Sarkozy, Dieu... et Le Monde

Un méchant article d'Henri Tincq, qui ne devrait pas surprendre, quoique...
J'ai rarement lu autant de méchanceté.. refoulée, sous sa plume. Sans parler des contre-vérités flagrantes.

Qui peut croire un seul instant à l'éducation catholique ultraclassique de Nicolas Sarkozy?
Faire semblant de supposer, encore une fois un seul instant, qu'on ait pu le prendre pour une "grenouille de bénitier", c'est se moquer du monde!
Nous apprendre qu'avant d'aller à Rome, il a "parcouru" l'encyclique (on s'en doutait un peu!) c'est insultant pour le pape.

Ranger parmi "les hommes de foi les plus fervents" deux prêtres atypiques, et pour le moins discutables, n'est-ce pas aussi insulter tous les autres?

Evidemment, Tincq n'est pas dupe, puisqu'il parle des "courtisans", mais l'allusion à Bigard, "pornocrate mais populaire", qui n'aurait pas été "une erreur de casting" n'est ni plus ni moins que de la provocation, et du mépris pour les catholiques.

Quant à ces intellectuels catholiques qui se seraient vus refuser le voyage à Rome, on peut douter de leur réalité. (pas un ministre, non plus: quand on emmène un tel cortège, c'est qu'on n'a rien d'autre sous la main!)

Je préfère ne pas m'attarder sur Emmanuelle Mignon, la "conseillère spéciale", major de l'ENA, passée par les scouts dont on recueille pieusement les propos (dérision?), ceux qui ont vue sa "tenue" et son attitude devant le Saint-Père apprécieront ses commentaires comme ils le méritent.

Tout est pénible, dans cet article, y compris les lamentations du Père Gilbert prétendument "écartelé". A qui d'ailleurs croit-il faire plaisir avec son vocabulaire de charetier, sinon au plumitif émoustillé qui répète avec délectation ses grossièretés?

On sent au final qu'Henri Tincq se réjouit de remuer cette vase.
Et surtout, et c'est le plus méchant, de réduire le catholicisme en France à cette image [..] qu'on connaît (ah bon???) des grenouilles de bénitier et d'une secte résiduelle, balayée par les vents de l'histoire ?



Sarkozy et Dieu

LE MONDE | 14.02.08 |

C'était écrit. Il suffit de relire La République, les religions, l'espérance (Ed. du Cerf, 2004). Dans sa "bible", écrite avec, entre autres, un père dominicain, Philippe Verdin, le président dévoilait sa volonté d'en finir avec ce qu'il appelle en privé la "laïcité de papa". Elu, il décline ses convictions à Rome, puis à Riyad : la religion est un fait de culture et d'identité. Elle fonde toute morale, et la laïcité n'est pas antireligieuse.

Henri Guaino, son présumé "gourou", lecteur de Georges Dumézil, Jacques Berque et Jean-Pierre Vernant, fait profession de foi laïque, mais interroge : "Qui peut nier l'évidence que la transcendance est une étape capitale de l'histoire humaine et l'immanence la mère de tous les totalitarismes ?"
Depuis deux mois, le camp laïque vit dans une transe qui ne ressemble pas aux guerres d'antan (l'école privée, le voile), mais traduit son désarroi face au "retour du refoulé" (Dieu).
Ses proches et ses biographes sont peu diserts sur l'éducation catholique ultraclassique de Nicolas Sarkozy. Il va au catéchisme et fait sa première communion à Paris. Depuis, il s'affiche comme "catholique", ajoutant avec humour qu'aucun catholique au monde, et chef d'un Etat laïque, n'a autant fréquenté de mosquées que lui!

Catholique "sociologique" donc, pratiquant très occasionnel. En vacances à Arcachon, il va à la messe dominicale avec Cécilia et leur fils, Louis. Comme président, il n'y va plus. On l'a vu marmonner une prière à la basilique du Latran, où le "chanoine" est venu chercher son titre, mais la rumeur selon laquelle il aurait communié aux obsèques de Mgr Lustiger était fausse. Aucun chef d'Etat, y compris de Gaulle, Giscard et Chirac, n'a jamais communié à Notre-Dame.

Tout sauf une grenouille de bénitier, donc. Philippe Verdin, qui passe pour son aumônier, s'esclaffe : "Je ne suis pas le Raspoutine de Sarkozy. Il ne m'a jamais demandé la confession, ni interrogé sur la situation des divorcés-remariés par rapport à l'Eglise." Le président se situerait, "comme tout le monde", dans une "zone de foi et de non-foi".

COMPÉTENCE INTUITIVE

Pour Emmanuelle Mignon, sa directrice de cabinet, ex-élève des jésuites, ancienne commissaire nationale des Scouts unitaires et major de l'ENA, Nicolas Sarkozy ressemble à tous ces gens qui passent par "des moments où on y croit et des moments où on n'y croit pas, où on y croit moins ou plus du tout." Il n'en dit jamais plus sur ce chapitre. C'est la part de mystère et d'ombre que cultive cet homme réputé exhibitionniste, par goût du paradoxe ou pour brouiller les pistes.
Il sent la question religieuse avec "un flair de chien de chasse", observe Denis Tillinac, fin connaisseur des milieux postgaullistes. Sarkozy n'a rien de commun avec la vieille démocratie chrétienne et joue à contre-emploi avec François Bayrou sur ce terrain de la laïcité.
Mais "plus que Mitterrand et Chirac, ce type est une éponge, assure Tillinac. Il n'était quasiment pas né en Mai 1968, mais a vite senti qu'il fallait le récuser. Vite senti que l'islamisme deviendrait la seule alternative au capitalisme mondialisé. Vite senti qu'il n'est plus possible de confiner la religion à la seule sphère de la vie privée. Si elle ne doit pas exister en public, alors rasons Notre-Dame de Paris".
Bref, Nicolas Sarkozy lève le tabou de la laïcité. Impulsif, provocateur, c'est aussi un "libéral" : en France, on a le droit de croire, mais aussi de le montrer. Et ce n'est pas de l'électoralisme, insiste Mme Mignon : "La politique, c'est le combat des idées, et un président a le droit, mais aussi le devoir, de parler de choses comme la vie, l'amour ou la religion."

Son cabinet reste frappé par la ténacité avec laquelle, ministre des cultes, il s'était saisi du dossier de l'islam, que ses prédécesseurs se refilaient comme un mistigri. Il se souvient de ses colères quand on lui présentait "deux ou trois notables musulmans", alors qu'il réclamait de recevoir tout ce qui compte dans la communauté, y compris Tariq Ramadan et les radicaux de l'Union des organisations islamiques (UOIF). Devant les manœuvres de Dalil Boubakeur, recteur de la Mosquée de Paris, il aurait eu maintes fois l'occasion de torpiller le projet de Conseil français du culte musulman (CFCM), mais il a imposé l'armistice à ses chefs.

Sa compétence en la matière est intuitive. Avant d'aller voir Benoît XVI à Rome, il a parcouru sa dernière encyclique sur l'"espérance". Mais il n'est familier ni des méandres des institutions religieuses, ni des philosophes spécialisés, ni des Ecritures sacrées, même s'il n'est pas aussi inculte qu'il le dit dans cette sorte d'"autodérision" qu'il cultive parfois et qui amuse son entourage.

C'est par les "hommes de foi" les plus engagés et les plus fervents qu'il apprend le métier. Et là, il est intarissable. "Il est capable de parler des heures d'Amélie Mauresmo ou d'un grand chanteur, puis de passer à l'Abbé Pierre, à Guy Gilbert, au cardinal Barbarin ou à Sœur Emmanuelle", dit un proche.
Il est fasciné par les religieux, imams, rabbins ou prêtres, parce qu'ils ont en eux quelque chose de radical et de mystérieux. Il l'est par tous ceux qui aspirent à un dépassement d'eux-mêmes. Sa "candeur de gamin" devant les champions et les stars fait sourire, mais "avec Dieu, il a le top du top, le champion des champions", s'amuse Tillinac.
Quand Alexis II, patriarche de Russie, est reçu à l'Elysée, Sarkozy tombe dans les bras du cardinal Etchegaray, proche du pape, qui l'accompagne. En 2005, après l'assassinat de Frère Roger, il débarque à Taizé (Saône-et-Loire) après l'Evangile, mais tient sa promesse de le saluer à ses obsèques. L'année suivante, il est en Algérie sur la tombe des moines de Tibéhirine. En faisant l'aller-retour des Etats-Unis, en août 2007, pour les funérailles du cardinal Lustiger, il "bluffe" tout le clergé de Paris. Et il attend son tour, après 700 prêtres, pour aller bénir le cercueil.
Dans ce contexte, Bigard au Vatican, était-ce une erreur de casting ? "Bigard, c'est un type qui va à la messe, prie dix fois par jour et est généreux comme pas deux", s'insurgent les courtisans. Le cabinet avait prévu une délégation d'intellectuels catholiques, mais Sarkozy n'en a pas voulu.

Il a une telle soif de revanche sur l'establishment, dit un proche, qu'il va toujours chercher "ses repères symboliques dans les paroxysmes : l'Abbé Gilbert, avec ses santiags et ses blousons de cuir, Bigard, pornocrate mais populaire. Et, au fond, n'est-il pas mieux de donner du catholicisme une autre image que celle qu'on connaît des grenouilles de bénitier et d'une secte résiduelle, balayée par les vents de l'histoire ?"

DISCOURS "LIMITE"

Reste que cela fait désordre. Les sondages en chute libre n'épargnent pas le président dans les électorats religieux. "Il a donné tellement de gages à Israël que les juifs de France ne craignent pas d'être lâchés", observe un sondeur. Les musulmans savent aussi qu'ils ont sa sympathie. Mais les catholiques restent presque de marbre. L'épiscopat, le Vatican, n'ont pas bronché après le discours, apprécié mais sans plus, du Latran.

"Je suis écartelé, confesse Guy Gilbert, le "curé des loubards". Je gueule contre les expulsions d'immigrés et les tests ADN, mais Sarkozy est un mec fidèle. Il a donné des coups de main incroyables à mes jeunes. Mais ça fait des années qu'on pisse et qu'on chie sur les croyants. Alors, quand le grand pape Sarkozy ose dire que la religion aide les gens à espérer ou, à Riyad, que les chrétiens immigrés d'Arabie sont moins bien traités que les musulmans en France, je dis bravo."

De leur côté, les laïques ne désarment pas contre ces discours présidentiels. Les historiens de la laïcité, comme Jean Baubérot ou Sébastien Fath, ont reproché au président, dans son discours de Rome, son manichéisme, oubliant le catholicisme "intransigeantiste" du XIXe siècle et donnant aux seuls clercs la palme du martyre.
L'Elysée admet que ce discours était "limite", qu'il aurait mieux valu éviter de dire que "l'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur". Mais Emmanuelle Mignon s'élève contre la "reconstruction de l'histoire", selon laquelle la loi de séparation de 1905 serait passée "en douceur". "Trente mille religieux français ont été expulsés. Qui s'en souvient ?", interroge le Père Philippe Verdin.

Mêmes critiques après le discours de Nicolas Sarkozy à Riyad, citant Dieu à treize reprises, louant la "modération" de l'islam (wahhabite) en Arabie saoudite.
"Plume" de ce discours, Henri Guaino réplique : "Le but n'était pas de faire la leçon au régime saoudien, car si le pacte entre les wahhabites et la famille Saoud s'effondrait demain, ce serait la catastrophe. Tout centimètre gagné là-bas dans le sens de l'ouverture est donc bon à prendre. Il faut aider ceux qui veulent transformer l'islam dans le sens opposé au fanatisme."
Le conseiller spécial du président de la République pense pourtant qu'il est temps de calmer le jeu : reconnaître le "fait religieux", ne pas s'aveugler sur son rôle dans la crise des identités et la politique de civilisation, mais pas au risque de réveiller les vieux démons. "Il ne faut pas rouvrir un débat, dit-il au Monde, qui, en France, n'intéresse personne jusqu'au jour où il est rouvert. Car le jour où il est ouvert, cela devient la guerre civile."

Henri Tincq



Laïcité: les bonnes lectures de N. Sarkozy

Version imprimable