Baptême de Magdi Allam: documents

La lettre d'Aref Ali Nayed

(Cité par Sandro Magister)
En ce qui concerne la décision délibérée et provocatrice du Vatican de baptiser Allam en une occasion aussi spéciale et de manière aussi spectaculaire, il suffit de dire ceci:

1. Il est triste que l’acte intime et personnel que constitue une conversion religieuse se transforme en un moyen triomphaliste de marquer des points. Une telle instrumentalisation d’une personne et de sa conversion est contraire eux principes de base de l’affirmation de la dignité de l’homme. De plus, cette conversion tombe au plus mauvais moment, alors que des représentants musulmans et catholiques sincères travaillent avec ardeur pour combler les fossés qui séparent les deux communautés.

2. Il est triste que la personne choisie en particulier pour ce geste hautement public soit connue pour avoir produit – et continuant à produire – des discours de haine. Le message central du dernier article d’Allam est identique à celui de l’empereur byzantin que le pape a cité au cours de son exécrable discours de Ratisbonne. On n’est pas loin de la vérité si l’on y voit une autre façon de réaffirmer le message de Ratisbonne – le Vatican soutenant toujours qu’il a mal été interprété. Il est maintenant important que le Vatican prenne ses distances par rapport aux positions d’Allam. Ou peut-être les musulmans doivent-ils interpréter le baptême administré par le pape au vu et au su de tous comme un soutien du Saint-Siège aux positions d’Allam sur la nature de l’islam (ce n’est pas un hasard si elles concordent avec le discours de Ratisbonne)?

3. Il est triste qu’à l’occasion de la célébration si particulière de Pâques, Benoît XVI ait choisi comme message fondamental de son discours religieux une opposition quasi manichéenne entre les symboles des “ténèbres“ et de la “lumière“, où les ténèbres sont attribuées aux “autres“ et la lumière à “soi“. Il est également triste que l’idée de “paix“ exprimée dans ce discours se réduise à amener les “autres“ vers la bergerie à travers le baptême. De la part de Rome, un discours si totalitaire est tout sauf bénéfique.

Le spectacle tout entier, avec sa chorégraphie, son personnage et ses messages, provoque de sérieuses interrogations sur les motivations, les intentions et les plans de certaines personnes que le pape consulte à propos de l’islam. Néanmoins, nous ne laisserons pas cet épisode malheureux nous détourner de notre effort pour poursuivre “A Common Word“ pour le bien de l’humanité et de la paix dans le monde. Notre dialogue n’est pas basé sur une logique de réciprocité de type “œil pour œil“. C’est plutôt une théologie compatissante pour “corriger ce qui nous sépare“, par respect pour le Dieu Amour et pour l’Amour du prochain.



La réponse du Père Lombardi

(Cité par Sandro Magister)
"Qu’il nous soit permis, à notre tour, de manifester notre amertume..."
par Federico Lombardi S.J.

Tout d’abord, l’affirmation la plus significative est sûrement que le professeur Aref Ali Nayed confirme sa volonté de poursuivre le dialogue d’approfondissement et de connaissance réciproque entre musulmans et chrétiens. Il confirme aussi qu’il ne met pas du tout en question le cheminement commencé par l’échange de lettres et les contacts établis, au cours des dix-huit derniers mois, entre les sages musulmans signataires des fameuses lettres et le Vatican, notamment par l’intermédiaire du conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. Ce cheminement doit se poursuivre, il est d’une très grande importance, il ne faut pas l’interrompre et il passe avant des épisodes qui peuvent provoquer des malentendus.

Deuxièmement, administrer le baptême à quelqu’un suppose que l’on s’assure qu’il a accueilli librement et sincèrement la foi chrétienne, dans ses articles fondamentaux, exprimés dans la "profession de foi". Celle-ci est proclamée publiquement au moment du baptême. Bien entendu, tout croyant est libre de garder ses propres idées sur une très large gamme de questions et problèmes qui suscitent chez les chrétiens un pluralisme légitime. Accueillir dans l’Eglise un nouveau croyant ne signifie pas, évidemment, que l’on adopte toutes ses idées et positions, notamment en matière politique ou sociale.

Le baptême de Magdi Cristiano Allam est une bonne occasion de réaffirmer expressément ce principe fondamental. Il a le droit d’exprimer ses idées, qui restent des idées personnelles et qui, bien entendu, ne deviennent en aucune manière l’expression officielle des positions du pape ou du Saint-Siège.

En ce qui concerne le débat sur le discours du pape à Ratisbonne, les explications sur son interprétation correcte selon les intentions du pape ont été données depuis longtemps. Il n’y a pas de raison de les remettre en question. Toutefois, certains sujets qui avaient été abordés alors, comme le rapport entre foi et raison, entre religion et violence, continuent bien sûr à faire l’objet de réflexions, de débats et de prises de position diverses, puisqu’ils renvoient à des problèmes qui ne peuvent être résolus une fois pour toutes.

Troisièmement, la liturgie de la Veillée Pascale a été célébrée comme chaque année, et la symbolique de la lumière et des ténèbres en fait partie depuis toujours. C’est certainement une liturgie solennelle et la célébration par le pape à Saint-Pierre est une circonstance très particulière. Mais qualifier de "manichéisme" l’explication des symboles que donne le pape – il le fait chaque année et il y est passé maître – c’est peut-être plus une preuve d’incompréhension de la liturgie catholique qu’une critique pertinente du discours de Benoît XVI.

Enfin, qu’il nous soit permis, à notre tour, de manifester notre amertume à cause de ce que le professeur Nayed dit à propos de l’éducation dans les écoles chrétiennes des pays à majorité musulmane, en s’inquiétant du risque de prosélytisme. Nous croyons que la très grande tradition d’engagement éducatif de l’Eglise catholique mérite un jugement bien différent. C’est vrai même dans les pays à majorité non-chrétienne (l’Egypte, mais aussi l’Inde, le Japon, etc.) où, depuis très longtemps, les jeunes qui fréquentent les écoles et universités catholiques sont presque tous des non-chrétiens et le restent tranquillement, tout en ayant une vraie estime pour l’éducation reçue. Nous ne pensons pas que l’accusation de manquer de respect envers la dignité et la liberté de la personne humaine soit méritée aujourd’hui par l’Eglise. L’attention doit être portée en priorité sur de tout autres violations de celles-ci. Et si le pape a pris le risque de ce baptême, c’est peut-être aussi dans ce but: affirmer la liberté de choix en matière de religion, conséquence de la dignité de la personne humaine.

En tout cas, le professeur Aref Ali Nayed est un interlocuteur pour qui nous gardons une très grande estime et avec qui cela vaut toujours la peine de discuter loyalement. C’est ce qui nous permet d’avoir confiance en la poursuite du dialogue.



La "synthèse" du Monde

Le Vatican gêné après le baptême controversé d'un musulman

Stéphanie Le Bars, Le Monde du 29/3/2008


Le pape Benoît XVI a-t-il eu raison de médiatiser le baptême qu'il a lui-même célébré, le 22 mars, du journaliste italien d'origine égyptienne et musulmane Magdi Allam ? Ce baptême a alimenté une polémique qui illustre les difficultés rencontrées sous son pontificat par le dialogue islamo-catholique.
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Jeudi 27 mars, le Vatican a dû se démarquer des déclarations hostiles à l'islam tenues par M. Allam au lendemain de son baptême. Il avait notamment écrit dans le Corriere della sera, dont il est sous-directeur, que "la racine du Mal est innée dans un islam physiologiquement violent et historiquement conflictuel". "Accepter dans l'Eglise un nouveau croyant ne signifie évidemment pas en épouser toutes les idées", a indiqué le porte-parole du Vatican. "Le pape a pris le risque de ce baptême pour affirmer la liberté de choix religieux", a-t-il précisé, revenant sur un principe martelé par Benoît XVI dans ses rapports avec l'islam.

Dans une lettre ouverte adressée au pape, jeudi, le philosophe algérien Mustapha Chérif, qui l'avait rencontré en tête à tête, en novembre 2006, après son discours controversé de Ratisbonne (Allemagne) sur l'islam et la violence, et qui participe au rapprochement entre le Vatican et le monde musulman, a fait part de son "étonnement" et de sa consternation. Porte-parole des "138 dignitaires musulmans" engagés dans ce dialogue, Aref Ali Nayed a parlé, lui, de "provocation".

Ce n'est pas tant la conversion publique d'un musulman qui suscite des réactions que la personnalité du baptisé. "Je suis consterné par le fait qu'en personne vous baptisiez un individu qui depuis des années est connu pour ses attaques virulentes et haineuses contre l'islam, pas seulement contre ses dérives extrémistes, écrit M. Chérif. Ne concevez-vous les relations avec les musulmans qu'en termes, au mieux, de compétition et, au pire, d'affrontements ?"

"NOUVELLE MALADRESSE"
M. Cherif déplore une "nouvelle maladresse" qui peut "remettre en question" ce qui a été "péniblement reconstruit". Après le discours de Ratisbonne, un voyage pontifical réussi en Turquie avait contribué à renouer le dialogue. Des dignitaires représentant divers courants de l'islam avaient alors écrit au pape pour lui proposer des échanges réguliers. Cette initiative débouchera en novembre sur la tenue du premier Forum catholiques-musulmans, décidée début mars à Rome.
Pour certains spécialistes, le baptême d'un pourfendeur de l'islam fragilise ce processus et évoque "un nouveau Ratisbonne". Il démontre que des divergences sur l'opportunité de tenir un dialogue apaisé avec des représentants de l'islam persistent dans l'entourage du pape. "Cet événement paraît contradictoire avec les gestes du cardinal Jean-Louis Tauran" - le président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux qui prépare la rencontre de novembre -, souligne le père Christophe Roucou, directeur du Service national pour les relations avec l'islam en France.

Le cardinal Tauran a d'ailleurs affirmé qu'il n'avait pas été informé de la préparation du baptême.



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