Les catéchèses
I. Sa vie
II. Dernières années
III. Foi et raison
IV. Oeuvres
V. Les trois conversions
Compléments
Un intellectuel post-moderne

Article original en italien ici: http://www.et-et.it/
Ma traduction



Corriere della Sera Magazine. 30 mars 2006

Davide Perillo

Benoît XVI ? Un intellectuel post-moderne
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« Vous voyez, la façon de procéder de Ratzinger, je l'ai comprise encore mieux l'été dernier, lorsque j'ai passé quelques jours dans une Kurhaus de la Suisse allemande".

- Je vous demande pardon, quel rapport entre le Pape et une maison de santé?
« Pendant une semaine, les médecins m'ont seulement fait des examens: au moins quatre ou cinq, sans rien me dire. Aucune thérapie. Les soins ont commencé après. D'abord, il fallait faire un diagnostic ».
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Voilà donc la "méthode Ratzinger", vue par quelqu'un qui le connaît bien.
C'est Vittorio Messori, écrivain et journaliste qui sous l'étiquette (vraie) d'"essayiste catholique le plus lu au monde" a derrière lui des journées entières passées à discuter avec Karol Wojtyla et Joseph Ratzinger, pour en tirer des best-seller mondiaux (les livres-interview 'Varcare le soglie della speranza' e 'Rapporto sulla fede' qui se sont vendus à des millions d'exemplaires) mais aussi, et surtout, une connaissance personnelle des deux Papes dont peu peuvent se vanter. La personne la mieux désignée pour tirer un bilan, donc.
À un an de la mort de Jean-Paul II, qui, le 2 avril 2005, mit fin au troisième plus long pontificat de l'histoire (26 ans et demi), et de l'élection de Benoît XVI, qui par rapport aux Pontife polonais est différent en tout. Et à quelques jours du Consistoire qui a créé 15 nouveaux cardinaux - dont quelques-uns constituaient une surprise -, donnant une nouvelle accélération aux changements initiés ces derniers temps par Papa Ratzinger. ...
... Un Pontife qui, au cours des mois suivant l'élection avait déconcerté tout le monde par sa lenteur. Beaucoup d'observateurs avaient prévu des restaurations massives et radicales, adaptées au Panzerkardinal qui, selon la vulgate, avait régné pendant 24 ans sur l'ex Saint-Office.
Benoît XVI a vite fait comprendre qu'il n'avait rien de la machine de guerre.
Tout au plus, il ressemble à une charue. Il passe lentement, mais constamment. Il déplace la terre, ne la tasse pas. Et il le fait pour semer.

« Je dois être sincère : quelquefois, au cours des derniers mois, je me suis surpris moi-même à penser "Sainteté, il faut bouger un peu!"», confesse Messori .
«Il me semblait qu'il faisait peu. En réalité, ce n'est pas le cas. Benoît XVI est un homme qui n'aime pas les tribunes et les bains de foule, il a réduit de façon drastique les engagements publics. Cependant il fait ce que Wojtyla négligeait un peu : il étudie les dossiers. Une des accusations qui étaient faites à Jean-Paul II était de s'occuper beaucoup du monde, mais peu de l'Église : il n'avait ni le temps ni le désir d'étudier à fond les documents. Ratzinger est le contraire. École allemande, justement. On prend le temps pour le diagnostic avant de mettre au point le traitement».

- Ensuite, il décide. Et il le fait lui-même. Au Vatican , tous en parlent comme de quelqu'un qui écoute chacun, mais ne délègue les choix à personne. Est-ce bien cela?
« C'est une autre différence par rapport à Jean-Paul II. 80 pour cents de ce que lisait ou publiait Wojtyla était l'oeuvre de son staff. Il supervisait. Jean-Paul II voulait être omniprésent, dans tous les domaines: s'occuper de tout et dire son mot sur tout. Poour cette raison, il était contraint de ne pas faire tout seul. Ratzinger, par contre, ce qui dit ,il "se l'écrit", à son bureau. Dans Deus caritas, on le comprend très bien : on le lit dans la syntaxe allemande, et on y retrouve son style. Mais la même chose vaut pour les occasions publiques. Dans sa boulimie de rencontres, Wojtyla recevait toujours quelqu'un : de la messe dans la chapelle privée à l'aube, aux dîners, aux réunions en rafale. Ratzinger non : il a réduit de 70% les audiences privées et a limité les voyages à trois ou à quatre par an, pas plus».

- Voulez-vous dire que c'est un Pape moins accessible que son prédécesseur?
« Seulement dans un certain sens. Essayez de regarder les photos et les films de Wojtyla au milieu de la foule. On le voit serrer des milliers de mains, mais toujours au pas de course, en regardant peu les visage de ses interlocuteurs. Ratzinger non. Il regarde les gens dans les yeux, toujours. Il s'arrête pour leur parler, un par un. Il veut savoir qui est devant lui. Question de caractère, c'est clair. Mais pas seulement. Wojtyla était un "homme de chrétienté" : il voulait que l'Évangile soit annoncée aux peuples. Pour lui, la foule était sa maison. Ratzinger est un homme d'intériorité, un intellectuel post-moderne. Quelqu'un qui, s'il le pouvait, parlerait toujours et seulement les yeux dans les yeux».

- Pourtant lui aussi attire la foule, en dépit d'une autre prévision erronée du début du pontificat : à Cologne, en août, il y avait un million de jeunes, à l'Angelus, la place Saint-Pierre est pleine à craquer...
« C'est vrai. Joaquin Navarro-Valls me disait justement hier que les présences aux audiences avaient entre doublé et triplé».

- Et comment l'expliquez-vous?
« Avec deux raisons de fond. Primo: l'effet d'entraînement du prédécesseur. Il y avait peu de chose à faire : Wojtyla a ramené le Christ au centre du débat mondial. En 1978, à son élection, la crise de l'Église était à son apogée : à Saint-Pierre, il n'y avait que des touristes, et pas des foules. L'année dernière, à son enterrement, on a vu ce qui s'est passé ».

- Et l'autre raison ?
« Le titre d'un journal allemand durant les journées de Cologne l'expliquait bien : "Ratzinger, l'érudit qu'on comprend".
Benoît XVI est un professeur, mais il a un grand respect pour son interlocuteur. Il parle avec une densité et un sérieux absolus, mais en s'efforçant de se faire comprendre. Les gens le sentent. Ils perçoivent que c'est un homme bon ; quelqu'un qui ne veut rien te prendre, mais t'offrir quelque chose. Il ne veut pas vaincre, mais convaincre. Pour cela la foule est attirée par lui ».

- Venons-en au dossier-Eglise. Là aussi, les premiers mouvements ont été entonnés selon le même leitmotiv: réduire et simplifier. Est-ce une impression correcte ?
« Oui. Une fois je lui ai demandé : Eminence, j'imagine que vous, comme bavarois, seriez content si le centre de l'Église n'était pas à Rome, mais en Allemagne. Il il me regarda, un peu surpris, puis il me dit : "Par pitié, nous aurions une Église trop organisée. Et l'organisation étouffe l'esprit ". La vérité est que Ratzinger n'aime pas le côté baroque de la Curie et l'hypertrophie bureaucratique. Il pense que l'Église doit être allégée».

- Comment? Voulez-vous dire qu'on arrivera à une réforme drastique de la Curie ?
« Pour réformer la Curie, il faut un motu proprio, un document officiel du Pape. Il faut du temps. Il le fera, pour l'amour de l'Église. Mais je crois que, humainement, elle lui coûtera beaucoup de peine. Ce sera douloureux ».

- Pourtant, ce serait l'occasion de pêcher des visages nouveaux, peut-être un outsider. Il l'a déjà fait en partie , en nommant l'américain William Levada comme son successeur à la Doctrine de la foi...
« Mais au fond, il est lui-même un outsider. Cela peut sembler un paradoxe, parce qu'il était déjà à Rome depuis un quart de siècle et comme gardien de la foi, pas du tout comme un quelconque monsignore. Cependant dans la Curie, il était resté un corps étranger. Il s'occupait de son rôle et c'est tout. Il faisait des documents doctrinaux. Il étudiait. Il écrivait. Chaque semaine il voyait le Pape. Il rencontrait quelque autre cardinal. Mais des rapports véritables avec la machine, il n'en avait pas. De ce qui se passait dans les autres congrégations, il savait peu de choses. Des diverses conférences épiscopales mondiales, encore moins. Pour cela aussi, il a dû bien étudier la situation. Certes, il est probable qu'il s'appuiera sur des visages nouveaux. Mais sans créer autour de lui un réseau à mailles trop serrées ».

- Aucun clan, donc. Et aucune invasion d'allemands en vue : même le rapport professionnel avec don Georg Gaenswein, secrétaire personnel, est éloigné de celui de semi-camaraderie entre Jean-Paul II et Stanislaw Dziwisz, véritable deus ex machina de la gestion wojtylienne. Mais il est certain que des changements interviendront vite. Même au plus haut niveau.
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« La vérité est que Ratzinger a toujours été un penseur eurocentrique. C'est un intellectuel de la Mitteleuropa : un théologien occidental qui, même dans ses messages, d'une certaine façon a toujours l'homme occidental comme interlocuteur.
Il n'a pas d'illusions tiers-mondistes. Il sait que, malgré tout, le futur de l'Église se joue ici. Il y a des raisons théologiques : déjà dans les Actes des apôtres il semble y avoir un avertissement mystérieux sur la prédominance de l'Occident dans le développement de la foi. Mais il y a aussi des raisons historiques : des 'nouvelles' Églises, au fond, il n'est pas encore venu quelque chose de considérable, de comparable à ce qui, malgré tout, continue à être la vitalité du catholicisme européen. La théologie de la libération, vendue comme phénomène sud-américain, du point de vue théorique est entièrement l'oeuvre d'allemands et de français. Et même Église des Etats Unis, malgré les dollars et les 70 millions de fidèles, n'a jamais porté de nouveautés réelles : que ce soit un ordre important, un mouvement, un grand théologien...
Rien. Pour ne parler ni de l'Asie ni de l'Afrique : les congrégations ont l'illusion de remplir de nouveau leurs rangs avec des seminaristes qui viennent de là-bas, mais très souvent, ce sont des vocations fragiles. Benoît XVI a les idées claires : pour lui, il est plus important de tenir fermement une paroisse des Marches ou de redonner vie à l'Église en Bretagne que de conquérir des fidèles dans un diocèse africain».

- Peut-être est-ce la raison pour laquelle il cherche à ramener dans l'Église les lefevbriens (excommuniés par Jean-Paul II) et lance des signaux toujours plus forts aux orthodoxes. L'oecuménisme, pour lui, part de l'unité de l'Église...
« C'est clair. Et sur cette frontière européenne, l'orthodoxie a un rôle très important. Certains évêques ont mythifié des années durant le dialogue avec les églises protestantes historiques : eh bien, c'est un dialogue avec des fantômes. Luthériens, calvinistes et anglicans sont maintenant sans peuple : ils ont des professeurs, mais pas de fidèles. Dépenser de l'énergie avec elles sert à peu de chose. Le seul protestantisme vivant est celui qui est devenu fou : Adventistes du septième jour, évangélistes... Ou les Témoins de Jéhova, qui chez nous sont la troisième confession religieuse après des catholiques et les musulmans : pourtant l'Église ne s'en est jamais préoccupée, au-delà de la petite polémique. Le dialogue avec ces réalités est oecuméniquement incorrect. Mais je n'exclus pas que Ratzinger, en bon pragmatique,l'ouvre ».

- Et l'islam ?
« Là aussi, il fait le diagnostic, avant la thérapie. A coup sûr il est conscient que les musulmans ne sont pas un bloc unique: cela, il n'y a que Bush pour le penser, qui s'illusionne de pouvoir les combattre avec des bombes.

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Le Christianisme, l'unique foi outragée?
Vittorio Messori

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