qui se présentent à elles.
- Ce que vous faites dans ce livre que nous allons bientôt terminer.
- Ce que je fais dans ce livre que, grâce à vous, nous allons bientôt terminer.
- Ce qui signifie, Éminence, que ce livre n'est qu'une initiative parmi d'autres. Il n'est pas très risqué de déduire de ce que vous me dites que de nombreuses autres initiatives ont déjà surgi ou vont surgir de la part de ces hommes et de ces femmes auxquels vous faisiez allusion.
- Nombreuses initiatives, dites-vous, me répondit-il, cette fois-ci avec un franc sourire. Je ne sais pas. Un certain nombre en tout cas. Nous avons créé une sorte de lien entre nous, un site internet où nous déposons nos idées, donnons des nouvelles aux uns et aux autres'.
- En d'autres termes, vous, quand je dis vous je parle de vous-même et d'autres personnes, vous voulez
incarner une alternative à certains courants de pensée qui semblent avoir tellement le vent en poupe qu'ils pourraient être qualifiés de courants officiels.
- Non, non. Là, vous vous trompez. Il ne s'agit pas du tout de nous opposer à ce qui serait un courant officiel. Je suis officiel. Les cardinaux qui développent des analyses voisines des miennes sont officiels. Nous avons tenté de faire partager ces points de vue de façon tout à fait officielle lors des congrégations officielles de préparation du conclave officiel. Encore une fois, n'allez pas ranger nos initiatives au rayon des manoeuvres souterraines.
- N'empêche, Éminence, avec tout le respect que je vous dois, vos analyses, vos diagnostics, votre expérience ici, tout ce que vous êtes devenu depuis quelques années dessinent une position qui semble assez différente de celle, officielle, pardonnez-moi de le souligner, du pape que vos frères cardinaux ont élu officiellement il y a moins d'un an.
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Nous nous sommes engagés dans une oeuvre de longue haleine qui possède deux volets. Le premier est d'essayer d'accélérer [la] prise de conscience de l'Église [qu'elle est en train de disparaître sous sa forme actuelle]. Le second est de préparer le moment où la crise sera devenue telle qu'il sera impossible de nier la nécessité des changements. Nous voulons être prêts à ce moment-là. Prêts à proposer les alternatives, prêts à en démontrer la validité grâce aux expériences que nous aurons instituées un peu partout dans le monde.
» Ces expériences, minuscules, sont d'une très grande diversité. Elles ont cependant toutes un coeur commun : incarner une nouvelle manière d'être chrétien dans un monde déshumanisé. Et pour cela, créer des espaces où s'exprime concrètement la tendresse de Dieu pour le monde et ceux qui y vivent.
» Voici ce qu'un certain nombre d'entre nous est en train de faire, chacun où il est, chacun selon ses moyens. Nous nous connaissons, nous nous reconnaissons. Nous parlons, nous collaborons, nous essayons de convaincre. Nous agissons sous des formes multiples. Nous pesons autant que nous pouvons sur le déroulement des événements. Nous ne sommes pas très visibles, pas très repérables. Nous sommes plus du côté de la brise que de l'ouragan.