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Les durs propos du Cardinal Stafford

à propos de Barack Obama. Un article de John Allen (27/11/2008)


Des relations entre le Vatican et la future administration Obama, il a déjà été beaucoup question dans ces pages, car je crois le sujet important pour les catholiques (voir les rubriques Elections américaines et John Allen ).

Pour aider à en situer le dernier épisode (connu de moi !), voici un article en français publié le 18 novembre sur le site canadien http://blogues.cyberpresse.ca (dont la crédibilité, ou non-crédibilité, n’est pas en cause ici) :


L’ancien président du Conseil pontifical pour les laïcs, le cardinal James Francis Stafford, est un homme inquiet. Dans une allocution à Washington hier, il a prédit que la présidence de Barack Obama aura sur la vie des chrétiens un impact «agressif, dérangeant et apocalyptique» en raison de la position «extrémiste» du démocrate concernant l’avortement
.

Le cardinal américain est aujourd’hui à la tête de la (..) Pénitencerie apostolique, l’un des trois tribunaux de l’Église catholique romaine, dont les bureaux sont situés au Vatican. Dans son discours, il a établi un parallèle entre l’Amérique d’aujourd’hui et celle de 1968, l’année de la parution de l’encyclique Humane Vitae. Je le cite :

«Si 1968 a été l’année de la tentative de suicide de l’Amérique, 2008 est l’année de l’épuisement de l’Amérique.»


John Allen, très impliqué sur cette question, et dont les sympathies pro-Obama ne sont pas vraiment un mystère, mais qui, ayant des amitiés des deux bords, tient à rester loyal (d’autant plus que, vrai professionnel, il tient aussi à sa réputation de vaticaniste de « référence ») aimerait bien arrondir les angles. C’est pourquoi il est très soucieux d’expliquer le contexte des propos du cardinal Stafford, et même de dédouaner ce dernier des accusations qui tuent : sympathies républicaines, et racisme.
Il n’empêche. Sa conclusion est sans appel :
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Si le nouveau Congrès et la Maison Blanche de Barack Obama avancent sur le "Freedom of choice Act", alors, les perspectives de collaboration entre l'Eglise et l'Etat seront infiniment plus compliquées. Une guerre culturelle éclaterait probablement, avec les deux parties engagées dans une « opération de sape contre la cité ennemie. »
Ce qui, à coup sûr, est
un scénario apocalyptique que tous feraient bien d'éviter.

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Article original en anglais sur le site de NCR:
http://ncrcafe.org/node/2293
The context of Cardinal Stafford’s stark language

Ma traduction:

Le contexte des durs propos du cardinal Stafford
20 novembre 2008
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J'ai traité récemment des liens entre le Vatican et les États-Unis d'Obama; j'étais à l'Université de Colgate au début de cette semaine, pour un exposé sur ce sujet devant les étudiants et les professeurs. Le hasard a voulu que mon passage coïncide avec un rappel des pièges potentiels de cette relation, sous la forme d'une sortie remarquablement incendiaire du cardinal Francis Stafford, un Américain qui dirige un tribunal du Vatican (ndt la Pénitencerie apostolique).
Ce n'est pas tous les jours qu'un haut fonctionnaire du Vatican utilise des termes aussi chargés qu'"apocalyptique" pour désigner un nouveau chef d'Etat, ou dit que les catholiques ont pleuré « des larmes de colère et de trahison" après l'élection - en particulier en se référant à un président qui a obtenu la victoire avec une majorité des voix catholiques.
Inévitablement, l'épisode a fait les gros titres, sous la forme «Le Vatican explose Obama."
Les deux éléments de cette formule sont en fait trompeurs: Stafford ne parlait pas au nom du Vatican, et il n'a pas énoncé un acte d'accusation contre Obama. Cela dit, les commentaires de Stafford suggèrent quand même à quel point il pourrait être difficile de trouver un modus vivendi entre l'Eglise catholique et le nouveau régime de Washington.

* * *

Stafford était à Washington le jeudi 13 novembre pour une conférence à l'Institut Jean-Paul II d'Etudes sur le mariage et la famille. C'était dans le cadre d'un congrès consacré à Humanae Vitae, l'encyclique du Pape Paul VI, réaffirmant en 1968 l'interdiction traditionnelle de l'église au contrôle des naissances.
Stafford a commenté assez longuement la victoire d'Obama. Voici ce qu'il a dit dans la partie clé de son discours - publiée sur YouTube par The Tower, le journal des étudiants de l'Université catholique:
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«Notre exploration de ce week-end se place dans le contexte du novembre 2008. A cette date, un séisme culturel a frappé l'Amérique. Le Sénateur Barak Obama a été élu Président des États-Unis. Il semble être un homme détendu, souriant. Ses compétences rhétoriques, comme je l'ai mentionné, sont très développées. Il a une façon de blaguer avec la foule, et, selon tous les rapports, également avec les individus, en tête-à-tête. Sous toute cette grâce, ce charme, il y a une volonté tendue, une mâchoire serrée, un état de vigilance constante pour attaquer et résister à toute influence extérieure qui pourrait menacer son indépendance. Un "état de vigilance", oui ... c'est le moins que l'on puisse dire. Sous chaque mot qu'il prononce, il y a une opération de sape contre la cité ennemie. Sa mâchoire serrée a été vue dans son discours devant les partisans du planning familial, le 17 Juillet 2007. Il y a affirmé, - je cite un peu hors contexte mais c'est le sens général: "Nous n'allons pas seulement gagner cette élection, mais nous allons aussi transformer ce pays. ... La première chose que je ferai en tant que président sera de signer le Freedom of Choice Act ... J'avais mis Roe au cœur de mon cours sur la liberté de la reproduction, lorsque j'enseignais le droit constitutionnel. ... Je ne veux pas que mes filles soient punies par une grossesse. ... Sur cette question, je ne céderai pas. "
Notez la manière dont le président élu tient à décrire le meurtre de son petit-enfant à naître. Ses filles ne doivent pas être« punies », «Punies », par la grossesse. Son discours est post-moderniste, et marque un programme et une vision qui sont agressifs, perturbateurs et apocalyptiques. Les catholiques pleurent, sur ces mots. Nous pleurons sur la violence cachée derrière la rhétorique de notre jeune futur président. Que devons-nous faire avec nos larmes brûlantes, de colère, de trahison? Avant tout, nos larmes sont des larmes d'agonie. Nous devons le reconnaître. Pour les prochaines années, Gethsémani ne sera pas marginal. Nous connaîtrons ce jardin ».
Le texte intégral du discours du cardinal Stafford du 13 novembre est ici: http://ncrcafe.org/node/2294
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(Note: Stafford a fait une petite erreur de fait. Obama n'a pas dit qu'il ne voudrait pas que ses filles soient "punies d'une grossesse" lors de son discours au Planned Parenthood Action Fund le 17 Juillet 2007. Cette remarque est venue au cours d'un meeting à Johnstown, en Pennsylvanie, en Mars 2008, quand Obama, s'exprimant au pied levé en réponse à une question, déclara: «Regardez, j'ai deux filles - 9 ans et 6 ans. Je vais leur enseigner en premier lieu les valeurs et la morale, mais si elles font une erreur, je ne veux pas qu'elles soient punies avec un bébé. Je ne veux pas qu'elles soient punies par une MST à l'âge de 16 ans, cela n'a pas de sens de ne pas leur donner l'information ". Stafford a corrigé la référence dans la version écrite de son discours.)

(Un autre rapide commentaire: Dans la guerre médiévale, une "opération de sape" consiste à creuser sous le mur d'enceinte d'une ville pour affaiblir les fortifications.)

Chaque fois qu'un personnage public écrit quelque chose d'explosif, le contexte est généralement la première victime des comptes-rendus. Ici, quatre éléments du contexte sont nécessaires pour comprendre ce que Stafford a dit - et, par conséquent, ce qu'il voulait dire.

• Tout d'abord, Stafford n'a pas qualifié Obama lui-même d' « agressif, perturbateur et apocalyptique », comme cela a été largement suggéré par les médias, mais plutôt sa rhétorique dans une circonstance spécifique - son discours de 2007 au planning familial. Quoi qu'on en fasse, cela ne se réduit pas à un anathème pur et simple.
• Deuxièmement, dans ce contexte spécifique, les termes « agressif » et « perturbateur » semblent moins choquants. Même les plus ardents défenseurs du Freedom of Choice Act seraient d'accord pour dire qu'il est agressif, car destiné à annuler d'un seul coup toutes les restrictions existantes sur l'avortement au niveau fédéral et au niveau des états, et qu'il est perturbateur, dans le sens où il suscite une forte opposition. En outre, il est intéressant de noter que l'expression «agressif, perturbateur et apocalyptique » n'a pas été inventée par Stafford, mais qu'il s'agit plutôt d'une citation de François Mauriac décrivant André Gide.
• Troisièmement, Stafford lui-même a fourni des éclaircissements sur ce qu'il entend par le terme « apocalyptique ». Contacté par CNN cette semaine, Stafford a déclaré qu'il ne s’agissait pas d’une référence littérale à la fin du monde, mais plutôt d'exprimer que la position de Obama sur l'avortement est contraire aux lois « naturelles et divines » concernant la vie humaine.
• Quatrièmement, dans la même conversation avec CNN, a Stafford également insisté sur le fait qu'il ne parlait pas au nom du Vatican. Il y a une tendance naturelle à penser que chaque fois qu'un fonctionnaire Vatican se gratte la gorge, il le fait sur l'ordre du pape. En réalité, les fonctionnaires donnent tout le temps des interviews pour exprimer des opinions qui ne reflètent pas la ligne collective, et qui n'ont été autorisées ou coordonnées par personne. Voici ce qu’il faut retenir: la façon pour le Vatican de prendre ses distances par rapport à ces commentaires est de ne pas les reprendre, et c'est précisément ce qui s'est passé dans ce cas.

* * * * *

Je vais ajouter deux autres observations sur la personnalité et le vécu de Stafford, qui pourraient étoffer le cadre de son allocution du 13 novembre.

- Tout d'abord, quoi que Stafford ait fait par ailleurs, il ne jouait pas la politique partisane. Il parlait plutôt d'un ensemble de convictions théologiques fondées sur ce qu'il considère comme un profond fossé entre la culture américaine contemporaine et les valeurs de l'Evangile. Au fil des ans, Stafford a utilisé un langage assez dur - que certains pourraient appeler « discours prophétique » - pour exprimer cette conviction avec des moyens qui ont interpellé à la fois la gauche et la droite, et qui nous font considérer sa déclaration sur Obama un peu moins sui generis.
Les considérations de Stafford sont influencées par un courant théologique associée au penseur suisse Hans Urs von Balthasar, l'école Communio fondée après le Concile Vatican II (1962-65), et ses interprètes américains tels que David Schindler. Contrairement aux néo-conservateurs tels que George Weigel et Michael Novak, qui voient une compatibilité de base entre la pensée sociale catholique et le capitalisme et la démocratie à l'américaine, les penseurs de Communio ont tendance à trouver de profondes divergences - et se sentent souvent frustrés du fait que de trop nombreux Américains, à leur avis, ont été davantage évangélisés par la culture que par leur tradition chrétienne.
Je me souviens d'une conférence donnée par Stafford à Rome en 2003, où il faisait valoir que l'icône de Notre-Dame de Guadalupe et la Statue de la Liberté incarnent deux anthropologies radicalement différentes. L'image de Guadalupe, disait Stafford, traduit l'opinion que la vraie liberté signifie « prendre plaisir à ce qui est juste», en choisissant de s'orienter soi-même vers la vérité de Dieu dans un esprit de grâce. La Statue de la Liberté, disait-il, représente une abstraction dérivée des Lumières européennes, qui exalte l'absolue autonomie de l'individu. Les efforts visant à harmoniser artificiellement ces deux philosophies, finissent selon lui en ruine.
Cette semaine, Stafford a braqué son feu sur Obama, mais, motivé par la conviction que le fait d'être catholique en Amérique signifie être « contre-culturel », il avait utilisé dans le passé une imagerie dramatique comparable auprès d'autres administrations. En Février 2003, par exemple, j'avais interviewé Stafford sur la pression de Bush en faveur de la guerre en Irak.
« Je suis ici en tant que chrétien et chef religieux qui célèbre l'Eucharistie tous les jours», avait dit alors Stafford. « Il n'est pas possible pour moi de célébrer l'Eucharistie et, en même temps d'envisager ou d'encourager la perspective d'une guerre ».
Les conclusions de Stafford peuvent être ouvertes au débat, mais son agenda ne consiste pas simplement à rapprocher l'Église catholique du Parti républicain.

- Deuxièmement, ce serait également une erreur de penser que Stafford est aveugle aux incidences positives du succès d'Obama pour les relations raciales. Au contraire, Stafford a une longue histoire d'engagement en faveur du mouvement des droits civils, qui remonte au début des années 1960 quand il étudiait le travail social à l'Université catholique d'Amérique. En tant que jeune prêtre de Baltimore dans les années 1960, il s'occupait des oeuvres de bienfaisance de l'archidiocèse dans le quartier de la ville à dominante afro-américaine. Dans les années 1980, alors évêque de Memphis, Stafford était considéré comme l'un des chefs de file catholiques du pays qui s'exprimaient le plus sur les questions raciales.

Bien que ce ne soit rien de plus que la « psychologie de fauteuil », je soupçonne qu'une partie de sa déception face à Obama tient précisément au fait que Stafford a longtemps prié pour le jour où un Afro-Américain pourrait être élu président, et qu'il se trouve du mauvais côté, de son point de vue, sur la question morale dominante de notre temps.
Dans le texte intégral de son allocution, Stafford a dit, « les Américains ont été unanimes dans leur joie sur l'importance de l'élection d'un président noir. » Certes, cela aurait pu être utile s'il avait développé ce point, comme le cardinal Francis George de Chicago l'a fait dans son adresse présidentielle aux évêques des États-Unis à Baltimore.
D'autre part, il est utile de rappeler que Stafford avait été sollicité pour prendre la parole devant l'Institut Jean-Paul II non pas sur le racisme ou les droits civils, mais sur Humane Vitae, ce qui invitait naturellement à mettre l'accent sur les « questions de la vie »

* * * * *


Alors, qu'est-ce que tout cela nous laisse présager en termes de relations Vatican / États-Unis durant l'ère Obama?
Directement, cela ne change absolument rien. Peu après l'élection d'Obama, le père jésuite Federico Lombardi, porte-parole du Vatican, a déclaré que le Vatican était intéressé par un travail commun sur l'Irak, la Terre Sainte, les minorités chrétiennes au Moyen-Orient et en Asie, et la lutte contre la pauvreté et les inégalités sociales. Ces portes ouvertes ne sont pas refermées par les paroles de Stafford.
D'autre part, les non-Américains, dans la Cité du Vatican, empruntent souvent leurs repères sur les Etats-Unis à leurs collègues américains, et les flèches de Stafford ne sont pas exactement une vibrante recommandation pour le Président. Parallèlement, du côté opposé, son discours peut avoir aliéné certains démocrates, ce qui pourrait rendre plus difficile pour les catholiques de revendiquer une place à la table où les décisions seront prises dans l'administration Obama. (Le démocrate-type ne fait peut-être pas la distinction subtile entre les opinions personnelles du Pénitencier Majeur, ce qui est le titre de Stafford, et les positions du Vatican.)

Dans l'immédiat, l'épisode Stafford suggère une vérité politique indiscutable: Si le nouveau Congrès et la Maison Blanche de Barack Obama vont de l'avant sur le Freedom of choice Act, alors, les perspectives de collaboration entre l'Eglise et l'Etat seront infiniment plus compliquées. Une guerre culturelle éclaterait probablement, avec les deux parties engagées dans une « opération de sape contre la cité ennemie. »

Ce qui, à coup sûr, est un scénario apocalyptique que tous feraient bien d'éviter.

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