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Le Cardinal Bertone au Sénat (II)

Pour présenter l'encyclique (1er/8/2009)

Attention, c'est un texte complexe, dont la traduction m'a pris beaucoup de temps (et de recherches... sans doute incomplètes!).
Mais il vaut vraiment d'être lu.

Cette seconde partie explique la conception par l'Eglise du don, et de la gratuité.
On comprend encore mieux, avec les points sur les "i" du Cardinal, pourquoi certains s'étranglent (L'Encyclique en or et rouge )...

Première partie ici: Le Cardinal Bertone au Sénat (I)

La suite à venir...

Elargissant un instant la perspective du discours, marché signifie compétition et cela dans le sens qu'il ne peut pas exister de marché là où il n'y a pas pratique de compétition (même si la réciproque n'est pas vraie). Et nul n'ignore que la fécondité de la compétition réside dans le fait qu'elle implique la tension, dialectique qui présuppose la présence d'un autre et la relation avec un autre. Sans tension il n'y a pas de mouvement, mais le mouvement - c'est le point remarquable - auquel la tension donne lieu peut aussi être mortel, c'est-à-dire générateur de mort.

Lorsque le but de l'agir économique n'est pas la tension vers un objectif commun - comme l'éthymologie latine (ndt: de "compétition") cum-petere le laisserait clairement entendre - mais le mors tua, vita mea (ta mort est ma vie, autrement dit ma victoire est ta défaite) de Hobbes (ndt: philosophe anglais du XVIIème siècle, son oeuvre principale, Le Léviathan eut une influence considérable sur l'émergence du libéralisme et de la pensée économique libérale du XXe siècle) -, le lien social est réduit au rapport mercantile et l'activité économique tend à devenir inhumaine et donc en dernier ressort inefficace. Donc, même dans la compétition, la « doctrine sociale de l’Église estime que des relations authentiquement humaines, d’amitié et de socialité, de solidarité et de réciprocité, peuvent également être vécues même au sein de l’activité économique et pas seulement en dehors d’elle ou « après » elle. La sphère économique n’est, par nature, ni éthiquement neutre ni inhumaine et antisociale. Elle appartient à l’activité de l’homme et, justement parce qu'humaine, elle doit être structurée et organisée institutionnellement de façon éthique. » (n. 36).

Alors, le gain, certes non négligeable, que nous apporte Caritas in veritate est de prendre en grande considération cette conception du marché, typique de la tradition de pensée de l'économie civile, selon laquelle on peut vivre l'expérience de la socialité humaine à l'intérieur d'une vie économique normale et pas en dehors d'elle ou à côté d'elle.
C'est une conception qu'on pourrait définir alternative, tant par rapport à celle qui voit le marché comme lieu de l'exploitation et de l'abus du fort sur le faible, qu'à celle, dans la ligne de la pensée anarcho-libérale, qui le voit comme le lieu qui apporte une solution à tous les problèmes de la société.

Cette manière d'entreprendre se démarque de l'économie de tradition smithienne (ndt: Adam Smith est considéré comme le Père de l'économie politique) qui voit le marché comme l'unique institution vraiment nécessaire pour la démocratie et pour la liberté. La doctrine sociale de l'Église nous rappelle au contraire qu'une "bonne" société est certes fruit du marché et de la liberté, mais qu'il y a des exigences, se ramenant au principe de la fraternité, qui ne peuvent pas être éludées, ni renvoyées à la seule sphère privée ou à la philantropie. Elle propose plutôt un humanisme à plusieurs dimensions, dans lequel le marché n'est pas combattu ou « contrôlé », mais est vu comme instant important de la sphère publique - sphère qui est beaucoup plus vaste que ce qui appartient à'état - qui, s'il est conçu et vécu comme lieu ouvert aussi aux principes de réciprocité et de don, peut construire une saine cohabitation civile.

Abordons maintenant un des thèmes présents dans l'encylique qui me semble avoir suscité un certain intérêt public pour la nouveauté que revêtent les principes de fraternité et de gratuité dans l'agir économique.
« Le développement, s'il veut être authentiquement humain », dit Benoît XVI, « doit prendre en considération le principe de gratuité comme expression de fraternité.» (n. 34). Il faut des « formes économiques solidaires ». Le chapitre dédié à la collaboration de la famille humaine est en ce sens significatif; il y est mis en évidence que « le développement des peuples dépend surtout de la reconnaissance d'être une seule famille » c'est pourquoi « une telle pensée nous oblige à approfondir de manière critique et sur le plan des valeurs la catégorie de la relation». Et encore : « Le thème du développement coïncide avec celui de l’inclusion relationnelle de toutes les personnes et de tous les peuples dans l’unique communauté de la famille humaine qui se construit dans la solidarité sur la base des valeurs fondamentales de la justice et de la paix. » (53-54).

Le mot-clé qui aujourd'hui mieux de tout autre exprime cette exigence est celui de fraternité. C'est l'école de pensée franciscaine qui donna à ce terme le sens qu'il a conservé dans le cours du temps, qui constitue le complément et l'exaltation du principe de solidarité. En effet tandis que la solidarité est le principe d'organisation sociale qui permet aux "inégaux" de devenir "égaux" de par leur égale dignité et de par leurs droits fondamentaux, le principe de fraternité est ce principe d'organisation sociale qui permet aux "égaux" d'être différents, au sens qu'ils peuvent exprimer différemment leur projet de vie ou leur charisme.

Pour être plus précis : les époques que nous avons laissées dernière nous, le XIXème et surtout le XXème siècle, ont été caractérisées par de grosses luttes, tant culturelles que politiques, au nom de la solidarité et cela a été une bonne chose; que l'on pense à l'histoire du mouvement syndical et à la lutte pour la conquête des droits civils. Le fait est qu'une société orientée au bien commun ne peut pas se contenter de la solidarité, mais a besoin d'une solidarité qui reflète la fraternité car, alors que la societé fraternelle est aussi solidaire, la réciproque n'est pas nécessairement vraie.

Si on oublie le fait qu'une société d'êtres humains où s'efface le sens de fraternité et où tout se réduit à améliorer les transactions basées sur l'échange d'équivalents ou à augmenter les transferts réalisés par des structures d'assistance par nature publiques, n'est pas soutenable, on se rend compte des raisons pour lesquelles, malgré la qualité des forces intellectuelles impliquées, on n'est pas encore parvenu à une solution crédible au grand compromis entre efficacité et équité.
Caritas in veritate nous aide à prendre conscience que la societé n'a pas d'avenir si le principe de fraternité se dissout ; autrement dit, elle est incapable de progresser si elle ne laisse exister et se développer que la logique du « donner pour avoir » ou bien du « donner par devoir ». Voilà pourquoi, ni la vision libéralo-individualiste du monde, dans laquelle tout (ou presque) est échange, ni la vision étatique de la société, dans laquelle tout (ou presque) est justice, ne sont des guides sûrs pour nous faire sortir des difficultés dans lesquelles nos sociétés sont aujourd'hui envasées.

Se pose alors la question : pourquoi, tel un fleuve Karstique (ndt ?), voit-on émerger à nouveau la perspective du bien commun, selon la formulation de la doctrine sociale de l'Église, après, semble t'il des siècles pendant lesquels elle était de fait sortie de scène ? Pourquoi le passage des marchés nationaux au marché global, qui s'est consommé dans le cours dernier quart de siècle, rend-il de nouveau actuel le discours sur le bien commun ?
J'observe brièvement que ce qui arrive fait partie d'un mouvement plus vaste d'idées en économie, un mouvement dont l'objet est le lien entre religiosité et performance économique. À partir de la considération que les croyances religieuses sont d'une importance décisive pour forger les cartes cognitives des sujets et pour modeler les règles sociales de comportement, ce mouvement d'idées cherche à déterminer dans quelle mesure la prédominance dans un Pays déterminé (ou un territoire) d'une certaine matrice religieuse influe la formation de catégories de pensée économique, programmes de protection sociale, politique scolaire et ainsi de suite. Après une longue période durant laquelle la célèbre thèse de la sécularisation semblait avait dit le mot de la fin sur la question religieuse, au moins pour ce qui concerne le domaine économique, ce qui arrive aujourd'hui résonne vraiment de façon paradoxale.

Il n'est pas si difficile de s'expliquer le retour dans le débat culturel contemporain de la perspective du bien commun, véritable marque de l'éthique catholique dans le domaine socio-economique. Comme Jean-Paul II l'a précisé en de nombreuses occasions, la doctrine sociale de l'Église ne doit pas être considérée comme une théorie éthique de plus par rapport aux multiples déjà disponibles dans la littérature, mais comme une « grammaire commune » à celles-ci, parce que fondée sur un point de vue spécifique, celui de prendre du soin du bien humain. En verité, tandis que les différentes théories éthiques placent leur fondement qui dans la recherche de règles (comme cela se passe dans le jusnaturalisme - ndt: droit naturel- positiviste, selon lequel l'éthique a dérivé de la règle juridique) soit dans l'agir (on pense au néo-contractualisme rawlsien ou au néo-utilitarisme), la doctrine sociale de l'Église admet comme son centre de gravité « l'être avec ». Le sens de l'éthique du bien commun explique que pour pouvoir comprendre l'action humaine, il faut se placer dans la perspective de la personne qui agit (Veritatis splendor, n. 78) et pas dans la perspective de la tierce personne (comme dans le jusnaturalisme) c'est-à-dire du spectateur impartial (comme Adam Smith l'avait suggéré). En effet le bien moral étant une réalité pratique, ce n'est pas celui qui le théorise, mais celui qui le pratique, qui le connaît prioritairement : c'est lui qui sait le reconnaître et donc le choisir avec certitude chaque fois qu'il est se présente.

Venons-en alors au principe du don en économie.
Que comporte, au niveau pratique, l'acceptation de la perspective de la gratuité dans l'agir économique ? Le Pape Benoît XVI répond que marché et politique nécessitent « des personnes ouvertes au don réciproque » (Caritas in veritate, nn. 35-39). La conséquence qui résulte de la reconnaissance au principe de gratuité d'une place de premier plan dans la vie économique a rapport avec la diffusion de la culture et la pratique de la réciprocité.

Avec la démocratie, la réciprocité - définie par Benoît XVI comme « la constitution intime de l'être humain » (n. 57) - est une valeur fondatrice d'une societé. Et même, on pourrait soutenir que c'est de la réciprocité que la règle démocratique tire son sens ultime.

Dans quels « lieux » la réciprocité est-elle chez elle, c'est-à-dire pratiquée et alimentée ? La famille est le premier de ces lieux : que l'on pense aux rapports entre parents et enfants et entre frères et soeurs. Autour de la famille se développe ce rapport de don typique de la fraternité. Ensuite il y a le coopératif, l'entreprise sociale et les diverses formes d'associations. N'est-il pas vrai que les rapports entre les membres d'une famille ou entre les associés d'une coopérative sont des rapports de réciprocité ? Aujourd'hui nous savons que le progrès civil et économique d'un Pays dépend principalement de ce que les pratiques de réciprocité sont répandues entre ses citoyens. Il y a aujourd'hui un immense besoin de coopération : voilà parce que nous avons besoin d'étendre les formes de la gratuité et de renforcer celles qui existent déjà. Les societés qui extirpent de leur terrain les racines de l'arbre de la réciprocité sont destinées au déclin, comme l'histoire depuis longtemps nous l'a enseigné.

Quel est la fonction propre du don ? Celle de faire comprendre qu'auprès des biens de justice il y a les biens de gratuité et donc qu'une societé dans laquelle on se contente des seuls biens de justice n'est pas authentiquement humain. Le Pape parle de la « stupéfiante expérience du don » (n. 34).

Quelle est la différence ? Les biens de justice sont ceux qui naissent d'un devoir ; les biens de gratuité sont qui naissent d'un obbligatio (ndt: contrat, voir ici ). C'est de ces biens que naît la reconnaissance que je suis lié à un autre, que, dans un certain sens, il est une partie constitutive de moi. Voilà pourquoi la logique de la gratuité ne peut pas être simplistement réduite à une dimension purement éthique ; la gratuité en effet n'est pas une vertu éthique. La justice, comme Platon l'enseignait déjà, est une vertu éthique, et nous sommes tous d'accord sur l'importance de la justice, mais la gratuité concerne plutôt la dimension supra-éthique de l'agir humain, parce que sa logique est la surabondance, alors que la logique de la justice est la logique de l'équivalence.
Eh bien, Caritas in veritate nous dit que la societé pour bien fonctionner et pour progresser, veut qu'à l'intérieur des pratiques economique, il y ait des sujets, qui comprennent ce que sont les biens de gratuité, autrement dit qui comprennent que nous avons besoin de faire circuler dans les circuits de notre societé le principe de gratuité.

Benoît XVI invite à restituer à la sphère publique le principe du don. Le don authentique, affirmant la suprématie de la relation sur son exemption, du lien intersubjectif sur le bien donné, de l'identité parsonnelle sur l'utile, doit pouvoir trouver place pour s'exprimer partout, dans tous les milieux de l'agir humain, y compris l'économie. Le message que nous laisse Caritas in veritate est de penser la gratuité, et donc la fraternité, comme marque de la condition humaine, et donc de voir dans l'exercice du don la condition indispensable afin que l'Etat et le marché puissent fonctionner en visant au bien commun. Sans pratiques étendues du don, on pourra aussi avoir un marché efficace et un Etat autoritaire (et même juste), mais on n'aidera certainement pas les personnes à réaliser la joie de vivre.Parce que efficacité et justice, même si elles sont associées, ne suffisent pas pour assurer le bonheur des personnes.

Fin de la seconde partie.
A suivre...

Les nageurs chez Benoît XVI Xavier Darcos