Un bilan de fin d'année

Les voeux à la Curie, vus par Sandro Magister et Paolo Rodari (23/12/2008)


Le Saint-Père a consacré une grande partie de son discours de fin d'année à la Curie romaine, à l'évènement des JMJ.

C'était une explication, presque une justification de sa part, dont le besoin se faisait probablement sentir en priorité dans le milieu de l'Eglise, et des croyants.
En effet, le discours "A quoi servent les JMJ?" est un grand classique.
Quand quelqu'un qu'on connaît pose la question, on ne sait en général pas bien quoi répondre. Et même devant la beauté et la réussite évidentes de l'évènement, les "rabat-joie" semblent toujours avoir le dernier mot.
C'est à eux que le Saint-Père (censé souffrir lors des grands rassemblements de foule, cf Messori, ce que je conçois, sans toutefois en être totalement convaincue... ) leur répond avec beaucoup de conviction: il est important, pour l'Eglise, de se montrer. C'est-à-dire de témoigner.

J'ai traduit sur ce point les analyses de deux observateurs crédibles et estimables, Paolo Rodari, et Sandro Magister.


Paolo Rodari

Je suis Benoît, je fais le Pape, pas la "pop-star"
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http://www.paolorodari.com/

Jean-Paul II les a inventées en 1985, dans un esprit "Pentecôtal".
La première se tint à Rome, les suivantes dans différentes parties du monde: une année au niveau dioccésain, l'année suivante au niveau international.
Ce sont les Journées Mondiales de la Jeunesse (JMJ), "meetings" océaniques où les jeunes du monde entier rencontrent le Pape.

Wojtyla croyait beaucoup à ces rencontres, émergées dans le sillage de l'explosion des mouvements ecclésiaux ayant vu le jour sous son Pontificat. Sous l'impulsion de signaux positifs qui, issus des mouvements ecclésiaux, arrivaient au conseil Pontifical pour les laïques (un grand nombre de jeunes se déclaraient prêts à répondre affirmativement aux invitations du Pape), Jean Paul II exploita à fond le charisme d'entraîneur de foules qu'il avait imprimé dans son ADN, et les JMJ furent un succès.
Benoît XVI a lui aussi prouvé qu'il croyait en ces rencontres, puisqu'une fois devenu Pontife, il ne les a pas abolies: au contraire, son premier voyage hors des frontières italiennes a été à l'occasion de JMJ: Cologne, 18-21 août 2005. Et son dernier voyage (France exclue) a été lui aussi à l'occasion de JMJ: Sydney, 12-21 Juillet derniers.
Pourtant, il y a un mais. Et c'est Benoît XVI lui-même qui l'a expliqué hier matin au cours du très attendu discours adressé à la Curie Romaine réunie dans la Salle Clémentine pour les habituels souhaits de Noël : c'est le discours le plus important de l'année parce que c'est là que le Pontife revisite les rendez-vous des mois écoulés et, en même temps, propose une analyse des principaux défis auxquels l'Église est appelée à répondre.
En rappelant le voyage à Sydney, Ratzinger a réellement "enfoncé le clou" sur les JMJ, pour dire : ce n'est pas là « une espèce de festival rock à la sauce ecclésiale avec le Pape comme star ».
Ceci, à l'intention de quelques « voix catholiques » qui voient les JMJ comme « un grand spectacle, beau, même , mais avec peu de signification pour la question sur la foi », ce serait la même chose que la foi soit là ou pas.
C'est une occasion ou jamais pour rencontrer « Celui qui, sur la croix est mort pour nous ». Et encore : « Le Pape n'est pas la star autour de qui tout tourne. Il est seulement le vicaire. Il renvoie à l'Autre qui est au milieu de nous ».

Ce n'est pas que Wojtyla voyait les choses différemment. Ni que le Pape polonais vivait les JMJ comme un évènement pour, à la façon d'une star, offrir un spectacle à une foule de fans en adoration. Plus qu'une correction à Wojtyla et à ses JMJ, on peut lire dans les mots de Ratzinger un reproche adressé à une certaine manière dont même d'illustres représentants de l'Église disent que ces rendez-vous doivent être vécus: des occasions d'« extase festive qui pourtant, au bout du compte, laisserait tout comme avant, sans influer de manière plus profonde sur la vie ».

Aucune différence entre Wojtyla et Ratzinger, donc.
Mais, ici aussi, il y a un mais: on doit surtout à Benoît XVI le fait de vouloir accentuer explicitement, et avec une plus grande force que son prédécesseur, cette charge spirituelle que les JMJ doivent apporter avec elles.
En effet, c'est en 2007 que l'on changa de registre. Les JMJ diocésaines de cette année-là ne furent plus une fête avec des chants et des danses sur le parvis de la place Saint-Pierre, mais plutôt un instant pénitentiel se déroulant à l'intérieur de la basilique vaticane. Au centre du rendez-vous, en somme, ce n'étaient plus les danses et les rondes des boys scout, les chansons "pop and faith" de Gen Rouge et compagnie. Mais c'étaientt plutôt les paroles du Pontife prononcées depuis l'autel de la basilique et, dans les nefs latérales, les confessionnaux « ouverts » pour recevoir les jeunes désireux de pénitence, réconciliation, confession.
Aussi parce que les chants, les danses et les instants d'évasion, les jeunes ont toujours su où et comment aller les chercher, sans avoir besoin de l'Église.
Benoît XVI est tout entier son propre pontificat, qui insiste sur la nature de son magistère de vicaire. Le Pape n'est pas une star mais un vicaire et quelqu'un qui dans chaque chose renvoie à un Autre.
D'où aussi l'explication de toutes les précautions liturgiques réintroduites par lui, après qu'elles aient été abolies par la réforme liturgique post Conciliaire : pas de retour à l'ancien mais plutôt la volonté - qui le rite ancien préservait davantage - de donner plus d'espace au vrai protagoniste de chaque célébration. Ces précautions seront également réintroduites dans les célébrations de Noël. Surtout, une confirmation : comme ce fut le cas il y a un an, pour la fête du Baptême du Seigneur, le Pape célébrera à l'autel ancien et, donc, « dos au peuple » autrement dit la juste orientation que doit avoir toute célébration liturgique. Une orientation correcte qui fait du célébrant non pas un protagoniste, un premier rôle, mais un vicaire.


Sandro Magister

Une sorte de bilan de fin d'année.
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Source

Tel a été le discours tenu hier par Benoît XVI devant la Curie, lors de la traditionnelle rencontre pour les souhaits de Noël.
Une occasion pour parcourir à nouveau les rendez-vous les plus importants pour le Pape durant l'arc de cette année 2008, avec quelques thématiques fondamentales de sa pensée et de son magistère. Et les passages qui ont prêté à discussion n'ont pas manqué : d'une part le discours relatif à la nature de l'homme et de la femme, qui a évidemment attiré le plus l'attention des medias ; mais encore plus important, selon le vaticaniste de l'Espresso Sandro Magister, les références à certaines positions critiques qu'on trouve à l'intérieur de l'Église, sur lesquelles Benoît XVI a pensé qu'il convenait d'apporter des éclaircissements.

Q: Le Pape, en reparcourant les événements de l'année à peine écoulée, a beaucoup insisté sur les occasions que l'Église a eu « de se rendre visible face au monde » (les voyages aux USA et en France, les Journées Mondiales de la Jeunesse). Que signifie « se rendre visible » ?

R: Le Pape, avec cette expression a rappelé un concept auquel il tient beaucoup, c'est-à-dire que l'Église se montre au monde à travers des gestes et des mots bien précis, autrement dit les célébrations. Les voyages et les Journées de la Jeunesse auxquelles le Pontife a fait référence ne sont pas rappelées comme simples excursions d'un Pape voyageur, mais comme des instants où l'Église révèle son vrai visage, fait de proclamation et d'annonce de la parole de Dieu, et de la célébration de la Parole qui se fait réalité dans les Sacrements. Parlant des JMJ de Sydney, en effet, le Pape se réfère à deux instants en particulier, qui en révèlent le vrai sens: le premier est la Via Crucis, sorte de représentation sacrée moderne, par rapport à laquelle le Pape ne se pose pas comme protagoniste, mais comme vicaire, qui indique le vrai protagoniste, c'est-à-dire le Christ crucifié et ressuscité; et le second, la grande liturgie solennelle, où il advient - dit le Pape - non pas ce que nous sommes en mesure de produire, mais ce qui est produit par Dieu lui-même. Telles sont les révélations que l'Église, selon les mots du Pape, est en mesure d'apporter au monde.

Q: Pourquoi a-t-il ensuite décidé d'insister sur le fait que les JMJ ne sont pas à comprendre comme de grands concerts, avec le Pape comme star ? Quelle est la préoccupation qui a amené le Pape à cette précision ?

R: Il s'agit d'une préoccupation envers des critiques qui ne viennent pas seulement de l'extérieur, comme on pourrait le penser, mais qui viennent même de l'intérieur du monde catholique. En effet, c'est ainsi: il y a un courant de pensée dans le milieu catholique qui, depuis que les JMJ ont été inventées par Jean Paul II, critique frontalement ces formes de rassemblement, les considérant comme des manifestations qui n'apportent rien de substantiel concernant la profession de la foi, mais sont de simples phénomènes de masse, peu différents des grands rassemblements profanes comme les concerts. Il s'agit par ailleurs d'une critique très récurrente. Benoît XVI a montré qu'il rejetait avec force cette critique : c'est-à-dire qu'il ne l'a pas fait avec l'air de celui qui récupère un héritage un peu lourd laissé par son prédécesseur, que le professeur Ratzinger aurait dû recueillir un peu à contre coeur.

Q: En effet, il y en a qui le pensent

R: Et au contraire Benoît XVI a montré qu'il avait cueilli dans ces Journées quelque chose de spécifique : ce sont des instants de foi, visibles surtout dans des gestes comme la Via Crucis et la célébration solennelle, qui sont des séminaires de nouvelles formes communautaires de vie de foi pour les jeunes qui y participent. La foi se construit aussi dans ces rapports directs avec la proclamation et avec la visibilité de la foi elle-même.
Et dans ces journées, Benoît XVI fait tout pour que cela se produise.
Le Pontife, en outre, ne s'adapte pas tout à fait aux formes consacrées des meetings océaniques : lorsque par exemple il y a eu la veillée nocturne, que ce soit en Allemagne ou en Australie, il n'a pas hésité à s'agenouiller devant le Très Saint, et à rester en silence pendant un long moment.
Une chose qui n'est pas certes caractéristique des grands meetings de masse. Et il l'a fait volontairement pour indiquer les choses qui comptent dans ces gestes, par rapport aux choses qui par contre ne comptent pas.

Q: Il y a eu ensuite le passage, très repris par les medias, sur la nature de l'être humain comme homme et femme, contre toute manipulation. Le Pape a parlé d'une « métaphysique pas dépassée » : qu'est-ce que cela signifie ?

R: Le Pape est parti de l'Esprit Saint comme créateur, qui est un élément essentiel du Credo chrétien. À partir de là, il a déroulé son discours autour du fait que l'Esprit créateur a introduit dans le créé un dessein qui est une sorte de structure mathématique, un dessein raisonnable, ordonné. Le monde n'est pas une accumulation de réalités fagotées au hasard, mais il est assemblé dans ce grand dessein, qui permet aux sciences de la nature modernes de fonctionner, et sans lequel la capacité prévoir les phénomènes et de faire des calculs disparaîtrait. Outre le grand système du cosmos, le Pape a parlé ensuite du système de l'homme, qui est mâle et femelle selon une structure qui est littéralement métaphysique : ce n'est pas quelque chose qu'on peut manipuler, qui peut être modifié à plaisir. Au contraire, prétendre modifier cet ordre signifie attaquer la nature de l'homme, et par conséquent s'autodétruire. Donc - a conclu le Pape - le créé doit être défendu non seulement dans les forêts, dans l'eau et dans l'air, mais aussi dans l'homme.

Q: L'appel à l'équilibre du cosmos et des règles mathématiques qui l'expliquent se relie aux allusions scientifiques faites pendant l'Angélus de dimanche. Quelle valeur culturelle a cette relance du discours scientifique ?

R: Naturellement, le Pape à l'Angélus n'a pas parlé en détail de la question, mais il a fait une brève allusion à la substance du discours. Il est parti de la donnée liturgique de la célébration de Noël, où le « Sol iustitiae » coïncide avec le soleil naturel, c'est-à-dire lorsque la venue de Christ, lumière du monde, coïncide avec la reprise d'une durée plus longue de la lumière solaire ; et à cette intention il a fait référence à l'obélisque de la Place Saint-Pierre, se référant ensuite à Galilée et à l'année astronomique qui s'ouvrira dans peu de temps. Cela a servi à dire ce qui ensuite dans le discours d'hier a été exprimé de manière explicite : que les cieux narrent la gloire de Dieu, une gloire qui n'est pas désordonnée mais qui est une merveilleuse symphonie de lumière, de couleurs et de structures mathématiques qui gouvernent le cosmos.

Q: Quels autres éléments du discours hier sont particulièrement importants ?

R: ll y a un autre élément considérable qu'il faut souligner. En développant les considérations sur l'ordre naturel des choses et de l'homme, et sur la valeur métaphysique de cet ordre, le Pape a soutenu encore une fois une défense énergique d'Humanae vitae.
Il est vrai que le Pape a fait une allusion explicite aux critiques, y compris catholiques, des voyages et des Journées de la Jeunesse ; mais il est aussi certain dans ce dernier passage se réfère à une critique frontale d'Humanae vitae, qui provient aussi d'une partie catholique et ecclésiastique, ainsi que de cardinaux.
Inutile de cacher que cette critique arrive en particulier du Cardinal Carlo Maria Martini, dont le dernier livre, en tête des best-sellers parmi les essais, contient un chapitre entier entièrement consacré à ce point. Il s'agit donc d'une critique en cours, pas d'une chose du passé ; et sur ce point, le Pape a exposé clairement sa pensée.


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