Le chanoine du Latran

Le discours de Nicolas Sarkozy à Saint-Jean de Latran continue à faire couler de l'encre.

Les socialistes, les communistes, les francs-maçons, tout le monde y a été de son couplet sur la laïcité (pourquoi pas la république?) en danger...

A quoi bon, sans doute?
Les voeux aux Français, et la petite phrase sur la "politique de civilisation" ont une fois de plus plongé la classe politique et médiatique dans des abîmes de perplexité, confirmant (en toute modestie!) ma comparaison avec les courses de lévriers, et par la même occasion, les excellentes références culturelles de ses porte-plume.

Mais ce discours, qui a enchanté une partie de la classe politique de droite, incluant les catholiques, a ses limites, ses contre-parties, et même ses inconvénients.

Les gauchistes de tous poils sont verts de rage, mais est-ce une fin en soi?
C'est même contre-productif, puisque cela donne sciemment des arguments aux extrêmistes, sans aucune conviction en retour!
Il faut lire les messages d'hostilité lus sur une multitude de forums et sites:

- Par exemple, sur le site AgoraVox, un article carrément pontifiant, qui se prend pour une analyse, sous le titre La drôle de poignée de mains du président Sarkozy: c'est tellement inept et grotesque que je ne résiste pas au plaisir masochiste d'en extraire un passage ("Peut-être même vient-il de recevoir sa confession"!!!): Une poignée de main savamment mise en scène
- Un autre, plus amusant, et moins méchant, mais qui ridiculise le président de la France, quand même, cela aurait pu être évité: La plouc attitude

Sur le blog "Rue 89" (dont la dénomination se passe de commentaire!), qui mélange la prose de Libération à celle de Golias, les intervenants ont beau jeu de l'épingler, lorsqu'il se prend pour le Pape lui-même, le temps d'un discours:
--------------



A Saint Jean de Latran il s’est glissé comme dans un nouveau lit, et (semble-t-il) avec quelque volupté, dans les rangs du corps ecclésiastique. Au mépris de sa place propre, celle où les Français l’ont élu. C’est ainsi qu’il remercie le cardinal Ruini de l’accueillir "au sein de son chapitre" et il va s’y vautrer avec son sans-gêne habituel, prenant le ton du prêcheur qui s’adresse à l’Eglise toute entière, à la manière du pape, et sur le même pied… ecclésiastique.

Il faut l’entendre faire le pape:

"Comme Benoît XVI, je considère qu’une nation qui ignore l’héritage éthique, religieux, spirituel de son histoire commet un crime…"

"Je partage l’avis du pape quand il considère, dans sa dernière encyclique, que l’espérance est une des questions les plus importantes de notre temps."

"Comme l’écrivait Joseph Ratzinger dans son ouvrage sur l’Europe…"
-----------



Le site "Les 4 vérités" a mis le doigt sur les vraies interrogations:

"Il a fait cette visite au pape pour faire oublier aux catholiques qu’il accepte la poursuite des négociations pour l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne...
Il est vain de vanter les racines chrétiennes de notre pays et, dans le même temps, de préparer l’adjonction de 70 millions de musulmans supplémentaires à une Europe qui en est déjà saturée
...."



Les arrières-pensées de Sarkozy

4 vérités
Jean Rouxel - 2 janvier 2008

Lors de son voyage à Rome, le 20 décembre, Nicolas Sarkozy a employé une formule dont on ne peut que le féliciter : « Les racines de la France sont essentiellement chrétiennes ». Le Président a ainsi rompu avec la rhétorique calamiteuse de son prédécesseur, Jacques Chirac : « Les racines de l’Europe sont autant chrétiennes que musulmanes ».

Dans son élan vers les catholiques, le président de la République a comparé la fonction présidentielle avec celle de prêtre : « Nous avons au moins une chose en commun. C’est la vocation. On n’est pas prêtre à moitié, on l’est dans toutes les dimensions de la vie. Croyez bien qu’on n’est pas non plus président à moitié. » Ces propos ont réjoui les catholiques, même si la présentation à Benoît XVI de l’humoriste Bigard - graveleux mais animé d’une foi ardente - en a défrisé certains. Sarkozy s’est justifié à sa façon carrée : « Amener Bigard chez le Pape, c’est ça la rupture. Je me fous des critiques. À travers Bigard, j’ai montré que le peuple aussi pouvait rencontrer le Pape. » Pourquoi pas ?

L’inquiétant, ce sont les arrière-pensées de Sarkozy.
-----------------

Il a fait cette visite au pape pour faire oublier aux catholiques qu’il accepte la poursuite des négociations pour l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Et qu’il fait ratifier, par voie parlementaire, le Traité simplifié qui facilitera cette intégration. Sont chrétiennes, non seulement les racines de la France, mais aussi celles de l’Europe. Il est vain de vanter les racines chrétiennes de notre pays et, dans le même temps, de préparer l’adjonction de 70 millions de musulmans supplémentaires à une Europe qui en est déjà saturée. Sarkozy ne se soucie pas de l’avenir de la civilisation européenne, mais des résultats de l’UMP aux élections municipales de mars prochain.

Si les racines chrétiennes le préoccupaient, il aurait exigé la mention de cette vérité historique dans le Traité européen simplifié. Mais c’était plus difficile que de prononcer quelques phrases bien sonnantes au Vatican.

En août, Benoît XVI viendra en France, « fille aînée de l’Église ».
Une aînée qui s’islamise rapidement : aides municipales à la construction de mosquées, multiplication de zones de droit musulman, séparation des sexes dans des piscines publiques, interdiction du porc dans des cantines scolaires… Sarkozy ne s’y oppose pas, lui qui, en 2004 – il était ministre de l’Intérieur – voulait modifier la loi de 1905 pour faire financer la construction des mosquées par les contribuables



Rémi Fontaine, dans Présent, s'interroge sur l'auteur du discours.
On a parlé d'André Guaino, de Max Gallo...
Il a relu, pour y retrouver ses "sources d'inspiration" le livre d'entretiens que Nicolas Sarkozy a publié en 2004 sous le titre: La République, les religions, l’espérance, et dont les interlocuteurs étaient le P. Verdin (qui était dans la délégation qui a accompagné le Président au Vatican) et le philosophe Thibaud Collin.
Retenons ce qui pourrait être le plus important, et dont les medias auraient dû nous parler, plutôt que de la minable "love story" du président, qui, reconnaissons-le, a pris lui-même l'initiative de brouiller les cartes:

« C’est au nom de l’idéal républicain que je reconnais à l’islam le droit d‘être compté comme une des grandes religions de la France. »



L’inspiration du chanoine

Rémi Fontaine, "Présent" du 3 janvier
----------------

Comme Henri Guaino pourrait être plus ou moins l’inspirateur des vœux de Nicolas Sakozy, plusieurs revues catholiques, après Yves Chiron dans Aletheia, ont laissé entendre que le P. Philippe Verdin, dominicain, pourrait être l’inspirateur du fameux discours du tout nouveau et unique chanoine honoraire de Saint-Jean-de-Latran

Rappelons que le P. Verdin (qui était dans la délégation qui a accompagné le Président au Vatican) est, avec le jeune philosophe Thibaud Collin, l’interlocuteur de Nicolas Sarkozy pour le livre d’entretiens qu’il a publié en 2004 au Cerf : La République, les religions, l’espérance.

Né en 1966, ce religieux dominicain, éditeur et journaliste, (ancien) scout unitaire de France, a publié un ouvrage intéressant mais un peu court sur la spiritualité du scoutisme : Les pieds sur terre et la tête dans le ciel (Cerf 2002). Puis deux romans, La grande tribu (La Table ronde, 2004) et L’assassin de Tassin (Le Rocher, 2006), dont le premier (que j’ai lu) dépeint étrangement une espèce de communautarisme mondain « BCBG » plutôt déconcertant de la part de cet aumônier scout. Mais notre attention se porte surtout aujourd’hui sur ces entretiens avec Nicolas Sarkozy laissés aux bons soins de notre frère prêcheur, où l’on retrouve certains thèmes du discours du Latran, notamment l’espérance. Alors que d’autres thèmes de ce livre sont seulement sous-jacents, implicites dans le discours historique du 20 décembre, dont les reliefs saisissants ne doivent pas cependant occulter les creux.

Ceci dit pour relativiser l’enthousiasme de certains commentateurs cathos, qui oublient un peu vite que « la laïcité positive » de Sarkozy est, comme face souriante du laïcisme, ce que les confesseurs appellent une tentation sous l’apparence de bien…

Nous avons déjà eu l’occasion d’expliquer en quoi cette laïcité positive, qui paraît s’opposer généreusement au laïcisme de stricte observance, repose en fait sur le même mythe égalitaire et libertaire, ignorant de surcroît la nature dangereusement théocratique de l’islam. A l’inégalité protectrice, qui fonde toute civilisation et singulièrement la civilisation chrétienne, Sarko propose une sorte d’égalité destructrice, de bouillon de cultures, qui favorise la Révolution, le laïcisme et la culture de mort ; contre-culture qu’il dissimule cauteleusement sous une fausse liberté religieuse, où perce néanmoins la devise (maçonnique) : « Dissoudre et coaguler »... Par un funeste pacte républicain ou laïque, on passe seulement de l’état de nature du laïcisme intransigeant au contrat social de la laïcité positive, lequel, plutôt que de faire taire la religion, l’aliène carrément sous couvert de favoriser les religions (cf. La laïcité dans tous ses débats, Editions de Paris, 2004).

Rappel par quelques citations du livre de Verdin-Sarkozy (qui sont en quelques sorte le filigrane ou le négatif du discours du Latran) : « C’est au nom de l’idéal républicain que je reconnais à l’islam le droit d‘être compté comme une des grandes religions de la France. » Objection cependant de l’un des deux interlocuteurs : « Pour une religion qui tend, par nature, à l’expansion, peut-on réellement croire que ce “fondamentalisme républicain” pourra résister à l’intégrisme ? » La réponse (p. 89) de Sarkozy-imperator (très bonapartiste en la matière) vaut son pesant de laïcisme confessionnel, autrement dit son mépris des religions, par son indifférence à la (vraie) religion, au contraire de ce qu’il prétend comme postulat de sa démarche. Avec cette conclusion révélatrice, à mettre en marge du « sermon » du Latran : « Il n’en reste pas moins qu’aucune religion n’a de leçon à donner aux autres si on prend un peu le recul de l’histoire. »

Voilà bien la vraie discrimination positive du Président au-dessus des religions (y compris celle qui est aux racines de la France) avec sa laïcité positive : seule la (contre)religion des DHSD (droits de l’homme sans Dieu) peut donner des leçons aux autres, selon une inversion architectonique de l’ordre naturel et chrétien, par une subordination du spirituel au temporel.
Voilà bien, au-delà des apparences séduisantes, la véritable inspiration du chanoine de Saint-Jean-de-Latran : la tête sur terre et donc les pieds au mur, comme le jongleur du laïcisme…



Conclusion

Ce discours du Latran est finalement infiniment plus intéressant par ce qu'il révèle en négatif, que par son contenu.
Il a déchaîné des passions et des haines bien inutiles, et totalement disproportionnées à sa substance, sinon à ses intentions.

Patrice de Plunkett consacre son dernier billet aux "mots de Sarko", comme pour signifier que ces mots ne cachent qu'un grand vide.
A moins qu'il ne s'agisse d'une forme de provocation, bien dans le style du nouveau président.

A propos de sa dernière sortie sur la politique de civilisation, les commentaires sur son billet sont le meilleur:
---------------------
Il y a comme cela de temps en temps des termes en apparence très profonds qui, comme le disait Sacha Guitry sont avant tout très creux.
....
Il existe une [politique de civilisation] pourtant qui pourrait « faire l’affaire »….C’est la « civilisation de l’Amour ! » Des gens très bien en ont parlé…Suivez mon regard….Mais je ne crois pas que notre Président ait pensé à celle-ci….A moins que...A moins que Benoît XVI ne le lui ait soufflé récemment dans le creux de l’oreille en lui demandant de ne pas en parler tout de suite….
-----------
Le président a-t-il une vision politique ou une stratégie de communication? Je penche plutôt pour la seconde alternative. Il a l'art et la manière, comme tout démagogue (et il est plutôt bon en la matière), d'adapter son discours à l'auditoire concerné. Il sent que son électorat de base à tendance à être décu, alors il multiplie les rappels et les symboles. Si le discours du Latran rassure certains électeurs cathos, tant mieux pour eux mais, j'ai peur qu'ils ne soient bien vite décus.



<<< Sarkozy et la laïcité à la française



Version imprimable