Voici le billet hedomadaire de John Allen, immanquablement sur le sujet "polémique" de la semaine.
C'est la voix du catholicisme libéral, ou du libéralisme tout court, et à ce titre, elle est incontournable
Par ailleurs, je suis contente que John Allen ait peut-être trouvé ici la réponse à une question qu'il se pose depuis bientôt deux ans: qui dira non à Benoît XVI?
La réponse est là: personne!
C'est ce qu'il qualifie d'"indifférence obstinée aux canons du politiquement correct"...

Quant à l'idée selon laquelle "Benoît croit qu'un islam réformé, modéré doit être l'allié naturel du christianisme...", je suis de moins en moins sûre d'y souscrire. Elle n'est pas vraiment crédible, au moins sous cette forme.

Article original sur le site de NCR: Public spotlight on a personal conversion

Une conversion personnelle sous le feu des projecteurs publics;
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Rarement une messe de Vigile Pascale a fait l'évènement, mais l'édition de cette année, dans la Basilique Saint-Pierre a certainement attiré l'attention du monde entier. La raison: l'un des sept nouveaux catholiques baptisés personnellement par le pape Benoît XVI se trouve être un journaliste italien né Egyptien et converti de l'islam, largement considéré comme le successeur d'Oriana Fallaci dans la protestation viscérale contre l'extrémisme musulman.

Magdi Allam, 55 ans, qui se définissait précédemment comme "musulman laïque", a depuis longtemps exprimé son affinité avec le catholicisme. C'était l'une des "attractions-vedettes", par exemple, à l'assemblée annuelle de Communion et Libération qui se réunit à Rimini. En soi, la conversion Allam fut donc sans grande surprise. Le fait que Benoît ait personnellement baptisé et confirmé Allam dans un cadre si prestigieux, est toutefois pris par certains comme une provocation.

Allam a ajouté de l'huile sur le feu le dimanche de Pâques avec une lettre au rédacteur en chef de son propre journal, le Corriere della Sera. Entre autres choses, Allam a porté l'accusation que, plus profondément que l'actuelle vague de terrorisme d'inspiration fondamentaliste, l'Islam lui-même contient «la racine du mal», car il est « physiologiquement violent et historiquement prédisposés aux conflits."
Tout cela est propre à provoquer un "retour de flamme", et il n'a pas été long à venir.

Peu contestent le droit d'Allam à se convertir, mais plutôt le coup de projecteur public accordé par le pape. Aref ali Nayed, par exemple, directeur du Royal Islamic Strategic Studies Centre d'Amman en Jordanie, a estimé que l'affaire "suscite des questions sur les véritables motivations, les intentions et les plans de certains des conseillers du pape sur l'islam." Sur un site web du Hamas, un article du journaliste Palestinien Khalid Amayreh critique la "grande visibilité que le Vatican a donné à dessein à cette conversion», ajoutant que «le problème réside dans l'atmosphère vindicative, y compris les allusions et insinuations anti-islamiques».

Des critiques ont également été entendues dans le monde catholique. Le journaliste catholique italien Aldo Maria Valli a publié une lettre qu'il prétend venir d'un prêtre "travaillant sur la frontière avec l'islam", accusant le baptême d'Allam "de répèter l'erreur de Ratisbonne" - une référence à l'orage planétaire ayant suivi la conférence du Pape Benoît XVI à l'université de Ratisbonne le 12 septembre 2006, conférence, où il citait un empereur byzantin du 14e siècle ....

Piqué par ces protestations, le journal du Vatican, L'Osservatore Romano, a publié mardi un commentaire du directeur Gian Maria Vian insistant qu'il n'y avait pas eu d'"intention hostile», et soulignant l'importance de la liberté religieuse. Vian a également affirmé que Benoît XVI est attaché au dialogue avec l'islam. Le porte-parole du Vatican, le père jésuite Federico Lombardi, a déclaré jeudi sur Radio Vatican que "accueillir dans l'église un nouveau croyant ne signifie évidemment pas épouser toutes ses idées et ses opinions, en particulier sur les sujets politiques ou sociaux".

Quoi qu'il en soit, il est difficile de croire que quelqu'un au Vatican ait été réellement surpris par la réaction. D'une part, Allam se comporte parfois d'une façon délibérément incendiaire: il a récemment exprimé l'espoir, par exemple, que le président iranien Mahmoud Ahmadinejad serait capturé par les Israéliens et forcé de vivre au mémorial de l'Holocauste à Yad Vashem. D'autre part, le Vatican est bien évidemment conscient, après Ratisbonne, de la sensibilité marquée dans le monde islamique pour tout ce qui est perçu comme des affronts papaux.

Compte tenu de ces réalités, pourquoi Benoît a-t'il fait cela? Trois points au moins viennent à l'esprit:

1. Pour un pape engagé dans le réveil d'un fort esprit missionnaire dans le catholicisme, recevoir un converti prestigieux durant la Veillée pascale est une manière symbolique de dire ce qu'il a à dire. En effet, Benoît dit que l'église ne devrait pas hésiter à recevoir toute personne qui frappe à la porte, même s'il y a un prix politique à payer.
2. Le baptême d'Allam peut aussi être lu comme une déclaration de solidarité avec les musulmans convertis au christianisme dans le monde, dont beaucoup souffrent de diverses façons en raison de cette décision.
3. Enfin, l'épisode illustre un important trait de la personnalité de Benoît - une indifférence obstinée aux canons du politiquement correct. Benoît est une personnalité aimable, mais il refuse également d'expurger ce qu'il considère comme étant des questions importantes de croyance ou de pratique, à seule fin d'éviter des problèmes de relations publiques. Qu'il s'agisse de courage moral ou de surdité aux réactions du public est une question d'opinion, mais la tendance est claire.

Allam lui-même a confirmé les deux premières interprétations dans sa lettre au Corriere della Sera, décrivant l'acte de Benoît agir comme un «geste courageux et historique" ainsi qu'un "message explicite et révolutionnaire" que les chrétiens "ne devraient pas avoir peur d'affirmer la vérité de Jésus, même parmi les musulmans. " Il a également déclaré que Benoît n'a jamais hésité à le baptiser, «depuis le premier instant où il a appris de mon désir."

Tout cela étant, l'argument de Vian dans L'Osservatore Romano est convaincant au moins sur un point: Benoît XVI semble réellement vouloir le dialogue avec l'Islam, d'une manière qui distingue sa position de celle des véritables faucons anti-islamiques (y compris, peut-être, Allam lui-même, au moins dans ses propos les plus acerbes).
Benoît a fait un détour pour rencontrer les dirigeants musulmans à Cologne, en Allemagne, lors de son premier voyage à l'étranger; il a mené à bien une opération de raccommodage avec les musulmans en Novembre 2006 lors de son voyage en Turquie, y compris un moment de prière silencieuse dans la Mosquée Bleue d'Istanbul; Benoît va s'asseoir de nouveau avec les musulmans, ainsi que les dirigeants d'autres religions, au cours de sa visite d'avril aux Etats-Unis, et récemment des plans ont été finalisés pour une réunion en novembre entre le pape et les signataires d'une lettre de 138 chefs musulmans proposant un terrain théologique entre le christianisme et l'islam.

En d'autres termes, au même moment où Benoît défie les musulmans sur le thème de la liberté religieuse et la relation entre la foi et la raison, il est aussi déterminé à établir des relations.

Comment le pape va-t'il concilier ces deux impulsions?
C'est simple: dans l'univers de Benoît, la menace la plus profonde aujourd'hui, ce n'est pas l'islam, c'est la "dictature du relativisme", c'est-à-dire la laïcité et le relativisme moral et philosophique de l'Occident. Dans cette lutte, Benoît croit qu'un islam réformé, modéré doit être l'allié naturel du christianisme. Ses efforts pour stimuler une telle réforme, et sa main tendue pour le dialogue, sont, dans cette logique, parfaitement cohérents.

À ce jour, la conviction est partagée quant à savoir si les musulmans comprennent dans cet esprit ce que le pape dit et fait. La rencontre inter-religieuse de Benoît aux Etats-Unis, ainsi que la rencontre de Novembre avec les dirigeants islamiques à Rome, lui donneront de nouvelles occasions de les convaincre.