Padre Pio

Padre Pio et les nouvelles fractures

Le mot "fracture" est à la mode. C'est sans doute parce que, détourné de son sens initial, il en a pris un nouveau, qui va bien dans le sens du politiquement correct.
On a beaucoup parlé de fracture sociale, de fracture numérique, et si la mode en est un peu passée, c'est parce que l'idée a fait long feu.
Le dernier avatar en est la fracture entre le peuple et les élites.
Il y a une autre fracture, en relation avec celle-là, mais qui intéresse moins les medias, puisqu'elle concerne uniquement le microcosme (c'est hélas ce qu'il est devenu) catholique: celle qui, tout autant que la fracture horizontale entre traditionalistes et progressistes, est celle, verticale, qui sépare la foi des gens simples et celle des intellectuels.
Tout l'enseignement de Benoît XVI n'est rien d'autre que la volonté de combler cette fracture, en défendant les premiers contre l'arrogance des seconds, il l'a maintes fois répété, et les catéchèses récentes sur Saint-Augustin en sont la confirmation.

Une manifestation de cette fracture est survenue récemment en Italie, à propos d'un Saint (canonisé en 2002 par Jean-Paul II) objet là-bas d'une grande vénération populaire, Padre Pio.
Je suis allée deux fois à Rome depuis l'élection de Benoît XVI, j'ai assisté à trois angélus, et une audience, et à chaque fois, j'ai été frappée en voyant des pélerins italiens animés d'une grande ferveur, portant des banderoles et des portaits géants à son nom. A ce moment, je ne le connaissais même pas.


Le cardinal Ratzinger chez Padre Pio

Une occasion supplémentaire pour m'intéresser à lui a été un article en italien sur lequel je suis tombée un peu par hasard sur le blog de Raffaella, qui m'a touchée, et que j'ai traduit: il s'agit du compte-rendu d'une visite effectuée par le Cardinal Ratzinger en 2002 à Pietrelcina, la ville où avait vécu Padre Pio, à la veille de sa proclamation comme Saint: Il Papa nel segreto di Padre Pio. lire ici: http://beatriceweb.eu/
Comme je l'écrivais à l'époque, l'article confirmait "le portrait d'un Joseph Ratzinger très proche de la foi des simples", à laquelle ses racines bavaroises et son milieu familial l'ont gardé profondément attaché.

Si lui est touché par cette piété, s'il la trouve respectable, s'il la partage, même, c'est bien suffisant pour moi, et ce devrait l'être pour beaucoup de catholiques.
Il faut croire que ce n'est pas le cas, comme on en jugera plus loin.


Mars 2008: Exhumation de padre Pio

Voici donc une dépêche d'agence datant du 3 Mars dernier:
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Le corps du saint italien Padre Pio exhumé pour être présenté au public
3 mars 08
ROME — Des responsables de l'Eglise catholique ont exhumé les restes de Padre Pio, moine capucin canonisé en 2002, dont le corps sera exposé en public à partir du mois prochain, a-t-on appris lundi.
L'évêque Domenico D'Ambrosio, un envoyé du Vatican qui a supervisé l'exhumation dimanche soir, a souligné que le corps était "bien conservé". "On dirait que les ongles de ses mains viennent juste d'être manucurés", a-t-il précisé.
Religieux mystique très populaire en Italie et à l'étranger, Padre Pio est mort en 1968 après vécu pendant des décennies avec d'inexplicables plaies saignantes aux mains et aux pieds, semblables aux blessures subies par le Christ lors de la crucifixion.
L'exhumation a pour objectif de permettre aux fidèles de se recueillir devant le corps du prêtre à l'occasion du 40e anniversaire de sa mort. L'Eglise entend également prendre des dispositions pour la conservation des restes. Mgr. D'Ambrosio a précisé qu'une inspection préliminaire dimanche et lundi n'a révélé aucune trace des blessures qui ont fait la renommée du défunt.
Sa canonisation par le pape Jean Paul II en 2002 avait attiré 300.000 personnes au Vatican. Le corps de Padre Pio sera exposé à partir de la mi-avril à San Giovanni Rotondo, ville du sud de l'Italie où il vivait.


Polémique en Italie

Il semble que l'évènement ait été l'objet d'une vive polémique, en Italie.
Les principaux vaticanistes ont pris parti..;
- Accattoli, contre (sans surprise), qui écrit "J'aurais laissé Padre Pio en paix",
- Rodari et Tornielli (lui-même auteur d'un livre sur la question, voir plus bas) pour; Torniellei a aussi écrit un article dans Il Giornale, traduction à venir?

La polémique semblerait donc cristalliser l'opposition entre les "simples" et les intellectuels -forcément libéraux- entre le peuple et les élites, dans sa version catholique. Rien de très nouveau, finalement. Les homme reproduisent dans la sphère religieuse, les schémas conflictuels qu'ils cultivent dans la vie civile.
En Italie, ce n'est d'ailleurs pas si simple, puisque ces deux intellectuels que sont Paolo Rodari et Andrea Tornielli se sont rangés du côté des simples. Sans doute parce qu'ils assument leur qualité de journalistes catholiques.

Il en va autrement en France.


Le blog de la Croix donne son avis...

Le blog de La Croix - par la plume de sa rédactrice, qui se présente, de façon surprenante pour sa fonction, comme " Française nourrie à Voltaire" - déplore que, "dans un pays en plein débat électoral dont l’enjeu n’est rien de moins que l’instauration d’un parlementarisme moderne (ndr: pour voter des lois contre l'Eglise, contre la famille et pour l'avortement?)... l’image de ce vieillard barbu, au visage de grand-père sévère et rassurant tout à la fois, issu du bout du monde (les Pouilles), en dit long sur la difficulté des Italiens à se construire une identité dans l’Europe de ce début de troisième millénaire".
Et elle ajoute "je connais certains amis catholiques italiens qui regrettent amèrement que leur Eglise, à encourager parfois ce type de piété, ne les y aide pas plus..."


... et des commentaires qui font fuir

Les réactions à l'article du blog sont à l'avenant.
Il n'y a pas besoin d'aller loin dans la page pour trouver un échantillon significatif; voici la première, il me semble qu'elle résume parfaitement le débat:
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"Je suis en colère !
A quelle époque l’Eglise catholique veut-elle revenir ?
Il n'a pas suffit que Le Pape promette des indulgences à ceux qui feront pèlerinage à Lourdes cette année (une raison qui m'ôte le désir d'y aller), il faut maintenant que, pour célébrer le quarantième anniversaire de la mort de Padre Pio, Mgr d'Ambrosio, avec la bénédiction du Vatican, fasse ouvrir le cercueil du défunt pour constater que les mains du saint semblent sortir d'une séance de manucure ... Qu’on le laisse reposer en paix après l’avoir canonisé.
Je veux bien accepter que la foule des croyants présents applaudisse longuement, ce n'est pas à eux que j'en veux, mais aux autorités ecclésiastiques qui utilisent la foi simple et naïve de gens peut-être pas très cultivés (!!) pour leur faire croire que ces faits "surnaturels" sont "preuves" de l'existence de Dieu.
....
Comment pouvons-nous accepter que l'Eglise-institution renoue aujourd'hui avec [des] pratiques dignes d'autres siècles en espérant sans doute rameuter des fidèles : elle va surtout en faire fuir de nombreux.
"
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Eh bien! Ceux qu'elle fera fuir de cette façon ne méritent pas d'être retenus!
Moi, ce sont plutôt de telles discussions qui me feraient fuir certains cathos!
Avec l'envie de leur dire: mais pour qui vous prenez-vous?

Sur un thème analogue, on pourra lire un autre article d'Andrea Tornielli, intitulé "Lourdes, le miracle de la foi résistant aux attaques". Notamment le passage relatif aux manoeuvres de Zola.
Il me paraît une excellente réponse à ces critiques mesquines.


Le livre-scandale d'un "anti"

Le blog de la Croix fait par ailleurs référence à "un historien Sergio Luzzatto [qui] a publié un livre sociologique et anthropologique sur Padre Pio. Livre qui a suscité de violentes polémiques, car, non content de remettre en cause la véracité des stigmates (ce qui après tout relève de la foi), posait des questions pertinentes sur les ressorts psychologiques et économiques de l’attachement à Padre Pio".

Il y aurait beaucoup à dire sur ce livre. Et surtout, sur la bonne foi de son auteur.
A ce sujet, plutôt que les articles de Tornielli, qui est partie prenante dans l'affaire, puisqu'il a lui-même écrit un livre sur le sujet, et qu'il est une des cibles de celui de Luzzatto, mieux vaut lire en premier le commentaire de Vittorio Messori.
Il use d'un ton neutre, nullement polémique, mais il sait manifestement de quoi il parle.

On jugera que si le livre de Luttazzo (qui a probablement monté sciemment une opération d'intoxication sur un sujet qui ne devrait pas l'intéresser, puisqu'il n'est pas chrétien) a effectivement une dimension, sociologique et anthropologique, il prétend s'appuyer sur des faits.
Je suis désolée, mais je ne suis pas sûre que la réalité des stigmates relève uniquement du domaine de la foi, et il n'est pas insensé de penser que Luttazzo partage ma conviction.
Il semblerait en effet qu'il ait pris de grandes libertés avec ces faits, ignorant purement et simplement ceux qui contredisaient sa théorie, dans le seul but de blesser la foi des plus sincères, et d'insinuer le doute chez les plus tièdes...
Opération réussie, forcément, puisque les démentis ont toujours moins d'impact que les mensonges initiaux.
C'est une étrange démarche scientifique que celle qui part d'une conclusion que l'on estime indubitable, et accumule les témoignages pour la rendre crédible, laissant de côté tous les autres.


L'article de Messori

Je lui laisse le mot de la fin:
Luzzatto... - comme beaucoup de ses collègues - a absorbé l'idéologie ayant prédominé jusqu'à ces derniers temps: tout, donc, est réduit par lui à des catégories politiques, économiques, sociales. La tentative de présenter Padre Pio comme une icône du "clérico-fascisme" porterait à une déformation de cette figure pour laquelle, à l'inverse, cette dimension sincèrement religieuse qui est ici dévalorisée, est absolument fondamentale

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Lire ici:
Padre Pio, le défi des documents


Plus, sur Padre Pio

A venir...


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