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Les nombres et la foi (1)

Une série d'articles de l'Avvenire sur le thème "Foi et raison", déjà évoqués dans l'article sur "Mathématiques, mathématiciens et foi". Traduction des n° 1 et 2. (11/1/2009)


J'ai cherché sur internet les articles évoqués par Sandro Magister dans son billet: Tous les nombres de la foi, et publiés depuis un mois dans le journal Avvenire.
Des mathématiciens (italiens) parlent des mathématiques et de la preuve impossible de l'existence ou non-existence de Dieu, mais aussi de la façon dont ils vivent comme croyants leur condition de porteurs d'une vérité "logique" qui les dépasse.
Pour le moment, six articles alimentent ce passionnant dossier.

Sans suivre spécialement la chronologie, j'ai choisi de traduire - pour le moment - le n°1 (Antonio Ambrosetti, qui, si j'en juge par ce texte, doit être un pédagogue exceptionnel) et le n°2 (une mathématicienne, Lucia Alessandrini)

NOMBRES ET FOI (1)
Avvenire

Pourquoi le divin échappe aux mathématiques

Cette interview d'Antonio Ambrosetti démarre un cycle d'entretiens dédiés aux rapports entre les mathématiques (et les mathématiciens) et la foi, qui démontent la fausseté de l'équation identifiant sciences exactes et athéisme.
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« Sur le mur de mon bureau, il y a un crucifix.
La journaliste, qui est face à moi, en fait l'observation. Ensuite, étonnée, elle me dit : "Professeur, êtes-vous croyant ? ".
"Oui", réponds-je spontanément.
Et elle : "Mais comment fait un scientifique - et même un mathématicien - pour croire en Dieu ? ".
Et elle souligne le mot "mathémathicien", en scandant les syllabes.
L'équation rationalité-absence de foi est un lieu commun qui est très à la mode aujourd'hui, et m'agace. Parce qu'elle est entièrement erronée. La preuve en est le grand nombre d'illustres penseurs, du passé et d'aujourd'hui - en premier lieu des mathématiciens - dont la foi est connue de tous.
Depuis quelques années, à la télévision, on a accordé trop de place à des personnages.. qui ont mis en avant la thèse de l'incompatibilté entre foi et science avec des argumentations logico-philosophiques qui, quoi qu'il en soit, ont peu à voir avec les mathématiques ».

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Le professeur Antonio Ambrosetti, qui fut professeur d'Analyse à la Normale de Pise et aujourd'hui à la Scuola internazionale superiore di Studi avanzati (Sissa) de Trieste, a eu deux maîtres, tant dans la science que dans la foi : Giovanni Prodi, éminent mathématicien « et aussi un grand homme », et Ennio De Giorgi, un des plus grands mathématiciens du siècle dernier, tous les deux animés d'un profond sens religieux.

- Professeur, il y a qui se proposent même de démontrer mathématiquement que Dieu n'existe pas.
« Une entreprise de ce genre est du temps perdu. Je cite un livre qui m'a frappé : Irreligion, de John Allen Paulos, dont la version en italien, pour faire sensation, porte le titre "la preuve mathématique de l'inexistence de Dieu".
Mais dans le livre il n'y a aucune démonstration mathématique. Aucune des génies des mathématiques, des Grecs jusqu'à aujourd'hui, n'a pu démontrer mathématiquement l'inexistence (ou l'existence) de Dieu.
Une science précise comme les mathématiques ne peut donner de réponse à la question cruciale qui a tourmenté les hommes de chaque époque.
Je viens de finir d'écrire un bref essai intitulé Mathématique et Dieu où je montre, entre autre, combien il est vain d'utiliser les mathématiques pour montrer que Dieu existe ou non ».

- Aujourd'hui s'est répandue dans l'imaginaire collectif l'idée que les mathématiciens sont d'une d'une certaine façon tout-puissants…
« Rien n'est plus faux. Chacun d'eux, même le plus grand intellectuel, avait - au minimum - des limites établiee par les connaissances scientifiques de son époque. Par exemple, le célèbre théorème de Fermat (*), énoncé au début du XVIIe siècle, n'a été démontré que récemment (ndt: en 1994, par Wiles), et ainsi de suite. En mathématiques aussi, il y a un développement graduel des connaissances, qui porte la recherche à faire des pas en avant. Mais il y a toujours des résultats qui y échappent et qui ne seront démontrés probablement que dans le futur ».
(*: Il n'existe pas d'entiers x, y, z, non nuls tels que x^n+y^n=z^n)

- Mais que veut dire "démonstration mathématique"?
« En mathématiques, on montre des théorèmes, et pour ce faire, il faut, avant tout, fixer des postulats. Ensuite il faut faire des hypothèses, et enfin on cherche à montrer la thèse. Voilà un exemple connu : le Théorème de Pythagore. Les postulats sont ceux de la géométrie euclidienne, l'hypothèse est que le triangle soit rectangle, la thèse est que la somme des carrés construits sur les côtés équivaut au carré construit sur l'hypoténuse. Mais le théorème peut ne pas valoir, si nous substituons aux axiomes de la géométrie euclidienne d'autres postulats ou si nous nous référons à un triangle qui ne soit pas rectangle.
Maintenant, quand on parle de l'existence de Dieu, quelles hypothèses peut-on faire ? Et quels sont les postulats ? Tout est inévitablement vague et aléatoire. C'est la même chose, si je veux prouver l'inexistence de Dieu. A cela s'ajoute que des propositions peuvent très bien être vraies, même si, étant données nos limites, nous ne sommes pas en mesure de les prouver complètement.
Loin de nous fournir des certitudes, un théorème de mathématiques ne peut pas dévoiler le mystère de Dieu, qui domine nos capacités. Du reste, on sait qu'il faut être attentif lorsqu'on cherche à appliquer les résultats mathématiques aux diverses situations concrètes ».

- Les mathématiques ne sont pas "un vêtement prêt-à-porter" (en français dans le texte).
« Les théorèmes sont souvent des résultats théoriques. Même lorsqu'ils sont utilisés pour des problèmes de physique ou dans des applications, ils doivent être maintenus dans leurs limites, et non extrapolés pour les employer dans des situations qui nous arrangent. Il y a un célèbre théorème de Poincaré qui, avec des mots très simples, démontre qu'un pneu crevé se regonfle tout seul après un temps suffisamment long. Mais quel est le cycliste qui s'arrêtera pour attendre cet évènement extraordinaire ? Il pourrait devoir attendre des siècles. Ne parlons pas des raisonnements de type probabiliste que l'on fait souvent lorsqu'on discute sur l'existence de Dieu »

- Ce sont les plus risqués.
« Prenons la Loi des grands nombres, ou de Bernoulli, dont ceux qui jouent à la roulette ont entendu parler. Sur la base de cette loi, après un nombre "suffisamment grand" de lancers, il y a d'excellentes chance de gagner. Mais combien de lancers faut-il faire (en augmentant toujours la mise) ? Mille, des millions, ou plus encore ? Une vie entière pourrait ne pas suffire. L'incertitude est encore plus grande, si nous prétendons utiliser les mathématiques pour discuter sur Dieu. D'autre part, si par absurdité, il était possible de démontrer mathématiquement que Dieu existe ou non, nous devrions être tous croyants ou tous athées, avec une croix sur notre liberté. Au contraire Dieu la respecte, en nous permettant même de Le refuser. Mais celui qui Le cherche avec l'esprit et surtout avec le coeur, en sent la présence et savoure d'avance la vision de Dieu lorsque les temps seront mûrs ».

- Les mathématiques ne peuvent rien démontrer sur le mystère de Dieu. Mais peuvent-elles soutenir la foi ?
« Les mathématiques me font avoir l'intuition de la présence de Dieu. Parlons de l'infini, l'argument remonte à Pascal. En mathématiques, chaque nombre réel est dépassé par "+oo". En cela, j'aperçois Dieu, qui est toujours au-dessus de nous. Dieu qui connaît tous les théorèmes mais ne les dévoile pas, attendant que nous, lentement, progressions dans la recherche. Dieu ne veut pas de robots, mais des hommes qui avec humilité, conscients de leurs limites, vont de l'avant et Le cherchent tout en sachant qu'ils ne pourront jamais en comprendre complètement le mystère.
En fin de compte, seule notre conscience peut dire oui à Dieu, par des choix faits librement avec l'esprit et surtout avec le coeur.
Ennio De Giorgi disait : "Au début et à la fin, nous avons le mystère. Les mathématiques nous rapprochent du mystère, mais dans le mystère, elles ne parviennent pas toujours à pénétrer" ».

Luigi Dell'Aglia

NOMBRES ET FOI (2)
Avvenire

Mais non, la géométrie n'est pas athée.
La mathématicienne Lucia Alessandrini : « Souvent, ils manque aux jeunes étudiants les moyens pour comprendre les rapports entre le divin et l'humain »

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- Un mathématicien qui ne soit pas athée est-il vraiment un oiseau rare ( "merle blanc"? en italien mosca bianca)?
« Je pense vraiment que non. Je ne suis pas athée et je connais beaucoup de collègues qui sont croyants (et aussi beaucoup qui ne croient pas). Je viens d'une famille religieuse, j'ai toujours fréquenté la paroisse et j'ai travaillé en Italie dans des groupes missionnaires. En même temps j'étudiais les mathématiques parce que cela me plaisait beaucoup. (Tous les mathématiciens répondent ainsi : ils étudient pour le "goût" de faire des mathématiques).
À un certain point, j'ai dû choisir. J'ai cherché à comprendre quelle était vraiment ma "vocation", et je suis arrivée à la conclusion que je devais faire des mathématiques. J'ai compris que le Seigneur était aussi le Seigneur des mathématiques, donc ma vie ne devait pas été partagée en deux moitiés; c'était une unique vie, dans laquelle cohabitaient très bien ces deux impulsions puissantes ».

Le professeur Lucia Alessandrini est chargée de Géométrie à l'Université de Parme. Et qu'elle soit une mathématicienne en or massif (a ventiquattro carati ), la force de sa vocation scientifique en témoigne, une activité de recherche de tout premier plan, et la façon dont elle explique son amour pour la "reine des sciences".
« Les mathématiques - dit-elle - sont reliées à la beauté des idées. Elles attirent aussi parce qu'avec elles, on ne peut pas tricher. Une chose est juste ou fausse : il n'existe pas de milieu. Et on ne peut pas s'arrêter, on ne peut pas être satisfait jusqu'à ce qu'on soit arrivé au but ».

- Professeur, comme vivez-vous votre expérience de mathématicienne et de croyante ?
« L'équation "là où est la raison, il n'y a pas de religion" ne résiste pas. Il n'y a absolument aucune opposition ou incompatibilité. Il s'agit d'avoir une vision complète de l'homme, dans laquelle la rationalité n'est pas vue seulement comme rationalité scientifique. Je crois que la rationalité de l'homme comporte différentes composantes. Mon expérience de croyante est le fondement de mon existence. Cela ne signifie pas que, pour me sentir chrétienne, je doive faire des allusions de type religieux aux étudiants pendant les leçons de mathématiques. Je ne me permettrais jamais de le faire, le fait d'être une chrétienne fait partie de la totalité de mon existence ».

- Jamais de conflit intérieur entre la mathématicienne et la croyante ?
« La formation universitaire et ensuite la carrière ne permettent pas toujours d'approfondir la partie "sapientielle" de son travail. Il n'est pas toujours possible de se situer dans un domaine plus vaste, pas tant dans une tradition que dans une vision du monde qui, si nous parlons le langage biblique, est justement de type sapientiel. Si je pouvais réécrire le livre du Siracide, par exemple, j'y mettrais la la figure du mathématicien, avec celle du scribe et avec les autres qui y paraissent ».

- Les jeunes qui étudient les mathématiques et sont croyants réussissent-ils à cultiver à la fois la vision scientifique et celle du savoir?
« Même les jeunes qui viennent d'un engagement en paroisse, de groupes de prière, de mouvements ecclésiaux, lorsque ils arrivent en Mathématiques sont parfois en difficulté : il leur manque (et ils doivent la construire) une vision dans laquelle on ne rencontre pas un gouffre entre l'approche scientifique et celle de la connaissance. La plupart des jeunes ont une formation religieuse qui, en général, remonte à l'époque de la Confirmation, et une connaissance de la Bible qui est d'un niveau plutôt bas. Lorsqu'on leur propose un discours intellectuel exigeant, du point de vue de la science, et qu'ils doivent le confronter dans leur esprit avec une connaissance de type religieux, ils se retrouvent (qu'on me permette le mot) plutôt "infantiles", parce que que c'est dans leur enfance qu'ils ont appris cette connaissance. Alors ils se demandent : "Comment est-il possible que l'Église propose de croire cela, alors qu'ici j'entends des raisonnements différents ? ".
Je pense qu'une redécouverte de études Bibliques pourrait les aider; ou, encore mieux, fréquenter un master en science, philosophie et théologie ».

- Cette approche pourrait-elle leur permettre d'accéder à un meilleur niveau ?
« On pourrait viser la Bible, un des "codes" de notre culture. Les jeunes se rendraient compte qu'on ne leur demande pas de croire à des "contes pour enfants": les études bibliques avancées sont de nature scientifique. Ils constateraient comment, dans l'approche d'un texte religieux, la raison est utilisée. Tout ceci, naturellement, à côté de l'étude de la philosophie, qui devrait avoir un rôle fondamental dans la formation des jeunes. Mais l'école a des programmes fixes dans lesquels sont incluses, non sans difficulté, de nombreuses matières. Et il faut déjà beaucoup se battre pour sauver la philosophie. Par contre, je ferais appel à la structure ecclésiale, aux mouvements, aux paroisses, aux centres culturels. Ceux-ci doivent absolument trouver du temps et des modalités pour impliquer les jeunes des grandes écoles et des université s».
...
- Aujourd'hui, même la philosophie souffre. La recherche des vérités fondamentales, la causa rerum, n'intéresse donc plus ?
« La philosophie doit être défendue dans le domaine scolaire, sans rien enlever à la religion. Se former une mentalité qui nous permette de raisonner sur les idées est fondamental pour ensuite comprendre qu'on peut raisonner aussi sur les idées qui concernent la foi ».

- Est-il hasardeux d'affirmer qu'une découverte mathématique a toujours quelque chose de "religieux" en soi, qui ressemble à l'intense joie créatrice de l'artiste ?
« En mathématiques, découvrir de nouvelles propriétés, ou démontrer un nouveau théorème, confère cette satisfaction intellectuelle qu'éprouve probablement aussi l'artiste lorsqu'il crée un chef-d'oeuvre. Le mathématicien oeuvre dans un monde d'idées qui le dépassera toujours mais qui n'est pas fermé à l'intelligence de l'homme, ce n'est pas le monde de l'horreur de la non-connaissance : il se prête à l'approche de l'homme, pourvu que celui-ci vise à la vérité.
Nous avons des limites dûes à notre nature humaine, mais notre esprit est apte à tendre vers l'infini, et c'est là le côté prométhéen, la "foi" qui guide le mathématicien en tant que tel. Et puis, au-delà de l'infini, il y a d'autres infinis. La connaissance mathématique en elle-même n'a pas de limites, ce sont nous, les humains qui en avons. Mais souvent les mathématiques rencontrent un vrai frein, lorsque la société n'a pas acquis la pleine certitude que les mathématiques sont indispensables au progrès.
Et nous mathématiciens, aujourd'hui, encore plus que de financements, nous avons besoin du soutien social et culturel ».

Luigi dell'Aglia

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