Alliés objectifs contre le pape

A propos de l'hostilité du rabbinat italien contre le Pape, le point de vue de Giorgio Israeli, un mathématicien italien éminent (17/1/2009)



Le billet hebdomadaire de Sandro Magister titre cette semaine:




Les faits semblent lui donner raison (voir ici: Judaïsme & Moyen-Orient ), et la marge de manoeuvre sur ce sujet semble de plus en plus étroite pour le Saint-Père, qui, selon Magister doit aussi faire face à l'hostilité - prévisible- de certains catholiques:
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Du côté catholique, tout le monde n’accepte pas la voie tracée par Ratzinger pour le dialogue avec le judaïsme. On lui oppose la "théologie du remplacement", dans ses versions "de gauche", pro-palestiniennes, ou dans celles "de droite", traditionnalistes. Selon cette théologie, l'alliance avec Israël a été abrogée par Dieu et seule l’Eglise est le nouveau peuple élu. Chez certains, cette vision va jusqu’à un rejet de fond de l'Ancien Testament.
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Comme Giorgio Israeli est souvent cité par Magister (et revient périodiquement dans le blog de Raffaella), j'ai essayé d'en savoir plus.


Giorgio Israeli

Le professeur Giorgio Israeli est un éminent mathématicien italien juif.
Il est connu par ses prises de position favorables au Pape, même s’il continue à faire partie totalement intégrante de sa communauté, où son envergure intellectuelle lui permet de prendre une part très active, et souvent à contre-courant.
Il tient un blog http://gisrael.blogspot.com/ que je viens juste de découvrir, et dont il est probable que j'aurai l'occasion de reparler : parmi les liens de ce blog, figure le site de Laurent Lafforgue, ce qui me paraît une bonne recommandation…

Dans ce dernier billet daté du 16 janvier, et paru également sur le quotidien italien "Il Foglio" (le journal atypique du "teocon" Giuliano Ferrara, celui que l'on appelle aussi "athée dévot"), il semble rejeter la faute de l’attaque des rabbins italiens contre le pape, sur un conflit interne à l’Eglise catholique. En gros, les cathos de gauche, alliés objectifs des juifs de gauche et des islamistes, contre Joseph Ratzinger.
Et l'affaire de la prière du vendredi Saint n'est qu'un mauvais prétexte.
Quoi qu’on en pense par ailleurs, la thèse –crédible - mérite d’être lue.
Elle ne fait pas uniquement référence à des conflits internes à l'Italie, et l'article apporte un éclairage très intéressant sur les tensions au sein de la communauté juive.

Article en italien ici: http://gisrael.blogspot....cattolicesimo-ambrosiano-e-lebraismo....
On y retrouve, quelle surprise! le cardinal Martini...

Ma traduction:


vendredi 16 janvier 2009
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Le catholicisme ambrosien (*) et le judaïsme de gauche marchent divisés pour mieux frapper le ratzingerisme
Il est significatif que la violente attaque par laquelle le grand rabbin de Venise Richetti a accusé Benoît XVI d'avoir démoli 50 ans de dialogue juif-chrétien ait paru dans le mensuel des jésuites « Popoli ». D'autre part, il suffit de se conformer aux faits, sans recourir à la médiocre pratique de la rétrologie, pour se rendre compte que dans cette diatribe, certains mobiles n'en valent pas vraiment la peine.
On remarque qu'un des motifs qui s'opposent aux dures attaques d'une partie du rabbinat italien n'a jamais été pris en considération. Au contraire, après que le grand rabbin de Rome Riccardo Di Segni ait apprécié l'affirmation du Pape selon laquelle, au sens strict, le dialogue interreligieux est impossible - parce que, selon Di Segni, mieux vaut éviter le dialogue théologique - voilà qu'à l'opposé, Richetti le désigne comme preuve qu'on ne veut pas dialoguer ! …
Le fait est que, tandis que Di Segni, tout en restant prudent et méfiant, suit une ligne de rationalité - « le dialogue est un processus qui doit aller de l'avant malgré les difficultés. Le Pape Benoît XVI continue à donner une contribution originale et déterminante, même si nous ne pouvons pas toujours partager ses positions » - il y en a qui ont décidé qu'il fallait à tout prix chercher querelle au Pape et trouvent sans peine dans l'autre partie des gens qui répondent avec un zèle symétrique, au risque même d'attiser à nouveau des sentiments antijudaïques jamais éteints. Ici nous sommes en présence d'un conflit interne au monde catholique, dans lequel une partie du monde juif italien se prête au rôle du Septième régiment de Cavalerie (ndt: un épisode de la conquête de l'ouest, où l'armée américaine fut défaite?): .

Je voudrais citer un épisode symptomatique qui remonte à un an et demi.
Je fus alors frappé par plusieurs passages du livre « Les ténèbres et la lumière » du Cardinal Martini. Il y était fait référence au procès de Jésus comme preuve de « l'écroulement d'une institution [le Sanhédrin] qui aurait eu comme devoir principal de reconnaître le Messie, en vérifiant les preuves » et qui par contre témoignait la « décadence d'une institution religieuse » : « on lit encore les textes sacrés, cependant ils ne sont plus compris, ils n'ont pas plus force, ils aveuglent au lieu d'éclairer ». Et il concluait durement sur la « nécessité d'arriver à dépasser les traditions religieuses lorsqu'elles ne sont plus authentiques » indiquant la vision suivante du dialogue : «notre chemin interreligieux doit consister avant tout à nous convertir radicalement aux paroles de Jésus et, à partir d'elles, à aider les autres à accomplir la même parcours » - les mots exprimés dans le Discours sur la montagne, « absolument authentiques et fiables, parce qu'ils contiennent aussi la juste critique aux traditions religieuses dégradées ».

J'ai posé la question de savoir comment on pouvait accepter une semblable vision du dialogue, basée sur une idée de conversion : bien autre chose que prière du Vendredi saint ! Outre les prévisibles réponses irritées de plusieurs disciples du cardinal, l'attaque la plus virulente me vint des colonnes du Bulletin de la Communauté juive de Milan, où je fus même accusé « de poignarder dans le dos » lâchement un ami des juifs et avec lui tout le dialogue

Ensuite, il y eut les polémiques sur la prière du Vendredi saint, qui ont mené à l'actuelle suspension du dialogue, allant jusqu'à prendre la forme d'une interdiction aux Communautés de rencontrer des ecclésiastiques.
Sur cette suspension, Guido Guastalla et moi-même exprimâmes notre désaccord dans une lettre au Corriere della Sera (26 novembre 2008) au ton mesuré et sans l'ombre de polémique. Nous reçûmes en échange une violente réponse signée du rabbin Laras (Président des Rabbins italiens), du Président de l'Union des Jeunes Juifs et (fait significatif) non pas du Président mais d'un ex-président de l'Union des Communautés Juives, dans la personne d'Amos Luzzatto.
Dans cette lettre - à part l'intimation grotesque de ne pas nous occuper du dialogue, puisque d'exclusive compétence des rabbins (seuls « interlocuteurs » et « responsables officiels de la représentation religieuse ») - on identifiait la capitale du dialogue juifs-chrétiens à Milan et dans les personnes des cardinaux Martini et Tettamanzi d'un coté et de Laras et d'une liste d'autres parmi lesquels nous… manquions à l'appel.

Comme par hasard, nous sommes toujours là, à Milan, autour du catholicisme ambrosien et du judaïsme de gauche. L'audacieuse affirmation que « les rapports entre le judaïsme et l'Islam ont été en général plus profitables et sereins que ceux passés entre le judaïsme et le christianisme » - accompagnée de l'accusation contre nous d'instrumentaliser le dialogue au profit de l'affrontement avec l'islam - recevait une prompte réponse de quelques représentants de la Grande Mosquée de Rome, qui attestaient combien la lettre avait été appréciée.
Naturellement, dans cette idylle, la question de savoir pourquoi ces mêmes représentants ne voulaient rien savoir de franchir le seuil de la Synagogue de Rome restait sans réponse, elle n'était même pas posée.

Ces attitudes appartiennent à une catégorie archiconnue. On préfère s'associer à ceux avec qui on ressent une consonance politico-idéologique « indépendamment de ».
Donc, le dialogue est entre l'église ambrosienne - la même qui assiste avec condescendance aux parades des islamiques - et un judaïsme de gauche, indifférent de s'entendre proclamé « tradition religieuse dégradée », du moment qu'il s'agit de frapper ensemble l'ennemi commun, le ratzingerisme neocon détesté. Et c'est toujours mieux de dialoguer avec l'islam qu'avec le Pape, ou… avec soi-même, comme l'a bien exprimé dans ces pages Alberto Melloni en disant que le judaïsme et le christianisme sont des religions lourdes, compliquées et exagérées, alors que l'islam est simple, essentiel et demande peu (peut-être parce qu'il n'y a pas de conversion).
À ce point il saute même aux yeux d'un aveugle que les questions soulevées viennent comme un cheveu sur la soupe. Elles ne sont qu'un prétexte pour souder un déploiement politique et renforcer une bataille interne au monde catholique, mais aussi pour frapper l'actuelle direction de l'Union des Communautés Juives et de la Communauté de Rome, considérées « trop à droite ».
Que dans une situation dramatique comme celle-ci, il y en ait qui ressentent l'envie de faire de semblables manoeuvres, au risque de provoquer des heurts, des divisions et même d'attiser à nouveau de vieilles incompréhensions et des rancunes contre lesquelles le dialogue devrait être poursuivi avec le même soin avec lequel on prend un médicament, témoigne à quel point l'idéologie peut être la source des plus graves manifestations d'irresponsabilité.
(Il Foglio, 16 janvier 2009)


(*)
Le rite ambrosien est l'une des manière de célébrer la messe dans le catholicisme. Ce rite est en vigueur dans le diocèse de Milan et dans trois vallées tessinoises, Leventina, Blenio et Riviera (51 paroisses de rite ambrosien).

Bien qu'il n'y ait aucune preuve que ce rite ait été fixé par saint Ambroise de Milan, évêque de cette ville au IVe siècle, il est attesté dès le IXe siècle.

Le cardinal Montini, archevêque de Milan et futur pape Paul VI, a célébré une messe selon le rite ambrosien en 1962 devant les Pères du concile Vatican II.

Source : Wikipedia

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Sans connaître très bien les arcanes du catholicisme italien, il me semble (et l’article le rend transparent), que l’adjectif « ambrosien » qualifie actuellement le catholicisme progressiste, représenté par le cardinal Martini, et son successeur à la tête du grand diocèse de Milan, ex-papabile, Tettamanzi, par opposition au catholicisme prétendu « conservateur » de Joseph Ratzinger.



Sur ce sujet, voir aussi: Judaïsme & Moyen-Orient


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