La laïcité "réprimée"

Le dernier numéro de l'hebdomadaire italien "L'Espresso", titrant sur les vicissitudes actuelles de la politique italienne, propose un éditorial édifiant (s'il est permis de s'exprimer ainsi), intitulé "Laïcité réprimée" (Laicità repressa).
Un chef d'oeuvre de mauvaise fois, une synthèse de cathophobie, un concentré d'arguments fallacieux.
Rien que le titre dit l'inversion de rôles, le "changement de signe" (cf Rémy Brague): c'est la "laïcité" qui est réprimée!!

Lorsqu'on commence par réduire le Pape à sa seule fonction de chef d'état, justifiant ainsi le droit -au nom de la démocratie et d'une inversion de la liberté d'expression- de l'accueillir partout où il va par des lazzi et des sifflets, on a évidemment l'intention de tout mélanger, pour justifier l'inacceptable.
On utilise contre le Vatican les mêmes arguments que contre Le Pen en France (eh oui!): il serait à l'origine -volontaire- d'une campagne de victimisation!!! un comble.
On se réjouit donc sans pudeur qu'en dépit des coup de klaxon et les fanfares cléricales, ... le processus de sécularisation progresse.
Et la conclusion reprend le titre comme en écho avec cette stupéfiante contre-vérité:
"S'il y a un problème de minorités offensées et marginalisées, aujourd'hui, en Italie, il concerne, encore une fois, comme dans les siècles passés, les laïques. Certainement pas l'Église, omniprésente dans tous les media."

A lire, pour fourbir des arguments avant la venue du Saint-Père en France (quand?)
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Ma traduction (d'après l'édition papier)


Laicità repressa

Piero Ignazi, L'Espresso 31 janvier 2008, page 19
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La Cité du Vatican, en termes de droit international, est un État souverain titulaire de "soggettivitta internazionale" . Il est admis comme observateur permanent à l'Onu, maintient des représentations diplomatiques auprès des organismes internationaux et échange des ambassadeurs accrédités avec le monde entier. En termes institutionnels la Cité du Vatican est une sorte de monarchie élective. Au sommet de l'Etat, il y a en effet une figure assimilable à un président à vie, élu par un conclave de "notables" (les cardinaux. Le pontife exerce son activité entouré de conseillers choisis par lui (comme dans les cours, autrefois) auxquel sont confiées des tâches et des fonctions diverses; mais c'est lui qui est à l'origine de chaque initiative dans le dommaine civil, autant que religieux évidemment.

Comme il est écrit sur le site officiel du Vatican, "dans l'exercise de son suprême, plein et immédiat pouvoir sur toute l'Église, le Pontife romain se sert des dicastères de la curie romaine, qui, pour cette raison, accomplissent leur travail en son nom et sous son autorité, au profit des Églises et au service des pasteurs".
Du reste, l'aticle 1 de la Constitution de la Cité du Vatican, entrée en vigueur le 22 février 2001, ne laisse place à aucun doute sur son rôle : "Le Souverain Pontife, Souverain (sic) de l'État de la Cité du Vatican, a la plénitude des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire".

Eh bien, sur la base de ces données, en desssous du profil juridico-politique, le Souverain Pontife Benoît XVI est, avant tout, un chef d'État. Et, comme tout autre chef d'État, lorsque il va en visite dans un autre pays, il peut être objet d'hommages et encensé, ou bien il peut être critiqué et contesté. Avant toute évaluation de l'événement de l'invitation à la Sapienza de Rome, ceci est le noeud de la question. Quiconque met le pied dans un État démocratique, comme le reste encore l'Italie - peut-être pour peu de de temps et même avec ses énormes défauts et manquements - est subordonné aux règles de la démocratie. Au sommet desquelles il y a la liberté d'expression, qu'elle soit verbale ou pas.

Lorsque Richard Nixon vint en Italie et que la réception en son honneur fut dérangée par des manifestations sur la place, parvenues jusqu'aux pièces feutrées du Quirinale, "ce" président répondit à ses amphytrions gênés : "Non problem, this is democracy".
Tout ceci étant dit, reste le versant politique de la question. Et même, plus que politique, celui des bonnes manières : sur ce point les "papa-fans" ont des arguments à revendre, on n'invite pas quelqu'un en sachant qu'on l'expose à des contestations déplaisantes. On commence par vérifier qu'il sera accueilli avec un large consentement, ensuite, s'il y a des opposants irréductibles, on surseoit.
Le gâchis et la vilaine figure retombent entièrement sur le recteur de la Sapienza.
Habilement, la Curie vaticane a saisi la balle au bond pour entamer une campagne de victimisation, en permettant aux sycophantes de service de lancer d'hallucinantes proclamations sur la négation de la "liberté d'expression". L'épisode met de toute façon le projecteur sur l'état de la laicité en Italie. D'un coté elle est, c'est un fait, pratiquement réduite au silence par l'agression verbale continuelle que les hiérarchies ecclésiastiques, tous ordres et types confondus, déchaînent contre ceux qui ne s'alignent pas. Mais de l'autre côté, en dépit des coup de klaxon et les fanfares cléricales, "Il foglio" en tête, le processus de sécularisation progresse. Des études menées sous la direction du professor Renato Coppi, pour l'Observatoire sur le Sécularisme et publiées par "Critica Liberale" montrent à quel point la sécularisation a constamment progressé de 1991 à 2004 (date du dernier relevé). Ce processus trouve confirmation dans la conclusion affligée d'une recherche approfondie menée par [trois chercheurs], selon laquelle "Dieu, le Christ, la Bible, sont devenus y compris pour certains fidèle,s des objets incertains de foi".

Pour faire face à cette détérioration, l'Église est montée d'un cran dans la confrontation, en intervenant dans chaque secteur de la vie civile italienne (et d'autres pays). ... Et elle ne se limite pas aux aspects très matériels et terre à terre (on voit la péroraison sur les hôpitaux catholiques de la capitale faite par le pape au maire et aux présidents de la Région et de la Province la semaine dernière) : l'Église prétend même délégitimer toute autre éthique non fondée sur les principes de la foi catholique, comme si les non-croyants ou les tenants de la libre pensée étaient une sous-espèce morale, des Untermenschen de l'âme.
S'il y a un problème de minorités offensées et marginalisées, aujourd'hui, en Italie, il concerne, encore une fois, comme dans les siècles passés, les laïques. Certainement pas l'Église, omniprésente dans tous les media.


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