Athées dévots, en Italie


On a beaucoup parlé, ces temps-ci des "athées-dévots".
C'est un courant de pensée né en Italie, qualifié de réactionnaire par la majorité des blogs sur Internet, ce qui est loin d'être une insulte!

Il s'agit de laïcs qui reconnaissent que la raison moderne est fondée sur des valeurs étroitement apparentées au christianisme et qui cherchent dans l’Eglise catholique un renforcement de l’identité occidentale (source)

On peut discuter du renforcement de l'identité occidentale, mais pour le reste, il s'agit bien de ces hommes de bonne volonté qui défendent, avec le pape, et selon ses propres dires, des valeurs qui appartiennent non pas à la religion, mais à l'humanité.
C'est à ce titre qu'il avait reçu Oriana Fallacci, peu avant sa disparition.

L'un des représentants de ce courant est Giuliano Ferrara, un homme politique italien, qui après un parcours compliqué - comme beaucoup d'hommes de la génération post-68 - qui l'a mené du PCI au gouvernement de Berlusconi, est aussi fondateur d'une légende du paysage journalistique italien "Il Foglio", un journal qui a la particularité d'être publié sur une feuillet unique; il a fait récemment parler de lui au plan international en demandant que soit appliqué en Italie un moratoire sur l'avortement.

Il bénéficie cette semaine d'une "tribune" (ou un éditorial?) d'une page entière dans le magazine de news italien Panorama.
Ce qu'il dit de l'intolérance du laïcisme, de l'impossibilité du débat (il parle de l'Italie, mais il n'est pas difficile de transposer ici, où le débat est encore plus verrouilé, ou plus inexistant, faute de protagonistes!!), rejoint ce qui a été dit sur d'autres blogs italiens, notamment ici: Une "lectio magistralis" de libéralisme

Ma traduction



LIBRE PENSÉE ET LIBERTÉ NIÉE

Il est ridicule de défendre le Pape, qui se défend tout seul.
Il est inutile d'insulter les mauvais maîtres qui lui ont ôté la parole à l'université, parce qu'ils s'insultent tous seuls.
Je préfère dire ce que je pense comme "athée dévot" (l'expression est auto-ironique, il me faut le préciser dans un Pays aussi dépourvu d'ironie).

Il fallait s'attendre un acte de censure violente envers l'évêque de Rome.
Depuis des années je soutiens que le laïcisme et le sécularisme sont en train de se transformer partout en pensée unique, conformisme forcé, refus d'un vrai dialogue, idéologie c'est-à-dire fausse conscience de la réalité.
Depuis des années je soutiens que nous avons substitué à la religion comme révélation et foi dans la transcendence, la religion de l'immanence et du vide. Et je pense que les prêtres de cette religion, abyssalement éloignée de la vraie laïcité et de la charité, de la démocratie libérale et de la tolérance, sont parfaitement représentés par ce groupe de professeurs ignorants qui ont mal interprété, par laisser-aller intellectuel, un ancien discours de Joseph Ratzinger sur Galilée; une fois démasqués, ils lui ont fait dire le contraire de ce qu'il pensait et finalement ils ont saisi le prétexte de ces paroles pour l'empêcher de parler dans une université fondée par un pape il y a des siècles, et aujourd'hui dégradée par le sectarisme laïciste en lieu d'exclusion de la confrontation intellectuelle.

Ezio Mauro, directeur de la Repubblica, aurait dû prendre acte que ce fait me donne raison.
Au contraire, il lance une autre opération de camouflage idéologique de la réalité.
Et le directeur de la Repubblica écrit que les athées-dévots, ainsi qu'on les nomme (ironie, auto-ironie), barbotent avec délice dans les nouvelles divisions de la conscience occidentale, parce que personne ne leur demande de croire (demander de croire? s'agirait-il de conversion forcée?) et qu'ils prennent dans la culture chrétienne ce qui les arrangent, pour réfléchir sur l'éthique comme problème moderne, dégradant ainsi le Christianisme.

Mais un laïc non croyant qui n'adhère pas à l'Église ultra-séculariste de Mauro, que doit-il faire?
Se mettre à genoux et prier en privé?
Se taire et éviter de faire l'opération la plus laïque de toutes, celle que lui offre le laïc Ratzinger et lui dénie le clerc Mauro, c'est-à-dire choisir dans le dépôt de culture et de foi du Christianisme les éléments sur lesquels il peut dialoguer avec le monde, au nom d'une raison qui est capable de comprendre l'espace public de la religion?

C'est ainsi, malheureusement.
On commence à ne plus pouvoir plus discuter librement, dans le théâtre de guerre du nouvel anticléricalisme, qui est un cléricalisme séculariste, contre l'ouverture rationnelle des papes.
...
Même un homme intelligent comme l'historien Adriano Prosperi, à quelqu'un qui, comme moi, dit être contre l'avortement et vouloir mettre un codicille favorable à une définition plus forte de la vie dans la Déclaration des droits de l'homme, répond qu'on ne touche pas la loi 194 (ndt: il s'agit de la loi italienne dite "194", du 22 mai 1978 qui précise les conditions de dépénalisation de l'IVG), c'est-à-dire une loi que personne ne veut toucher et, nouveauté laïque positive, que l'Église elle-même dit vouloir appliquer dans toute sa portée.
Pourquoi un homme de science se comporte-t'il ainsi?
Parce que, n'ayant pas d'arguments, il emploie celui de la violence idéologique : tu es contre les femmes et contre la liberté. L'homme de science entreprend une croisade qui fait fi de de la valeur laïque des pensées différentes de la sienne.

Je ne suis pas victimiste par nature. Je suis un laïque sérieux et j'aime l'ironie et l'auto-ironie, je l'ai dit. Je suis têtu et je cherche à parler avec tous ceux qui pensent librement. Je n'exclus du dialogue que ceux qui s'octroient la liberté de pensée comme un étendard qui leur permet d'empêcher les autres de penser et de parler.
Mais bienheureux un pays où les professeurs ne sont pas ignorants comme des bourriques, où les gens sérieux savent que pour discuter il faut être deux, ne déforment pas les positions de l'interlocuteur, le comprennent, même sans partager ses idées et ses passions.
Difficile, la béatitude, dans un Pays où la majorité de l'université a chassé le philosophe Lucio Colletti, l'historien Renzo Da Felice, le syndacaliste Luciano Lama, et maintenant envoie métaphoriquement au bûcher le savant et doux évêque de Rome.


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