Benoît XVI, pape "libéral"?

Réactions à ses propos sur l'apport positif des Lumières lors de la visite ad limina d'évêques exerçant leur ministère en terre d'islam (9/6/2008)
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Voir ici: Les deux côtés des Lumières


Vendredi dernier, le forum catholique a réagi très rapidement, et avec une vive hostilité, pour ne pas dire plus, au discours prononcée par le Saint-Père aux évêques de Malaisie, Brunei et Singapour, en visite ad limina.
Ou, pour être précis, à la synthèse qu'en avait fait le site Zenit (http://www.zenit.org/article-18150?l=french ) sous le titre, pas si mal vu "Le pape explique les aspects positifs et négatifs des Lumières".

Cela a donné immédiatement des propos très mesquins, écrits par des gens qui n'avaient pas lu le texte original, et surtout avaient omis de s'intéresser au contexte:


Pape libéral !...
pour ne pas dire moderniste !
...
Je veux bien beaucoup de chose, mais là il est nul en histoire ! Ces pseudo Lumière (à l'heure des économies d'énergie, on ferait bien de les éteindre !) serait presque de saints ! La destruction de l'Eglise.....
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On voit bien l'ancien théologien du Cardinal Frings au concile
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Propos effectivement lamentables ...
Les prétendues Lumières ont traduit politiquement leur athéisme ou leur déisme par la liberté religieuse sur le plan civil. Voir de telles théories reprises par un pape et qui plus est, considérées comme un enrichissement, voilà qui est un vrai scandale ! ...
Au passage, on appréciera la portée de l'aveu : la liberté religieuse ne doit rien à la doctrine catholique mais tout à la malice, à l'impiété et à l'irréligion de ses pires ennemis...
...
Je ne trouve pas d'adjectif pour qualifier ce scandale !


A vrai dire, je n'en trouve pas non plus pour qualifier la petitesse des arguments et l'insolence du ton!!

Yves Daoudal replace heureusement les propos du Saint-Père dans leur cadre, ce qui est indispensable, et il le fait avec brio.
Il commence par rappeler ce point essentiel:


« ... il est nécessaire de souligner que ce discours n’est pas un enseignement pontifical destiné à l’Eglise universelle, mais une allocution aux évêques de Malaisie, de Brunei et de Singapour. Autrement dit à des pasteurs de communautés catholiques ultra-minoritaires dans des pays massivement musulmans.

Ce discours est, de façon très insistante et appuyée, un appel à l’évangélisation. Puisque le christianisme est considéré dans vos contrées comme une importation étrangère, ajoute-t-il, prenez exemple sur la façon dont saint Paul a prêché la bonne nouvelle aux Athéniens. (Rappelons-nous que saint Paul ne leur a pas dit exactement : Convertissez-vous à l’Evangile qui est la seule vraie religion, sinon je vous envoie l’inquisition, parce que les fausses religions n’ont aucun droit…)  »


Puis il revient sur un des thèmes du discours de Ratisbonne, évoqué par le Pape lui-même lors des voeux à la Curie en décembre 2006, qu'il cite dans ce discours:


« Dans un dialogue à intensifier avec l'Islam, nous devrons garder à l'esprit le fait que le monde musulman se trouve aujourd'hui avec une grande urgence face à une tâche très semblable à celle qui fut imposée aux chrétiens à partir du siècle des Lumières et à laquelle le Concile Vatican II a apporté des solutions concrètes pour l'Eglise catholique au terme d'une longue et difficile recherche.
Il s'agit de l'attitude que la communauté des fidèles doit adopter face aux convictions et aux exigences qui s'affirment dans la philosophie des Lumières.
D'une part, nous devons nous opposer à la dictature de la raison positiviste, qui exclut Dieu de la vie de la communauté et de l'organisation publique, privant ainsi l'homme de ses critères spécifiques de mesure. D'autre part, il est nécessaire d'accueillir les véritables conquêtes de la philosophie des Lumières, les droits de l'homme et en particulier la liberté de la foi et de son exercice, en y reconnaissant les éléments essentiels également pour l'authenticité de la religion.
»


Et Yves Daoudal de conclure avec beaucoup de réalisme et de sagesse:
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« Si l’on s’imagine qu’on va convertir les Malais en leur disant que seule la religion catholique a des droits et que les autres religions sont des fausses religions qui n’en ont aucun, car l’erreur n’a aucun droit, autant rester chez soi, ou calfeutré dans sa chapelle intégriste…»


Messori dit la même chose

Cette analyse rejoint celle que faisait Vittorio Messori en septembre 2006, commentant l'homélie de Benoît XVI à Munich, et les relations avec l'Islam, dans un article traduit ici: Musulmans, les épreuves à surmonter

Ayant souligné ce qu'il appelait "l'élasticité du christianisme" opposée à la rigidité musulmane, il écrivait:

« ... nombreux sont ceux qui pensent que cet "illuminisme et ce laïcisme drastiques" dénoncés, à juste titre, par Benoît XVI effraie les islamistes conscients, qui y voient un danger qui pourrait être mortel pour eux. En effet, l'Occident moderne a distillé des poisons mais (il serait injuste et contraire au sens de l'histoire de le nier) a aussi affirmé des valeurs. Depuis plus de deux siècles, cet Occident a fait passer "sa" religion à travers un creuset chauffé au rouge. Un drame, certes, mais qui a aussi amené des résultats positifs. Sur le plan socio-politique, les Églises, en particulier celle catholique, ont vu éradiquer avec violence leur symbiose avec le pouvoir séculier. La fin de l'Ancien Régime a provoqué une crise qui a pu être dépassée grâce au message évangélique "rends à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu". »

Avant de conclure:

« Des poisons, "les Lumières et le laïcisme drastiques" ? Pour un chrétien, oui. Mais malgré tout, la foi leur a survécu. Souvent, même, elle en a été purifiée. En ira-t'il de même pour l'Islam... ?
La question se pose à juste titre.
 »


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