Sans éthique, la finance échoue

Un article du banquier Ettore Gotti Tedeschi (évoqué par S. Magister dans son billet hebdomadaire), dans l'Osservatore Romano. (20/11/2008)


Dans son billet hebdomadaire du 19 novembre, Sandro Magister étudie l'évolution de l'Osservatore Romano, depuis que Gian Maria Vian en a pris les rênes: de journal officiel du Pape, il est devenu journal d'opinion, élargissant la base de recrutement de ses rédacteurs, et adoptant sur plusieurs sujets (notamment en relation avec la vie) des attitudes qui auraient irrité, selon lui, certains hiérarques catholiques, mais pas le Saint-Père..
(Je retiens personnellement ceci: il doit donc être clair, symétriquement, que les positions de l'OR ne représentent pas non plus forcément celles du Pape... il n'y a donc pas lieu de les instrumentaliser quand cela arrange).

L'article se conclut ainsi:


Dernier point, mais non le moindre, de ce rapide examen: la contribution à l'analyse de l'économie mondiale qu’apporte à "L'Osservatore Romano" un économiste et banquier catholique de haut niveau, aux vues très originales, Ettore Gotti Tedeschi, président en Italie du Banco Santander Central Hispano. Voici comment il concluait l’une de ses notes, le 18 octobre dernier:

"Puisque c’est l’époque de l’attribution des prix Nobel, on est tenté de proposer la création d’un nouveau prix: un Nobel d'anti-économie, attribué à celui qui a causé les plus graves dégâts à l'économie mondiale. Actuellement, les candidats sont nombreux".
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Justement, le site http://rassegnastampa.totustuus.it/ reproduit un article signé par M. Gotti Tedeschi, paru dans l'Osservartore Romano du 9 novembre dernier, à propos de la crise économique.
L'absolu béotien que je suis dans ce domaine n'a rien lu d'aussi clair, simple à comprendre, pertinent, et fort.

Ma traduction.


Sans éthique, la finance échoue

L'Osservatore Romano - 9 novembre 2008
d'Ettore Gotti Tedeschi
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On dit qu'il n'était pas possible de prévoir les risques de la finance mondialisée et ses conséquences. Ce n'est pas vrai. Par contre, c'est vrai que les prévisions de ces risques ont des explications de caractère moral. Pour cette raison, elles ont été négligées et délégitimées. La finance a en quelque sorte voulu imposer son autonomie morale, avec des résultats qui sont sous les yeux de tous.

Déjà trente ans plus tôt, on avait prévu l'impossibilité d'assurer un développement économique "durable" avec une croissance démographique égale à zéro. On se demandait s'il était logique et éthique de proposer l'illusion d'un développement fondé uniquement sur la croissance individuelle de la consommation. S'il était logique et éthique de faire absorber par la croissance de la consommation la croissance des coûts sociaux (retraites et santé) en provoquant l'augmentation des impôts. S'il était logique et éthique de transformer un peuple d'épargnants en peuple de consommateurs endettés. S'il était logique et éthique d'imposer à l'homme globalisé d'aller chercher du travail loin de sa maison.

Il était par ailleurs considéré comme très éthique (même si c'était peu logique) de permettre à chacun d'avoir une maison, même à ceux qui ne pouvaient pas se le permettre. Ainsi furent inventés les prêts "subprime", avec les conséquences que nous connaissons. Ce modèle est un exemple classique d'une bonne fin - la maison pour tous - poursuivie avec de mauvais moyens , c'est-à-dire avec une structure financière insoutenable.

On se demandait donc s'il était éthique de financer ce modèle avec les économies des citoyens, investis souvent en produits financiers incompréhensibles. Et on se demandait aussi s'il était logique et éthique d'accepter que les banques adoptent des modèles concurrentiels basés sur la croissance des valeurs pour les actionnaires, les forçant ainsi à prendre des risques excessifs et peu de transparence, dans le but de montrer la croissance des profits.

Les questions, donc, étaient très nombreuses.
Mais on y a répondu avec d'autres questions : que vient faire ici l'éthique ? Et de quelle éthique s'agit-il ?

Aujourd'hui cependant, une autre question se pose: quel sera le coût de ce déficit éthique ? Après l'illusion de richesse de ces années la première conséquence est que pour un moment, tant que le déficit produit ne sera pas absorbé, les banques financeront moins le système économique, qui, à son tour, produira moins et payera moins. Nous consommerons moins et épargnerons moins. En pratique nous vivrons plus pauvrement. Et nous serons en outre forcés d'accepter une certaine forme d'étatisme, selon les moyens qui seront adoptés : plus d'impôts et d'inflation, et baisse des taux de rémunération des économies - probablement sous le taux d'inflation - qui représentera ainsi un impôt occulte de transfert de la richesse.

L'invitation de Benoît XVI est donc opportune. Le Pape nous rappelle avant tout que l'argent est seulement un moyen et, en tant que tel, ne doit pas nous détourner des fins.
Il est vrai que si on ne crée pas de richesse, on ne peut pas la distribuer, mais si on la crée crée mal - comme cela s'est produit durant ces années - on détruit une double valeur : celle de la richesse et celle de l'homme. Le modèle de capitalisme inconsistant des dernières années a donné vie à une utopie économique qui à son tour a causé de graves dégénérescences.

La valeur de l'individu a été en effet évaluée selon ce qu'il pouvait gagner, dépenser, consommer. Mais désormais, même à cela, plus personne ne croit et la méfiance règne. Dans la societé la confiance est une valeur économique fondamentale, mais on le comprend quand elle vient à manquer. La confiance se fonde sur le comportement éthique des opérateurs et améliore la concurrence, la crédibilité, la motivation et la coopération ; elle permet la stabilité, en garantissant la valeur financière de l'entreprise, et permet le développemment, en stimulant créativité et efficacité.

Le marché, aujourd'hui, demande surtout des certitudes et le respect des règles : l'incorrection, dans la finance génère en effet un coûte inacceptable pour la collectivité. Mais pour assainir l'économie et engendrer une nouvelle confiance il est nécessaire avant tout de dépasser le déficit de logique et d'éthique qui a marqué ces années. Autrement les solutions seront seulement temporaires.



Nous voyons donc clairement que ce qui ici est en cause, ce n'est pas la réglementation (ou son absence), mais la morale.
Sur le premier point, j'ai trouvé sur le site de l'IBP (Institut du Bon Pasteur) Roma un article qui fournit des arguments convaincants:


Extrait

Rarement, crise financière n’a fait couler autant d’encre. Il est vrai que la gravité de la situation et ses conséquences vont affecter de manière directe ou indirecte l’ensemble de la population mondiale. Dans ce flot d’assurances et d’affirmations, il faut craindre la pensée unique et populiste qui consiste à simplifier le débat, chercher un responsable (les banques) et la cause en apparence évidente (le manque de régulation) pour ensuite émettre des solutions hâtives dont le résultat sera plus pénalisant qu‘efficace. Sans ignorer la nécessité de mieux réguler le secteur financier, il convient de nuancer les choses.

Dans cette crise d’une ampleur inégalée depuis la fin des années 20, il semble de bon ton de relever un manque de régulation du système financier. Pourtant, le système financier n’a jamais été aussi régulé. Les exigences réglementaires se succèdent à un rythme effréné : de Bâle I (réglementation relative à l’exigence de fonds propres des banques édicté par la Banque des Règlements Internationaux situé dans la même ville), on est passé à Bâle II et sans prendre de risques, il est permis d’affirmer que Bâle III sera pour demain même si l’appellation changera très probablement car le I et le II ont montré leurs limites! L’inflation des textes en la matière prend des proportions inimaginables au point que plus de 70.000 pages de nouvelles réglementations américaines ont été ajoutées depuis la loi Sarbanes Oxley de 2002 ! Les agences fédérales chargées de réguler le secteur financier emploient plus de 12.000 personnes ! Toute cette régulation aux Etats Unis n’a cependant pas permis d’éviter la crise financière actuelle dont l’origine réside dans l’explosion d’une bulle immobilière résultant elle même d’un endettement excessif des ménages américains encouragé par des agences gouvernementales comme Fannie Mae et Freddie Mac.

Pourtant, les hommes politiques de tous pays confondus aiment affirmer avec force et vigueur qu’il faut réguler encore plus le système financier. La vérité n’est probablement pas aussi simple. Le parallélisme avec la politique de sécurité routière qui consiste à imposer une vitesse maximale à chaque tronçon de route est un parfait exemple de la tendance actuelle. Encadré à tout instant par des règles strictes, le conducteur se déresponsabilise et tend à perdre de vue les règles élémentaires de sécurité. En d’autres mots, ce qui n’est pas interdit est autorisé !

La suite ici ....


Voir aussi

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