Bilan du voyage aux Etats-Unis (II)

Les non-catholiques ont aussi été conquis. Une interviewe de Mgr Albacete, un thélogien américain, dans l'Avvenire du 4 juin (7/6/2008)



Albacete: «Les non-catholiques ont aussi été conquis»

Le célèbre théologien américain: «La prière a Ground Zero et la rencontre avec les victimes des abus sexuels, moments les plus intenses de la visite du Pape »
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« Je ne crois pas qu'il soit possible de porter un jugement définitif sur le voyage : beaucoup dépendra de l'Église américaine. De la façon dont les prêtres, les évêques et les autres responsables de la pastorale sauront porter au peuple américain le message de Benoît XVI ».
Mgr Lorenzo Albacete, théologien américain parmi les plus connus outre-Atlantique, éditorialiste au New York Times et observateur attentif de tout ce qui fermente dans la culture de la bannière étoilée, s'abstient de tout bilan.
« Le Pape est venu et a adressé une proposition très claire aux Etats Unis : Christ notre espérance - dit-il, dans sa maison de Yonkers dans l'arrière pays newyorkais. Pas seulement un discours mais un témoignage vécu personnellement, à travers les gestes et les problèmes mis en évidence. Maintenant tout est renvoyé à la liberté des individus ».

- Quel impact a eu le « personnage » Ratzinger sur les américains ?
- Très positif. Il n'était pas connu, bien qu'ayant visité plusieurs fois les USA. Beaucoup avaient de lui une idée négative: "enforcer" de l'orthodoxie morale et doctrinale, un Pape incapable de gestes pour communiquer avec les gens, et surtout un « allemand »… Maintenant tout cela appartient au passé. Benoît XVI a conquis confiance et adhésion surtout parmi les non-catholiques. Nombreux sont ceux qui au cours des derniers mois avaient montré une attitude hostile, et qui à la fin ont dû reconnaître que leurs craintes étaient infondées et ont déclaré ouvertement leur estime pour le Pape. Je trouve cela splendide.

- Benoît XVI a tout de suite déclaré qu'il était fasciné par la culture américaine, surtout le rapport entre foi et vie publique.
- Le Pape a été extrêmement clair pour souligner la dimension positive de l'expérience américaine, surtout dans les relations entre les religions et l'État, dans les rapports Eglise-laïcité. Aux Etats-Unis, cette expérience nous a amenés à une forme de « sécularisation » considérée comme positive. Ratzinger, qui n'est pas très enclin à apprécier le terme de « sécularisation », a compris combien cette forme particulière avait aidé l'Église américaine en la rendant libre d'adresser une proposition authentique aux gens. Au cours du voyage le Pape a pu toucher les différentes et principales "âmes" de la spiritualité américaine. Certes, il a aussi mis en garde contre un nouveau processus de sécularisation qui a déjà envahi l'Europe et qui risque d'envahir aussi les USA.

- Quel est le risque que court le catholicisme américain ?
- Aux Etats-Unis il est très compliqué de trouver une réponse à la question : où est Jésus ? Il y a beaucoup de Jésus, trop de Jésus, et la vérité n'est pas facile à trouver. Pour trouver la vérité il faut s'ouvrir à la catégorie de la possibilité et chez nous aussi la mentalité relativiste a bouleversé la culture catholique, en arrivant à une séparation nette entre foi et raison. Lorsque cela arrive la réalité devient incomprensibile à la raison et la foi est réduite à une bonne disposition ethico-morale. Le problème est là, le Pape en a très vite eu l'intuition. Mais il espère aussi que la religiosité américaine sera assez forte pour résister à cette « sécularisation relativiste ».

- Mais la complexité de la pensée ratzingerienne peut-elle être comprise en profondeur par les américains ?
- Quoique l'immense majorité ne soit pas en mesure de cueillir à fond toutes les nuances de sa pensée, beaucoup ont été conquis par son témoignage. Il a prononcé des discours et accompli des gestes que l'Amérique voulait entendre et voir.

- La visite à Ground Zéro a-t-elle été l'instant où il s'est approché le plus de la sensibilité américaine ?
- Oui, de l'Amérique d'hier et aussi de l'Amérique contemporaine. Un instant vraiment émouvant. Le 11 septembre est une expérience communautaire que le peuple américain ne pourra jamais oublier et restera comme quelque chose de profondément mystérieux. Et alors, voir le Pape sur le lieu de l'écroulement des Twin Towers, porter le Christ à Ground Zéro, sans paroles, mais seulement avec les gestes... Après tout, il a insisté plusieurs fois sur le fait que le christianisme est un événement qui survient dans l'évènement personnel d'une rencontre humaine. Et c'est ce que nous avons vu à plusieurs reprises au cours de sa visite. Des paroles données pour interpréter le sens de la rencontre, l'expérience concrète du Christ que nous devons poursuivre.

- Au cours du voyage le Pape est revenu plusieurs fois sur la question des abus sexuels accomplis sur les mineurs : une blessure encore ouverte pour l'Église américaine...
- Tout cela était essentiel. Et même, c'est justement là qu'on peut trouver la signification de la visite tout entière. Tous, nous attendions que le Pape dise quelque chose à cet égard : mais personne n'imaginait la profondeur ni la répétition insistante de ses mots. Et ensuite cette rencontre avec les victimes des abus a été quelque chose de complètement inattendu. Tout l'événement avait été pour l'Église catholique un désastre, pas tant sur le plan économique qu'au niveau de l'intimité avec le clergé ; moi-même, j'éprouvais de la difficulté à sortir en soutane. Le confiance entre les fidèles et les prêtres avait disparu, ce rapport d'humanité vivante qui s'instaure entre un curé et ses paroissiens. Avec le scandale, il y a eu une rupture très violente des rapports ecclésiaux normaux ; une situation dévastatrice, qui a laissé de profondes blessures.

- Le discours à l'Onu a été lui aussi inattendu. Il n'a pas abordé de points concrets à l'ordre du jour dans l'agenda international, mais la question des principes fondamentaux. Encore un discours qui devra être compris en profondeur ?
- Il devrait être lu et étudié plus à fond. Je ne sais pas vraiment qui le fera au niveau de la communauté internationale... Ceux qui suivent Ratzinger depuis toujours ne pouvaient pas imaginer qu'il ferait un autre type de discours. Il suffit de penser à ses discussions avec Flores D'Arcais sur les droits fondamentaux. Je me rappelle que, dans un de ces débats, il demanda à l'intellectuel italien s'il croyait vraiment qu'il y avait des droits humains et celui-ci lui répondit : « Non, il y a des droits civils ». Ratzinger répliqua : « Je ne peux pas l'accepter, les droits civils ne suffisent pas, j'ai connu le nazisme, j'ai vécu, et je sais ce que cela signifie et comporte ».
Il est toujours surprenant de voir comment la vérité trouve sa force derrière le drame vécu par un homme engagé dans la défense les droits humains et non pas dans un État qui devrait les garantir parce qu'il en a l'autorité.

Source: L'avvenire du 4 juin
http://edicola.avvenire.it/ee/avvenire/default.php?pSetup=avvenire


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