"La Passion" de Gibson, vue par Messori

Un article de 2004, pour "relire" un film inoubliable. Traduction (27/10/2008)


C'était il y a bientôt cinq ans - en février 2004, pour être précis.
Au printemps 2004, en effet, le monde entier - et la France, par ricochet - bruissait d'une polémique préfabriquée, qui n'est pas sans rappeler celle sévissant actuellement au sujet de la béatification de Pie XII.
Précédé d'une gigantesque campagne de dénigrement (racontée par Daniel Hamiche dans son très intéressant livre, "La Passion de A à Z"), le film de Mel Gibson "La Passion", était sur le point de sortir sur les écrans.

Europe 1, un certain dimanche soir du mois de mars, lors de son "grand rendez-vous hebdomadaire" invitait le cardinal Lustiger (très tiède) à la rescousse! : il proclamait sa réticence « à être récupéré par le service de publicité de ce film » auquel il attribuait le "reproche fondamental" de sa violence.
A la télévision, Marc-Olivier Fogiel se permettait de mettre littéralement (et sans trop de succès) sur le gril le père Charles-Roux, le prêtre qui disait la messe quotidienne sur le tournage.


Depuis, la polémique est retombée - ou plutôt d'autres lui ont succédé - mais le film, lui, demeure.

L'occasion de traduire cet article (que je n'ose qualifier de splendide, mais il l'est, pour moi) m'a été donnée par l'annonce de la publication ces jours-ci, en Italie, d'un livre d'entretiens (un livre confession, comme on dit) de son auteur, Vittorio Messori, avec Andrea Tornielli.
Le livre s'intitule "Perchè credo" (pourquoi je crois).
Tornielli le présente ainsi dans son blog :
[Messori y] raconte pour la première fois publiquement l'histoire de sa conversion, de cette expérience mystique qui, en 1964, l'a amené à se rendre à l'évidence de la rencontre avec Jésus, après une éducation de parfait agnostique, élève de l'école rationaliste de Turin..
On en trouvera la présentation sur le site de Messori.
Il y a peu de chance qu'il soit traduit en français avant longtemps, mais ce que j'en ai vu donne vraiment envie de le lire -en italien, pourquoi pas?- et serait sans doute un témoignage propre à ranimer la foi auprès de ceux qui l'ont perdue, ou chez qui elle vacille, davantage, en tout cas pour moi, que les pitreries posthumes de certaine religieuse...

En attendant, voici donc ce qu'écrivait en février 2004 Messori à propos de La Passion de Gibson.

Là encore, une occasion de raviver la foi, en (re)voyant ce film inclassable et incroyable (que j'avais vu personnellement avec malaise, d'une certaine façon, car c'était très dur, très sanguinolent, même, mais aussi en pleurant beaucoup, ce qui ne m'arrive jamais). On verra que le Jésus que Mel Gibson, totalement habité, a voulu nous présenter, est très proche de ce Jésus de chair dont le Saint-Père nous parle semaine après semaine, dans ses catéchèses et ses homélies.

Un mot, encore: voici un article de plus qui semble ne pas avoir de rapport direct avec ce site (encore que le cardinal Ratzinger y soit cité).
Mais Messori (et Mel Gibson) parlent eux aussi de ce Dieu qui est amour
Et puis Vittorio Messori a une place spéciale dans mes pensées: c'est Benoît XVI qui me l'a fait connaître (puisque "Entretiens sur la foi" est le premier livre que j'ai acheté après l'élection), mais c'est Messori qui m'a le premier aidé à connaître Benoît XVI, au-delà de la perception immédiate et de la sympathie spontanée.




La Passion de Gibson
de Vittorio Messori
http://www.et-et.it/articoli2004/a04b17.htm
17 février 2004
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Dans la petite salle insonorisée, la lumière se rallume après deux heures et six minutes. Nous ne sommes qu'une petite douzaine, de plusieurs pays, conscients d'un privilège : sur invitation de Mel Gibson et du producteur Steve McEveety d'Icon Films, nous sommes les premiers en Europe à voir sur écran la cassette tout juste arrivée de Los Angeles, avec la copie enfin définitive. Celle-là même qui, mercredi prochain, sera dans deux mille salles américaines, cinq cents Anglaises, dans autant d'australiennes, celle dont l'attente a mis en court circuit tous les sites Internet et qui dans sa première semaine d'exploitation récupérera (les book-maker le donnent pour certain) les 30 millions de dollars de la production. Le pape lui-même n'a pas vu qu'une version provisoire, où il manque entre autre une partie de la musique. Oui, ce soir nous sommes les premiers, les italiens devront attendre jusqu'à au 7 avril, les français (en fait, le film est sorti plus tôt, le film ayant si je me souviens bien, fini par trouver un distributeur, après moult vicissitudes, ndt) et les espagnols jusqu'en juin.

Lorsque les titres du générique final ont fini de défiler, où les noms américains alternent avec les italiens, où les remerciements à la Commune de Matera (lieu de tournage, en Italie, ndt) voisinent avec ceux destinés aux théologiens et aux spécialistes de langues anciennes, où Rosalinda, fille de Celentano (le diable) est à côté d'une juive roumaine (la Vierge), lorsque le technicien abaisse le levier qui redonne la lumière, dans la salle, le silence persiste. Deux femmes pleurent, doucement, sans hoquets; le monsignore en clergyman à côté de moi est très pâle, les yeux fermés ; le jeune secrétaire tourmente nerveusement un chapelet; un timide début d'applaudissement, isolé, s'éteint vite, dans l'embarras. Pendant de longues, très longues minutes personne ne se lève, personne ne bouge, personne ne parle. Donc, ce qu'on nous annonçait était vrai : The Passion of the Christ a frappé, l'effet voulu par Gibson s'est réalisé avec nous, premiers cobayes. Pour ce que vaut mon témoignge, je suis moi-même interdit et muet: pendant des années j'ai passé au crible, un par un, les mots grecs avec lesquels les évangélistes narrent ces évènements, aucun détail historique de ces heures à Jérusalem ne m'est inconnu, j'en ai tiré un livre de quatre cents pages que Gibson lui-même n'a pas ignoré. Je sais tout. Ou, mieux, je découvre maintenant que je croyais savoir : tout change si ces mots se traduisent en images d'une puissance telle à les transformer en chair et en sang, en signes mordants d'amour et de haine.

Mel l'a dit avec l'orgeuil joint à l'humilité, avec le pragmatisme pétri de mysticisme qui forme en lui un mélange singulier: « Si cette oeuvre devait échouer, pendant cinquante ans il n'y aura pas de futur pour le film religieux. Ici, nous avons jeté le meilleur : argent - autant qu'il en fallait- prestige, temps, rigueur, charisme de grands acteurs, science des érudits, inspirations des mystiques, expérience, technique d'avant-garde. Nous nous avons jeté, surtout, notre certitude que cela en valait peine, que ce qui s'est passé durant ces heures concerne chaque homme. Avec ce Juif nous aurons à faire pour toujours, tous, après la mort. Si nous ne la sortons pas, cette oeuvre, qui d'autre pourra la réaliser? Mais nous la sortirons, j'en suis certain : notre travail a été accompagné de trop de signes qui me le confirment » .
En effets sur le tournage il s'est produit beaucoup plus que ce qu'on en sait, beaucoup restera dans le secret des consciences : conversions, libérations de la drogue, réconciliations entre ennemis, abandons de liens adultères, apparitions de personnages mystérieux, explosions d'énergies extraordinaires, figurants qui s'agenouillaient au passage de l'extraordinaire Caviezel-Jésus, et même deux éclairs de foudre, dont un a frappé la croix, et qui n'ont blessé personne. Et aussi, des coïncidences lues comme des signes : la Madone avec le visage de l'actrice juive nommée Morgenstern qui, on l'a remarqué seulement après, signifie, en allemand, l'Étoile du Matin de la litanie du rosaire.

Gibson s'est souvenu de l'avertissement du bienheureux Fra Angelico : « Pour peindre le Christ, il faut vivre avec le Christ ».
L'atmosphère, entre les pierres de Matera (lieu du tournage, ndt) et les studio de Cinecittà semble avoir été celle des représentations médiévales sacrées, des cortèges de flagellants en pèlerinage. Un Char de Tespi (Tespi est un poète grec semi-légendaire de l'antiquité, qui se déplaçait d'une ville à l'autre sur un char: il y dressait une scène sur laquelle des acteurs récitaient des vers sur des thèmes d'inspiration historique, ndt) du XIVème siècle, pour lequel, chaque soir, un prêtre en soutane noire, celle avec la longue rangée de boutons, célébrait une messe sur place, en latin, selon le rite de saint Pie V.
Telle est en effet, la vraie raison de la décision de faire parler les juifs dans leur langue populaire, l'araméen, et les romains dans un latin vulgaire, de militaire, qui blesse nos oreilles de vieux lycéens, habitués aux raffinements de la langue de Cicéron.
Gibson, catholique amoureux de la Tradition, est un partisan coriace de la doctrine réaffirmée au Concile de Trente
: la Messe est aussi repas fraternel, mais elle est avant tout sacrifice de Jésus, renouvellement sans effusion de sang de la Passion. C'est cela qui importe, ce n'est pas « comprendre les mots « , comme le veulent les nouveaux liturgistes dont Mel raille la superficialité qui lui apparaît blasphème. La valeur rédemptrice des actes et des gestes qui culminent sur le Calvaire n'a pas besoin d'expressions que chacun peut comprendre. Ce film, pour son auteur, est une Messe : donc, qu'il soit dans une langue obscure, comme elle l'a été pendant tant de siècles. Si les esprits ne le comprennent pas, tant mieux, ce qui compte c'est que le coeur comprenne que tout ce qui est arrivé rachète nos péchés et nous ouvre les portes du salut. Tout comme le rappelle la prophétie d'Isaïe sur le "Serviteur de Jahvé" qui, en plein écran , sert de prologue au film entier. Le prodige de toute façon, m'a semblé se vérifier : au bout d'un moment, on abandonne la lecture des sous-titres pour entrer, sans distraction, dans les scènes - terribles et merveilleuses- qui se suffisent à elles-mêmes.

Sur le plan technique, le film apparaît d'une très haute qualité. Pasolini, Rossellini, et même Zeffirelli, sont réduits à des parents pauvres et à des hommes du passé: chez Gibson, lumières savantes, photographie magistrale, costumes extraordinaires, décors dépouillés et, lorsque c'est nécessaire, somptueux, truquages d'une incroyable efficacité, interprétation par de grands professionnels, dirigés par un réalisateur qui est lui-même un illustre collègue. Et surtout, des effets spéciaux tellement mirobolants que, comme le disait Enzo Sisti, le producteur exécutif, ils resteront secrets, confirmant l'énigme de l'oeuvre, où la technique veut être au service de la foi. Une foi dans sa version la plus catholique - l'appréciation du Pape et de nombreux cardinaux, Ratzinger compris, n'est pas un hasard - The Passion est un manifeste qui ruisselle de symboles que seul un oeil compétent discerne pleinement. Il faudrait un livre (deux, en fait, sont en préparation) pour aider le spectateur à comprendre.

Pour le dire sous forme de synthèse extrême, la "catholicité" radicale du film est avant tout dans le refus de toute démythification, dans la volonté de prendre les évangiles comme des chroniques précises : les choses, nous dit-on, se sont vraiment passées ainsi, comme l'Écriture les décrit. Le catholicisme est aussi dans la reconnaissance de la divinité de Jésus qui cohabite avec sa pleine humanité. Une divinité qui surgit de façon dramatique, dans la capacité suhumaine de ce corps à subir une quantité de douleur sans équivalent ni avant ni après, en expiation de tous les péchés du monde. Mais la « catholicité « radicale (qui, je le prévois, mettra en difficulté quelques églises protestantes, déjà généreusement mobilisées pour soutenir la distribution) est aussi dans l'aspect « eucharistique « , réaffirmé dans sa materialité: le sang de la Passion est noué de façon continue au vin de la Messe, la chair martyrisée du corpus Christi au pain consacré. Et il est aussi dans le ton fortement marial: la Mère et le Diable (qui est femelle ou, peut-être, androgyne) sont omniprésents, l'une avec sa douleur silencieuse, l'autre avec sa complaisance maligne. A Anne Caterina Emmerich, la voyante stigmatisée, Gibson a emprunté les intuitions extraordinaires : Claudia Procula, la femme de Pilate, offrant en pleurant à Marie les linges pour recueillir le sang de son Fils compte parmi les scènes de plus grande délicatesse dans un film qui, plus que violent, est brutal. Comme fut brutale, justement, la Passion. Le Pierre désespéré après le reniement, se jette aux pieds de la Vierge pour obtenir son pardon. Si deux heures sont consacrées au martyre , deux minutes suffisent pour rappeller que ce ne fut pas le dernier mot : du vendredi saint au dimanche de Pâques, à la Résurrection que Gibson a résolu par une lecture des mots de Jean que je propose aussi. Un linceul "vidé", avec une marque suffisante « pour voir et croire « que le supplicié a triomphé de la mort.

Antisémitisme ou, au moins, antijudaïsme ? Ne plaisantons pas avec des mots trop sérieux. Ayant vu le film, je pense que les juifs américains influents, pas rares, qui mettent en garde leurs coreligionires de ne pas condamner avant de voir, ont raison. Il est très clair, dans le film, que ce qui pèse sur le Christ et le réduit à cet état, ce n'est pas la faute de tel ou tel, mais plutôt tout les péchés de tous les hommes, sans aucune exclusion. À l'obstination de Caïphe pour demander la cricifixion (ce sadducéen collaborationiste qui ne représentait pas du tout le peuple juif, dont au contraire il était detesté, le Talmud a sur lui et sur son beau-frère Anne des mots terribles), le sadisme inouï des bourreaux romains fait plus que contrepoids; à la lâcheté politique de Pilate, qui le porte à violer sa conscience, s'oppose le courage du synèdre - épisode ajouté par le réalisateur- qui affronte le Grand Prêtre en lui criant que ce procès est illégal. Et n'est-il pas juif, ce Jean qui soutient la Mère, n'est-elle pas juive la pieuse Véronique, n'est-il pas juif, l'impétueux Simon de Cyrène, ne sont-elles pas juives les femmes de Jérusalem qui crient leur désespoir, n'est-il pas juif, Pierre qui, pardonné, mourra pour le Maître?
Au début du film, avant que le drame ne se déchaîne, Madeleine, angoissée, demandeà la Vierge: « Pourquoi cette nuit est-elle si différente de toutes les autres? « . « Parce que » répond Marie « tous les hommes sont esclaves, et maintenant, ils ne le seront plus « . Tous, vraiment tous : « juifs ou gentils « qu'ils soient.
Cette oeuvre, dit Mel Gibson attristé par les agressions préventives, veut reproposer le message d'un Dieu qui est Amour. Et que serait un Amour qui excluerait quelqu'un ?

© Corriere della Sera


L'explication de Mel Gibson

Préface par Mel Gibson du livre "La Passion", avec les images du film, 2004, ed. Michel Lafon
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On me demande souvent pourquoi j'ai voulu faire un film sur la Passion du Christ. Généralement, je me borne à dire que ce projet m'a habité pendant dix ans, ce qui est vrai. La plupart des gens semblent se satisfaire de cette réponse
Mais la réalité est, bien sûr, plus complexe, et sa genèse remonte à une période où j'étais en proie à un sentiment terrible de vide et de solitude. Et parce que j'ai été élevé pour être un bon chrétien et un bon catholique ma seule, véritable ressource a alors été la prière. J'ai demandé à Dieu de m'aider.
C'est au cours de cette période de méditation et de prière que j'ai songé pour la première fois à réaliser un film
sur la Passion du Christ. Cette idée a pris racine en moi très progressivement. J'ai commencé à m'intéresser aux oeuvres des grands artistes qui s'étaient inspirés de ce sujet. Aussitôt, j'ai pensé au Caravage ainsi qu'à Mantegna, Masaccio, Piero della Francesca... Leurs peintures reflétaient la source de leur inspiration avec la vérité que je souhaitais pour mon film. Mais c'est une chose de peindre un moment de la Passion avec vraisemblance. Cela en est une autre de relater cet événement et ce mystère dans son intégralité.
Les Saintes Écritures et les représentations admises de la Passion étaient les seuls textes dont je pouvais m'inspirer pour écrire un scénario. Mais qu'en était-il du film lui-même ? Je voulais qu'il soit un témoignage de l'amour infini de Jésus-Christ, qui a sauvé et continue à sauver tant d'hommes de par le monde.
Il existe un mot en grec ancien qui définit le mieux la « Vérité » qui a guidé mon travail et celui de tous ceux qui ont participé à ce projet : aletheia. Il signifie simplement « inoubliable » (du fleuve Léthé, évoqué par Homère, dont l'eau procure l'oubli). Et l'oubli est malheureusement devenu un rituel de notre moderne existence séculière. En ce sens, ce film n'est pas un document historique, pas plus qu'il ne prétend rassembler tous les faits. Mais il relate ceux qui sont dans les Saintes Écritures. Il ne cherche pas simplement à représenter ou à exprimer. Je pense que sa vocation est contemplative. Cela signifie qu'il appelle chacun à se rappeler (à ne pas oublier). C'est une démarche spirituelle qui ne peut être formulée mais seulement ressentie.
(..)
Mon nouvel espoir est que La Passion du Christ aide de plus en plus de personnes à reconnaître le pouvoir de Son amour et qu'elle Le laisse les aider à sauver leur propre vie.


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