Le "baciamano" de Berlusconi

Lors de l'audience pontificale du 6 juin, Silvio Berlusconi a baisé à deux reprises l'anneau du pêcheur. Et alors? Articles dans La Repubblica et Il Giornale(8/6/2008)



La gauche laïque italienne, en particulier par la voix de La Repubblica, s'étrangle de dépit, et en France, c'est le blog de La Croix (à suivre, dans l'attente de commentaires...) qui se charge de relayer la "perplexité" des catholiques adultes, dénonçant le mode de vie peu conforme aux canons de l'Eglise du turbulent président du Conseil italien.

C'est du terrorisme intellectuel, ni plus ni moins.
Le pire, c'est que personne n'imagine un seul instant que Berlusconi ait pu être sincère. Alors que, d'un point de vue symétrique (par exemple les "catholiques" américains pro-choice, ou le président Lula) on ne se prive pas de nous répéter que "Dieu seul sonde les reins et les coeurs".
Lesquels?
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Articles en italien sur le blog de Rafaella:

Ma traduction



E il premier bacia l´anello

FILIPPO CECCARELLI
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Il y a des images qui restent imprimées, pour leur puissance symbolique.
Et aucun politicien ne le sait mieux que Berlusconi, qui hier, devant les photographes, par deux fois a pris la main du Pape et l'a baisée avec un chaleureux et souriant transport. Un fervent et double baiser sur le dos de la main de Benoît XVI pour marquer le début et la conclusion de la visite officielle du président du Conseil de la République italienne, qui n'était pas tout à fait escompté, et encore moins requis par le protocole du Saint-Siège.
Et en effet, au cours des cinquantes dernières années, aucun des prédécesseurs de Berlusconi, y compris lui-même, n'a accompli un tel acte de respect et de dévotion, de déférence, mais aussi de soumission à une autorité reconnue comme supérieure.

Le baiser s'adresse à l'anneau du pêcheur, avec le sceau pontifical en or. Ce même anneau, entre parenthèses, qui en janvier dernier glissa du doigt du Pape Ratzinger lorsque pour la première fois il célébra la messe dans la Chapelle Sixtine en tournant le dos aux fidèles. (ndt: On se demande ce que cette remarque totalement déplacée vient faire là; elle constitue presque un aveu!)
Si ce rite d'origine médiévale est donc « a discrezione », il est également vrai que la societé de l'image en multiplie l'impact médiatique, et plus encore dans une situation comme celle de l'Italie où le contentieux sur les valeurs et la laicité est à l'ordre du jour.

Mais quand même. En l'absence de précédents plus récents, ou peut-être de baisers ultérieurs vérifiables sur des photos, on ne peut que rapprocher le geste du Cavaliere de l'image historique qui en décembre 1955 vit le président de la République Giovanni Gronchi, en habit de cérémonie, s'agenouiller devant la figure hiératique de Pie XII. Dans ce cas aussi, il n'y avait, selon les antiques Canons de la Congrégation des Cérémonies (1588), aucune obligation de s'approcher du Pontife en faisant une triple révérence. Mais Gronchi et sa suite, à commencer par le ministre des affaires Étrangères Gaetano Martino, un libéral, voulurent malgré tout se jeter à genoux aux pieds du Pape Pacelli. Et pas seulement cela, ils restèrent dans cette pose - « prostrati al bacio della sacra pantofola », comme les décrivit Vittorio Gorresio - jusqu'à ce que furent satisfaites les exigences scèniques du photagraphe apostolique, le commendator Felici.

Il est vrai que Gronchi avait quelque chose à se faire pardonner : un "certain style de vie", comme on dit maintenant, outre les votes du PCI qui l'avaient porté au Quirinale (palais de la Présidence de la république, ndt). Mais il y avait eu à cette époque d'âpres, diffuses et compréhensibles polémiques de la part des laïques.
Il y en eut d'autres trente ans après, quoique de moindre impact, lorsque Francesco Cossiga, avant de prêter serment comme président de la République, fut invité au Vatican et se mit lui aussi à genoux : « Mais je l'ai fait en privé » tint-il à préciser ; et sans photographes. « Dans mes fonctions publiques - avait-il dit en août 1985 - je me comporte comme se comportent toutes les autorités ». De manière à distinguer, dans la vie publique, le milieu religieux de celui politique et diplomatique.

Le baciamano du président au Pape est par contre un rite qui réunit les deux sphères : c'est une telle marque de déférence, une promesse d'obéissance si évidente, un acte de vénération tellement implicite et un proclamation qui dépasse les mots et implique aussi le corps.

Ce sont des affaires qui concernent les symboles et l'imaginaire du pouvoir. Et là, une fois de plus : il n'y a pas d'homme politique qui s'en entende mieux que Berlusconi. A l'ère des spectacles à distance, nul mieux que lui ne réussit à calibrer les effets de ses messages. C'est pourquoi il est légitime et peut-être même raisonnable de nourrir des doutes sur la spontanéité et sur l'intime sincérité de ce geste. Mais à coup sûr, sur le plan de la vie publique et aussi sur celui de la biographie du Cavaliere, c'est un fait entièrement inédit dont il convient de prendre note.

En d'autres termes et sous une forme nécessairement simplifiée : Berlusconi n'est pas le genre d'homme à reconnaître que quelqu'un est plus puissant que lui. Même avec les grands de la planète, avec Bush et Poutine il a tendance à traiter sur un pied d'égalité...
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Et voilà : hier pour la première fois Silvio Berlusconi a admis l´existence d'une figure au-dessus de lui. Insolite acte d'humilité et en même temps, coup prémédité à l'État laïque...

© Copyright Repubblica, 7 giugno 2008



Il Giornale, qui est, il me semble une propriété de Berlusconi, titre de son côté de façon presque identique:



"Et pour la première fois, le Premier baise l'anneau sacré".
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Le baciamano de Silvio Berlusconi est l'image-symbole de cette audience au Vatican. Une image recherchée, voulue. La preuve du "climat nouveau". Comme Premier, Berlusconi ne l'avait jamais fait, même le 14 novembre 2002, jour de la visite historique de Wojtyla a Montecitorio (ndt: siège de la Chambre des députés italiens). Et afin que le geste n'apparaisse pas comme le fruit de la simple émotion, le Cavaliere a tenu à le répéter: au moment de la rencontre avec le Pontife, puis au moment du congé.
Le baciamano signifie vénération, respect, dévotion. Et même soumission, et pour cette raison, c'est un acte de foi. Au cours des deux dernières décennies, on ne trouvera sans doute aucune autre image de présidents du Conseil ou de la République en train de soulever la main du Pontife pour la baiser. Même pour les présidents du Conseil catholiques, se limiter à s'incliner était devenu une façon de représenter la laïcité de l'Etat. Giovanni Letta lui-même, «gentiluomo di Sua Santità» n'a pas poussé l'inclinaison jusqu'à baiser l'anneau. Jusqu'aux années 70, au contraire, les présidents démocrates-chrétiens l'ont fait à plusieurs reprises.

© Copyright Il Giornale, 7 giugno 2008



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