Polémique sur la mort de Jean-Paul II

Depuis quelques jours, la presse italienne bruit d'une méchante rumeur. A vrai dire, cousue de fil blanc, mais abondamment relayée. Dans une écoute rapide (c'est le principe de ces rumeurs, justement), Jean-Paul II aurait été euthanasié!! Evidemment, il s'agit d'une euthanasie passive, mais il faut déjà prêter un peu plus d'attention à la nouvelle pour s'en rendre compte.
On fait ainsi d'une pierre deux (et même plusieurs) coups: on ridiculise l'Eglise, la mettant en face de ses prétendues contradictions, on se venge du document lapidaire publié récemment par la CDF sur l'assistance médicale à apporter aux patients en état végétatif chronique, et on espère compromettre les "chances" de Jean-Paul II d'accéder au statut de bienheureux, puis de Saint, puisqu'on entache d'un vilain soupçon (*) l'épisode le plus admirable de sa vie, son agonie!
Plusieurs éléments peuvent aider à comprendre la situation. Avec sa prudence habituelle, John Allen les voit très bien, et même les désigne, mais il fait semblant (c'est ainsi que le le vois) de seulement poser le problème, et de ne pas prendre position. Il est réservé, avec humour car le caractère cousu de fil blanc de l'offensive ne lui a pas échappé, comme le prouvent la citation d'introduction (décidément, Chesterton est une de ses références littéraires...), et la remarque de conclusion.

Rappelons quand même que le premier à lancer la polémique fut le directeur de la revue Microméga en personne, Paolo Florès d'Acaïs, un intellectuel d'extrême gauche qui ne perd pas une occasion de tirer sur l'Eglise, et dont il a été plusieurs fois question dans ces pages. Voir ici:
PAOLO FLORÈS D'ARCAIS CONTRE BENOÎT XVI
FLORES D'ARCAIS CONTRE LE PAPE

Ces deux articles permettent de situer la source des attaques.
A propos de l'affaire Welby, il serait également très intéressant de relire l'article que Patrice de Plunkett lui avait consacré dans son blog: Le cas Welby : ce qui s'est passé en réalité

C'est un cas typique d'agit-prop', consistant à instrumentaliser un fait divers malheureux au profit d'une cause suspecte. D'autant plus que, selon P. de P. "ni le défunt, ni personne de sa famille, n'avait de foi religieuse. Welby est mort en écoutant du Bob Dylan. Sa femme confirmait cela dans l'heure qui suivit le décès...Cette revendication d'obsèques religieuses n'avait donc aucune sincérité."

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Le plus navrant dans tout cela est que des intimes du défunt papes aient été faire des confidences à des journalistes. A Luigi Accattoli, d'abord, dont je ne saisis pas bien quel rôle il joue dans cette affaire, et surtout, à La Repubblica (que je qualifie de "Libération" italien!!)

Article original en anglais sur le site de NCR:
John Paul's doctor rejects charge that pope's death was euthanasia

Ma traduction
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Le médecin de Jean-Paul II rejette l'accusation que la mort de Jean-Paul II était dûe à une euthanasie

Dans le passé, G.K. Chesterton a observé qu'un journaliste astucieux sait qu'il peut pousser des gens à écrire la moitié de ses articles sans les payer, pour peu qu'il les entretienne dans un état de colère suffisant. C'est un point de vue perspicace, qui s'applique probablement au dernier numéro de Micromega, la célèbre revue italienne, qui avance une thèse accusant la mort du Pape Jean Paul II en avril 2005 d'avoir été une forme d'euthanasie.

C'est une suggestion que les sources proches du défunt pape, y compris son médecin personnel, rejettent avec force.

Écrit par un médecin italien du nom de Lina Pavanelli, qui n'a pas été impliquée dans le traitement de Jean Paul II, l'article développe la thèse que, puique le pape n'a pas été appareillé avec une sonde d'alimentation jusqu'aux derniers épisodes de sa maladie, on lui avait refusé les aliments essentiels qui auraient pu prolonger sa vie. Elle suggère que la pratique suivie dans le cas de Jean-Paul contredit l'enseignement officiel de l'Eglise catholique, qui considère la fourniture de nourriture et d'eau, même par des moyens artificiels, comme une forme ordinaire de soins de base et donc obligatoire.

En effet, selon Pavanelli, on a laissé Jean-Paul II perdre régulièrement du poids, plutôt que de le soumettre à des procédures lourdes -- ce qui, d'après elle constitue une contradiction entre les décisions réelles prises dans son cas et les règles générales promulguées par l'Eglise.

Cette sortie a provoqué une furieuse succession de débats en Italie, comme dans d'autres régions du monde catholique (par exemple, j'ai été appelé aujourd'hui par le principal journal polonnais, pour commenter à ce propos si le rapport pourrait affecter la candidature de Jean-Paul II à la sainteté.)

L'article de Pavanelli est paru tout juste quelques jours après que la Congrégation pour la doctrine de la foi ait rendu publique une réponse à deux questions des évêques des États-Unis au sujet de l'alimentation et de l'hydration artificielles pour des patients dans un état végétatif persistant. La CDF soutient qu'en général, la nourriture et l'eau ne doivent pas être supprimées, puisque procéder ainsi causerait la mort du patient.

À la suite de l'article de Micromega, l'un des vaticanistes italiens majeurs, Luigi Accattoli du Corriere della Sera, a publié une reconstitution des derniers jours du pape, basée sur des entretiens avec des membres de son entourage intime s'exprimant sous couvert d'anonymat.
Accattoli rapporte qu'alors que le Vatican avait pour la première fois confirmé que le pape utilisait une sonde alimentaire nasale le 30 mars, en fait il avait commencé à l'employer beaucoup plus tôt. Accattoli a indiqué qu'une sonde avait été insérée et ôtée à plusieurs reprises au cours du second séjour du Pape à l'hôpital de Gemelli de Rome, du 24 février au 13 mars.

Accattoli rapporte aussi qu'à partir du lundi de la Semaine Sainte, c'est-à-dire le 21 mars, le tube d'alimentation nasal a été laissé en place de manière plus ou moins permanente, enlevé seulement pour les apparitions publiques occasionnelles du pape. En fait, dit Accattoli, les caméras de la TV ont montré Jean-Paul II uniquement de dos alors qu'il suivait la procession du Vendredi Saint (le Chemin de Croix) depuis sa chambre à coucher le 25 mars, afin d'éviter de le montrer avec la sonde en place.

Le médecin personnel du défunt pape, Renato Buzzonetti, a également accordé une interview au journal italien La Repubblica, rompant deux ans de silence qu'il s'était lui-même imposé, sur les derniers jours de Jean-Paul II.

La Repubblica a interrogé Buzzonetti sur les rumeurs selon lesquelles à 3h30, dans l'après-midi du 2 avril 2005, le jour il est mort, Jean-Paul aurait chuchoté «Laissez-moi aller chez le Seigneur » à une des religieuses polonaises de sa maison, lui demandant si cela signifiait qu'il avait exprimé le désir d'en finir.

Buzzonetti a insisté sur le fait que l'expression « Laissez-moi aller chez le Seigneur » était une expression spirituelle et ascétique de la part du pape, et que son traitement médical n'a été jamais interrompu. Son goutte-à-goutte intraveineux, par exemple, est demeuré en place jusqu'à la fin, dit Buzzonetti. Quand le pape a éprouvé un "choc infectieux" le 31 mars, il lui a été donné tout traitement susceptible d'assister son coeur et poumons.

Tant Buzzonetti que d'autres intimes du Pape ont rejeté avec force la suggestion que ce qui est arrivé à John Paul pourrait être caractéristique d'une euthanasie. D'autre part, les experts précisent également que rien dans l'enseignement catholique n'impose d'appliquer des mesures extraordinaires quand la mort est imminente et inévitable. La déclaration récente du Vatican sur la nutrition et l'hydration artificielles, observent-ils, concernent les patients dans un état végétatif persistant. Cette analyse ne s'appliquait pas au pape, qui en était à la phase finale d'une maladie terminale.

Dans une réponse publiée sur site web de Micromedia, Pavanelli défend sa thèse qui est que, durant les deux mois précédant sa mort, Jean-Paul II n'a pas reçu une nourriture suffisante, et les outils thérapeutiques normalement appliqués à des patients dans son état. Un tel manquement, selon elle, ne peut pas être expliqué par des motifs cliniques.

Quelques spécialistes de la scène italienne pensent que l'article de Pavanelli doit être lu dans le contexte d'un débat national sur l'euthanasie, où l'Eglise joue un rôle "leader" parmi les opposants à la libéralisation.

Le fait le plus récent mis en évidence dans ce débat fut le cas de Piergiorgio Wilby, un malade atteint de distrophie musculaire devenu en 2006 une cause nationale fameuse quand sa réclamation lancinante qu'on lui enlève un respirateur pour lui permettre de mourir a déclenché un examen de conscience national.
Welby est mort en décembre 2006, et l'anesthésiste qui l'a aidé à débrancher le respirateur a été par la suite acquitté de toute accusation d'acte criminel. Le cas de Welby a déchiré l'Italie, et inévitablement, cela signifie qu'il déchire aussi l'église catholique. Quelques catholiques influents ont argué du fait que l'enseignement de l'église défend le droit à la vie, mais pas forcément une obligation absolue de vivre, et qu'on devrait permettre à Welby de faire son propre choix ; de l'autre côté il y avait des catholiques qui croient que l'assistance à quelque chose d'aussi fondamental que la respiration ne peut pas être considérée comme "extraordinaire," et tout en respectant les motifs de Welby, ils ont dit qu'il ne devrait pas être autorisé à se tuer. D'ailleurs, selon eux, les désirs de Welby n'étaient pas les seuls en jeu. La société a une obligation de ne pas favoriser la mort comme solution aux situations difficiles.
Le dernier camp a inclus le puissant cardinal Camillo Ruini, alors Vicaire du pape pour le diocèse de Rome et président de la conférence des évêques italiens. La désapprobation de Ruini s'est poursuivie jusqu'après la mort de Welby.
Quand une paroisse de Rome a préparé une messe funèbre pour Welby, Ruini est intervenu et a refusé son autorisation. A la place, une cérémonie "laïque" extérieure a été mise en scène le 24 décembre, à côté de la paroisse où l'enterrement devait avoir eu lieu, et certains, dans une foule de plusieurs milliers de personnes, ont scandé "honte, honte!" à l'église.
La mère de Welby, âgée de 91 ans, a déclaré : "ils continuent à l'insulter après sa mort."

Les soupçons que l'article de Micromedia a eu présent à l'esprit ce débat italien sont confirmés par le fait que le journal a tenu une conférence de presse aujourd'hui à Rome, avec Pavanelli et la veuve de Welby.
Etait aussi présent Giovanni Franzoni, un ancien prêtre bénédictin et abbé de Saint-Paul-hors-les-Murs, qui est parmi les critiques progressistes les plus virulents des positions de Vatican.

(*)
Sur le site d'images Papacy and the Vatican (Yahoo), une photo de Jean-Paul II est accompagnée d'un commentaire stupéfiant: Un médecin allègue que le pape Jean-Paul II a violé l'enseignement catholique contre l'euthanasie, en refusant les soins médicaux qui l'auraient maintenu en vie plus longtemps.
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Et aux dernières nouvelles, la presse française s'est emparée de l'affaire.
Lire les articles du Figaro, et du Monde:
On n'y apprend rien de plus (plutôt moins) que par John Allen.
On peut quand même être surpris et choqué de lire sous la plume du "spécialiste" du Figaro (dont le lectorat de base est censé être conservateur, et pas hostile à l'Eglise!): "plus de deux ans après sa disparition, les conditions exactes de la mort du pape polonais restent entourées de secrets."
!!!

Ne pourrait-on le laisser dormir en paix, et doit-on vraiment TOUT savoir, sur TOUS les sujets?


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