Baptême d'Allam: trois protagonistes plus un

Sandro Magister vient de consacrer un long billet au baptême d'un journaliste d'origine musulmame, Magdi Allam, sous le titre Histoire d'un musulman converti. Baptisé par le pape à Saint-Pierre: ( chiesa.espresso.repubblica.it )
Son analyse personnelle est complétée par trois documents très importants pour comprendre: la lettre de Magdi Allam (déjà traduite par moi ici: Document: la lettre de Magdi Alam ), la lettre d'un musulman, principal signataire de la lettre des 138( La lettre d'Aref Ali Nayed ), et la réponse du Père Lombardi, responsable de la salle de presse du Saint-Siège. (voir ici: La réponse du Père Lombardi )

Ayant suivi l'affaire depuis le début, j'essaie modestement de faire ma propre synthèse... provisoire, pour tenter d'y voir un peu plus clair.


Les trois (quatre?) protagonistes

Dans ce qu'il faut bien commencer à appeler "l'affaire" du baptême de Magdi Allam, il y a trois protagonistes: le Pape, le nouveau baptisé, et les musulmans.

Certes, cette classification est réductrice, au moins en ce qui concerne le troisième, dont nous savons qu'il est multiforme, et il conviendrait peut-être d'en rajouter un quatrième, mais celui-là, il s'invite partout, pour brouiller l'information et semer la zizanie: il s'agit des medias.
Son principal souci est d'accréditer auprès de l'opinion publique l'idée que le Pape ne doit prendre nulle décision, nulle initiative, sans en avoir préalablement référé aux autorités juives et musulmanes - et même, au dalaï-lama! A ce compte, il faudra bientôt nommer un conseil d'administration mondial pour gouverner l'Eglise à sa place!

Cette classification sommaire permet en tout cas de ne pas tout mélanger.


Le Pape

Il est au-dessus.
Ou, pour mieux dire, ailleurs: il appartient à une autre sphère.
Une fois de plus, on ne peut pas le comprendre, si on décide de lui prêter des calculs politiques ou de lui attribuer des motivations machiavéliques. Ce qui écarte, comme c'était déjà le cas à Ratisbonne, tout soupçon de maladresse ou de gaffe!
Il a fait ce qu'il devait faire, avec courage et sans se soucier d'un éventuel brouhaha médiatique (qu'il ne pouvait ignorer): il ne doit de compte qu'à Dieu, et de toutes façons, certainement pas au quatrième et indiscret protagoniste évoqué plus haut, qui s'est invité dans le débat à seule fin de jeter le trouble.
Comprendre son geste, c'est comprendre, comme cela a été bellement écrit sur le blog de Patrice de Plunkett par une amie, Luisa, qu'il a voulu idéalement à travers lui mettre sous sa protection tous ceux qui voudraient se convertir mais n`osent pas par peur.

Comme moi, Sheelagh, qui est une observatrice attentive, a aimé ce jugement de Sandro Magister: "Mais rien n’intimide Benoît XVI."
Je lui laisse la parole:
------------------
« Le Saint-Père a une liberté tellement grande que nous ne pouvons imaginer une telle dimension. Il n'a vraiment pas peur et il l'a fait savoir clairement au monde entier samedi soir.
... Il sait ce qu'il fait et M. Allam le sait aussi. Et toute la polémique était prévisible pour ceux qui était au courant de ce qui allait se passer pendant cette Vigile pascale 2008. Deux hommes ont osé dire "non" à la terreur et "oui" à Dieu.
"Relève-toi et n'ais pas peur" - ces mots sont, je crois dans la liturgie du Carême - C'est dans l'évangile de dimanche, le 17 février 2008... deuxième dimanche du Carême... Ces mots "N'ayez pas peur". Et nous avons un pape qui n'a pas peur... »


Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques, et Jean son frère, et les emmène, l'écart, sur une haute montagne. Et il fut transfiguré devant eux : son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière. Et voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s'entretenaient avec lui. Pierre alors, prenant la parole, dit Jésus : «Seigneur, il est heureux que nous soyons ici; si tu le veux, je vais faire ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie.» Comme il parlait encore, voici qu'une nuée lumineuse les prit sous son ombre, et voici qu'une voix disait de la nuée: «Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur, écoutez-le.» À cette voix, les disciples tombèrent sur leurs faces, tout effrayés. Mais Jésus, s'approchant, les toucha et leur dit: «Relevez-vous, et n'ayez pas peur.» Et eux, levant les yeux, ne virent plus personne que lui, Jésus, seul. Comme ils descendaient de la montagne, Jésus leur donna cet ordre: «Ne parlez personne de cette vision, avant que le Fils de l'homme ne ressuscite d'entre les morts.» Matthieu 17, 1-9.


Magdi Allam

Il a indéniablement du courage, et il dit des choses sans doute vraies et nécessaires, sur une réalité qu'il connaît mieux que d'autres pour l'avoir vécue de l'intérieur: cette réalité dramatique est probablement , ce que nous, occidentaux, vivons de plus grave actuellement, alors qu'une idéologie mondialiste devenue folle essaie d'en détourner notre attention.

Mais sa personnalité reste ambigüe.
Entre autres, Andrea Tornielli nous apprend qu'il a 'soutenu jusqu'au bout la guerre anglo-américaine contre l'Irak, à laquelle Jean-Paul II était hostile, et que Benoît XVI, a de façon réaliste décrite comme catastrophique quelques jours auparavant'.
Je suis également d'accord avec Tornielli quand il dit avoir 'trouvé hors de propos le fait qu'à peu à d'heures du baptême qu'il a reçu - un don de grâce - Allam ait publié une sorte de manifeste anti musulman', déplorant 'le sens hautement symbolique et anti-islamique qu'Allam a voulu lui donner en fournissant le matin de Pâques une interprétation du geste du Pape. Interprétation belliqueuse, dont je ne suis pas certain qu'elle ait été partagée au Vatican'.
Je crois que le moment était mal choisi. Sans compter que c'était faire bon marché de la sécurité personnelle du Pape, très exposé. Certes, ce dernier n'a pas peur, mais il n'est pas interdit d'avoir peur pour lui,dont nous avons besoin plus que de Magdi Allam.
On peut donc s'interroger sur l'opportunité de sa démarche, alors qu'il est notoire que le Vatican fait en ce moments des efforts pour ne pas rompre le dialogue avec l'islam: rupture qui aurait des conséquences très graves pour l'ensemble du monde occidental (alors que les musulmans pratiquent l'amalgame simpliste juifs/croisés/Amérique de Bush), y compris pour les chrétiens qui vivent en terre d'islam.
Enfin, à peine accueilli dans la communauté des chrétiens, devait-il se permettre de critiquer la prétendue frilosité passée de l'Eglise, en évoquant 'une Église qui jusqu'à présent a été trop prudente dans la conversion des musulmans, en se retenant de faire du prosélytisme dans les Pays à majorité islamique et se taisant sur la réalité des convertis dans les Pays chrétiens. Par peur.'
Ce à quoi Vittorio Messori répond justement: 'En réalité il n'y a au monde, aucune institution qui, plus de l'Eglise catholique, connaisse mieux et de plus près, par expérience millénaire, l'Ouma, la communauté de ceux qui vénèrent en Mahomet le dernier des prophètes. Ce qui peut sembler crainte (et Magdi le sait bien) est en réalités prudence, est charité vers ces humbles, ces pauvres, ces sans défenses qui porteraient tout le poids d'une attitude provocatrice et effrontée. Le réalisme n'est pas diplomatie, politique, crainte'.

L'impression globale pourrait être qu'il a jeté inutilement de l'huile sur le feu, et que, parallélement à un combat d'une portée plus large, il menait son propre combat, et assouvissait une vengeance personnelle.

Il n'avait pas à régler ses comptes par Eglise interposée.


Les musulmans

...
Que dire? Sinon qu'il doit être TRES difficile de dialoguer avec eux.
Mais aussi qu'il est inutile et contre-productif de répondre aux provocations par l'invective, comme le font certains.
Je renvoie à cette tribune, que j'avais publiée dans les pages de ce site: Relations chrétiens-musulmans.

Le plus simple, pour en juger, est de lire la réaction du théologien libyen Aref Ali Nayed, "l’âme véritable de la lettre des 138, en tant qu’auteur principal", telle qu'elle a été reproduite par Sandro Magister.
Une lettre insultante d'une violence verbale assez incroyable, se permettant même de critiquer l'homélie que le Saint-Père a prononcée le jour de Pâques: il est triste qu’à l’occasion de la célébration si particulière de Pâques, Benoît XVI ait choisi comme message fondamental de son discours religieux une opposition quasi manichéenne (!!) entre les symboles des “ténèbres“ et de la “lumière“, où les ténèbres sont attribuées aux “autres“ et la lumière à “soi“.
(notons que les catholiques libéraux, si prompts à critiquer le Saint-Père au moindre de ses propos, n'ont ni tenté de le défendre, ni témoigné d'indignation, ni même relevé l'insolence de l'attaque).

Un peu plus loin, le Père Lombardi, porte-parole du Saint-Siège, lui répond, avec le souci de ne pas tomber dans le piège de ses provocations... vraiment inouïes! Contrairement à ce qui a été dit ici et là, je ne pense pas qu'il s'agisse d'une reculade ou d'une capitulation, c'est au contraire une attitude conforme à l'esprit chrétien.
Quoiqu'il en soit, la simple comparaison entre le ton des deux lettres suffit pour comprendre cette évidence, comme Messori: mis au pied du mur, dans le choix entre Jésus et Mahomet - l'homme occidental redécouvre que, malgré tout, "mieux vaut les chrétiens".


Voir ici:
- La lettre d'Aref Ali Nayed
- La réponse du Père Lombardi


Le quatrième protagoniste

Je cherchais à faire une synthèse, mais c'est inutile, le Monde s'en est parfaitement chargé.
On sent que l'auteur de l'article, qui met manifestement sur le même plan l'attitude du Saint-Père et les réactions musulmanes (au nom de la parité, sans doute?), se réjouit sous cape, en donnant la parole à l'un d'eux, d'une "nouvelle maladresse" qui peut "remettre en question" ce qui a été "péniblement reconstruit" (PAR QUI??).
Le titre et la première phrase donnent le ton! Il faut avoir un esprit très petit, ou très malveillant, ou les deux, pour associer les mots "Benoît XVI" et "médiatisation"!!

Le Vatican gêné après le baptême controversé d'un musulman
------------
Le pape Benoît XVI a-t-il eu raison de médiatiser le baptême qu'il a lui-même célébré, le 22 mars, du journaliste italien d'origine égyptienne et musulmane Magdi Allam ? Ce baptême a alimenté une polémique qui illustre les difficultés rencontrées sous son pontificat par le dialogue islamo-catholique.
------------

La suite ici: La "synthèse" du Monde


Documents

Voir ici:
Document: la lettre de Magdi Alam
Baptême de Magdi Allam: documents


(C) benoit-et-moi.fr 2008 - Tous droits réservés

Imprimer cette page