Le Pape chef de guerre

Exit le Panzer Cardinal, et pour cause, voici donc la dernière trouvaille, un chef de guerre, rien de moins! (2/4/2008)



C'est du moins ainsi que le voit ce site Internet très fréquenté (http://www.agoravox.fr/).
C'est une idée qui ne me déplairait pas, finalement, mais elle est tellement à l'opposé de la personnalité du Saint-Père qu'elle prêterait à sourire, comme tout ce qui est excessif, si elle n'était développée dans un article par ailleurs fort bien écrit, et, de par la notoriété du site (ou sa place dans les moteurs de recherche) destiné à un large public tout prêt à prendre ses affirmations pour argent comptant.


Le problème, c'est que pour étayer ses arguments, l'auteur, tout en maniant un vocabulaire guerrier totalement hors de propos, et entièrement étranger à Benoît XVI (montrer sa force, défendre ses territoires, attitude agressive, provocation, ordre de bataille, réaction violente, processus de répression, réduire au silence, etc.), qu'il accuse sans vergogne de néo-obscurantisme, tronque les informations, quand il ne ment pas effrontément.

Je vais en donner quelques exemples.



Mensonges et approximations

1. Il prétend que le 5 juin 2004, à Caen, alors qu'il représentait le Pape Jean-Paul II pour les cérémonies du 50ème anniversaire du débarquement, le Cardinal Razinger aurait "souligné le fanatisme aveugle de l'islam".
Or, tous les discours prononcés par le Cardinal à cette occasion sont disponibles dans un livre publié aux éditions Saint-Augustin, et intitulé "L'Europe, ses fondements aujourd'hui et demain".
Page 1008, l'allusion à l'islam est en ces termes:
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"[..] L'actuel conflit entre les grandes démocraties et le terrorisme d'origine islamique comporte d'autres questions, encore plus profondes. Il semble que s'affrontent deux grands systèmes culturels dont, par ailleurs, les formes de pouvoir, les orientations morales sont très différentes : ce sont l'Islam et l'Occident. Mais qu'est-ce que l'Occident? Qu'est-ce que l'Islam? L'un et l'autre constituent des univers complexes avec, à l'intérieur d'eux-mêmes, d'importantes différences; mondes qui, à bien des égards, interagissent l'un sur l'autre. En ce sens, une grossière opposition Occident/Islam n'est pas pertinente. En revanche, beaucoup voudraient creuser encore davantage les contrastes : il s'agirait de l'opposition de la raison éclairée et d'une religion d'allure fanatico-fondamentaliste. S'il en était ainsi, il s'agirait avant tout de ruiner le fondamentalisme en toutes ses formes pour permettre la victoire de la raison en des formes «éclairées» de la religion, à condition qu'elles soient soumises, en tout et pour tout, aux critères de cette raison.

2. Revenant sur l'épisode malheureux de La Sapienza (voir ici: http://benoit-et-moi.fr/2008-I/ ) il prétend que "le cardinal Ratzinger avait réaffirmé à Parme le 15 mars 1990 que « à l’époque de Galilée, l’Eglise était restée beaucoup plus fidèle à la raison que Galilée lui-même. Le procès contre Galilée fut raisonnable et juste »".
Or, cette misérable accusation est très vite tombée d'elle même tant elle était grossièrement mensongère, je laisse la parole à Isabelle de Gaulmyn (qu'il est difficile d'accuser de papolâtrie), dans La Croix:
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" Voilà en effet que des enseignants de la Sapienza ont ressorti un texte du cardinal Ratzinger, où – disent-ils – il prétend que « le procès Galilée fut raisonnable et juste ».
Scandale, obscurantisme, se sont donc écriés ces universitaires, dont plus de 70 ont signé une pétition pour demander que la visite d’un pape aussi « réactionnaire » soit annulée. À cela s’ajoutent des mouvements estudiantins soutenus par l’extrême gauche laïque, qui manifestent bruyamment et violemment, occupant l’université. Ils ont même organisé une « semaine de la laïcité » qui a débuté par la projection d’un film sur… Galilée. Le Saint-Siège, par mesure de sécurité et soucieux d’éviter des débordements, a donc préféré annuler la visite.
On reste sans voix devant les dégâts provoqués par un tel malentendu.
Car la « petite » phrase invoquée par les doctes universitaires n’est pas de Ratzinger, mais de Feyerabend, philosophe autrichien, cité par l’alors cardinal dans un discours de… 1990 où, réhabilitant justement le lien foi et raison, il expliquait comment le procès Galilée fut ensuite utilisé pour symboliser l’obscurantisme catholique!
C’est vraiment refuser de lire sérieusement le pape que d’en faire un ennemi de la science : le rapprochement entre science et foi est justement l’un de ses thèmes de prédilection... "

3. Plus loin, il écrit:
"Benoît XVI a participé à sa première messe en tant que pape à la Chapelle Sixtine. Il a ouvert cette messe par une prière en latin, et a prononcé aussi son homélie en latin".
D'abord, il n'a pas participé à la messe, il l'a présidée.
Et l'assistance n'était pas composée de fidèles lambda, mais de cardinaux. L'homélie en latin était donc quelque chose de parfaitement normal, et même conforme à l'usage. On imagine facilemnt qu'à un congrès de mathématiciens, on ne s'exprime pas comme au café du commerce, et que les non-initiés ne comprendraient pas un mot de ce qui s'y dit.

4. Et aussi:
"son texte Motu Propio a réhabilité la messe en latin supprimée 40 ans plus tôt par le concile Vatican II. Sans doute est-il convaincu que l’obscurantisme est favorable à la foi et que les jeunes catholiques peuvent prononcer des mots latins dépourvus de sens pour eux aussi bien que les jeunes musulmans qui apprennent le Coran par cœur sans en comprendre la signification".
Est-il utile de répéter que la messe en latin n'a nullement été supprimée par le Concile Vatican II? Quant au reste, à quoi bon commenter. Je remarque seulement que les "jeunes" d'aujourd'hui n'ont guère de réticence à écouter de la musique (?) dont les paroles en anglais ne doivent pas avoir beaucoup de sens pour eux.

5. Il y aurait certainement beaucoup à dire sur les prétendus privilèges et exonérations fiscales dont bénéficierait l'Eglise en Espagne, car il y a une contre-partie en actions caritatives et sociales qu'il est difficile de chiffrer.

6. "Dans les pays où elle domine, la religion catholique montre sa force pour défendre ses territoires, comme le font les gouvernements du Soudan au Darfour ou de la Chine au Tibet".
Comparer l'action de l'Eglise Catholique avec la Chine au Tibet, il faut oser, er ne pas craindre le ridicule!
Il est d'ailleurs aussi question d'un "processus de répression" mis en place par le cardinal Ratzinger, et de théologiens de la libération "réduits au silence". Sans doute y-a-t'il un goulag au Vatican?



Et je n'ai pas tout relevé!
Bref, c'est une accumulation de clichés et de mensonges.
Renversant les rôles avec un toupet phénoménal, l'auteur voudrait nous faire croire qu'on peut tuer avec un goupillon!!!
Tout cela est sans intérêt, peut-être, mais vu le bon niveau linguistique, on le verra répéter partout dans les cercles relativement cultivés et informés.
Ca l'est déjà, d'ailleurs, car ce n'est pas éloigné de ce que je dénonçais déjà ici aujourd'hui même( Affaire Magdi Allam: l'invité surprise ): revenant sur le baptême d'Allam, l'auteur de l'article parle de provocation (de quoi je me mêle?), de même que pour la béatification des martyres de la guerre d'Espagne (même remarque!)
Quand on ne connaît rien sur un sujet par lequel on n'est pas concerné (comme c'est visiblement le cas ici), on a la décence de ne pas se répandre. A moins d'avoir des intentions très, très perverses...



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