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Le catholicisme, nouveau bouc émissaire

Une réflexion très originale du théologien - et intellectuel éminent - français Jean-Robert Armogathe, parue dans la revue "Communio" en août dernier, et publié aujourd'hui par l'Avvenire (11/1/2009)


Le blog de Raffaella a attiré mon attention sur un article paru dans le numéro de L'Avvenire daté d'aujourdhui. Tellement exceptionnel que je m'apprêtais à le traduire. Heureusement, Google est venu à mon secours, et m'a permis de retrouver la version originale en français, au format PDF (je l'ai transformée en texte éditable, plus facile à "manipuler" pour éventuellement en extraire des passages).

L'auteur en est un théologien (intellectuel: ancien élève d'Ulm!) Jean-Robert Armogathe, actuel directeur de la revue de théologie Communio. (*)
Il médite sur les "perturbations" (et non ce qu'on a nommé improprement "les crises", redonnant à ce mot son vrai sens) qui ont agité l'Eglise en 2009.
Et ses conclusions ne sont pas celles, simplistes, pour ne pas dire simplettes, qui ont émaillé les commentaires jusqu'à présent, en particulier le soi-disant problème de communication censé expliquer la "mauvaisse presse" de Benoît XVI. En réalité, c'est bien plus profond (il ne s'agit, bien sûr, que d'une tentative d'explication): selon lui, pour la société sécularisée de l'Occident, aujourd'hui, l'Eglise est un miroir qui lui renvoie le reflet dramatique de ses échecs dans tous les domaines: "corps", "mémoire", civilisation, économie.

Avvenire présente ainsi la traduction du texte en italien (ce qui en constitue un assez bon résumé, pour autant qu'il soit possible de résumer une telle réflexion):


Le catholicisme, nouveau bouc émissaire
Comment se peut-il que même l'athée le plus endurci s'enflamme sur l'excommunication ou non d'un évêque schismatique? Que le libertin impénitent tonne contre l'enseignement moral d'une réalité qu'autrement il ignore? De l'affaire Williamson au sida en Afrique et autres: pourquoi tirer sur l'Église est-il un des sports les plus populaires? Une provocation du théologien français Jean-Robert Armogathe, un des fondateurs de l'Académie catholique de France, inaugurée en Octobre, et le directeur de l'édition française de la revue catholique internationale "Communio".


Voici donc l'article de Jean-Robert ARMOGATHE (Communio, n°XXXIV, 3-4 - mai-août 2009)

Les soulignements sont de moi.

L'Église, miroir des crises
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Les crises sont à la mode - et quelle mode, puisqu'elle est censée durer! C'est qu'on a oublié le sens originel médival de la crise: pour Hippocrate, la crise est le moment précis de la maladie où la nature du malade succombe ou guérit, et triomphe provisoirement sur la mort.
La crise est donc momentanée: elle est un point d'inflexion, un instant critique, celui de la décision; elle est le critère où se fait le partage entre mort et survie. Étrange usage du mot que celui qui fait durer les crises du monde contemporain comme si elles étaient devenues elles-mêmes synonymes de maladies, et comme si elles ne se connaissaient pas nécessairement après-coup!
Passant de la science des maladies à celle des météores, on parlera plutôt pour l'Église de perturbations pour désigner ce qui a fait la une des journaux ces derniers mois. S'il est inutile de les rappeler, une question s'impose en revanche : y a-t-il un rapport entre les perturbations de l'Église et les crises de la société?

Des perturbations de l'Église...
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Des perturbations traversées par l'Église, trois types d'explication ont été proposées par les catholiques eux-mêmes.
- La première explication, la plus répandue, en attribue la responsabilité à la presse. Les médias sont anticatholiques: ils ont successivement comploté pour publier à contretemps l'entrevue télévisée de Mgr Williamson, pour diffuser dans le monde entier une version falsifiée du drame d'une jeune Brésilienne enceinte des violences commises par le compagnon de sa mère, pour condamner enfin le pape pour ses propos sur l'insuffisance radicale de l'usage du préservatif.
- La seconde vient des deux bords extrêmes de l'Église catholique: l'insuffisante maîtrise des médias et la communication défaillante du Vatican sont dues à une crise de pouvoir dans l'Église : incompétence de l'entourage du Pape, de son Secrétaire d'État, de différents chefs de dicastères. On peut également ajouter la malveillance à l'incompétence sans changer la nature de l'explication et pointer les adversaires du Pape dans sa propre Curie: Benoît XVI serait entouré non seulement d'incompétents mais encore d'adversaires larvés. Cela n'a rien de très nouveau: il n'est pas un seul Pape depuis des siècles dont on n'ait écrit cela!
- La troisième explication en appelle à la psychologie du Pape: son âge, sa formation de professeur, son intransigeance légendaire, et même son tempérament bavarois, le conduisent au renfermement, au durcissement, aux positions les plus réactionnaires.

Ces prétendues explications politico-psychologiques sont à la portée de tous : resterait cependant à en démontrer la validité.
On me permettra donc d'en proposer ici une autre, qui tient à la nature même de l'Église, plus exactement à ce que j'appellerais sa consistance : la libre adhésion de ceux qui croient que Jésus, Fils de Dieu, crucifié il y a deux mille ans, est vivant et ressuscité aujourd'hui. Cette croyance, j'y insiste, est libre, comme est libre l'appartenance à l'Église. C'est pourquoi cette société éminemment paradoxale - dont les principes n'obéissent pas à la même logique que ceux qui régissent notre société : ils ne sont pas guidés par l'intérêt - peut constituer pour le monde comme un miroir. Une autre société en face de notre société, dans laquelle celle-ci peut se dévisager.
Dans l'Église, le monde se contemple. Comment expliquer autrement que tous, à commencer par ceux qui se déclarent non catholiques, tiennent à prendre parti sur des prises de position disciplinaires qui ne concernent que les catholiques? Que l'excommunication devienne soudain une notion si centrale et si passionnante que tous prétendent en juger, dans et hors de l'Église? - Bienheureux seraient les partis politiques s'ils réussissaient à intéresser à ce point les citoyens à leurs affaires internes! Que les propos que le pape tient sur la morale sexuelle et familiale en Afrique soient soudain discutés par le monde entier, et que son discours sur l'usage du préservatif fasse l'objet d'une attention plus soutenue et plus universelle que la question de savoir quelle est l'efficacité réelle du préservatif? Quelques phrases du pape sur le préservatif seraient-elles plus importantes que de savoir si le préservatif préserve, et de quoi?
L'Église renvoie au monde son image, et le monde y découvre ses fractures, ses lignes de cassure; en les voyant dans l'Église, il peut les haïr, à défaut de les exorciser. Par un mécanisme qui a été longuement analysé par René Girard, le monde rend alors le révélateur - l'Église - responsable de ces cassures. Dans la fonction mimétique qui est la sienne, l'Église tient alors le rôle du bouc émissaire.
Montrons-le brièvement.

... aux crises du monde
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- Une crise du corps.
Les propos du pape sur l'usage du préservatif ont touché à vif la question du corps et de sa sexualité. Le cas tragique de la jeune fille brésilienne avait déjà secoué l'opinion. Ce n'est pas la doctrine de l'Église qui est en cause: ce sont les comportements humains, l'accumulation des crimes et des péchés, qui mettent l'Église en accusation. La libération sexuelle des années 1970 n'a pas atteint son but: loin de procurer aux hommes un supplément de bonheur, elle semble avoir eu pour conséquences une diffusion pandémique de diverses maladies, de la dépression au sida.
La famille est passée d'une réalité naturelle à un fait social, que des personnes du même sexe peuvent fonder, et à qui l'éducation d'enfants peut être confiée.
La sexualité est, dans le même temps, devenue une fonction organique: il faut donc «se préserver», «se protéger». Il y a un «droit à l'enfant» et un «droit à l'orgasme».
L'Occident a atteint une décomposition du tissu familial apparemment unique dans son histoire.
Cette débâcle s'accompagne d'une culpabilisation, en miroir, de l'Église et du pape. La campagne infondée et irréfléchie contre les propos tenus par le pape est le moyen rassurant de déplacer vers l'ailleurs l'inquiétude profonde qu'entraînent les bouleversements des structures parentales.

- Une crise de la mémoire
Les propos de Mgr Williamson niant la réalité du génocide sont faux - et constituent un objet de scandale d'autant plus énorme que la levée de son excommunication avait attiré sur lui l'attention. Mais la projection sur le pape et l'Église de ce scandale révèle le malaise de notre société à l'égard de sa mémoire. A commencer par le malaise d'une grande partie, très sécularisée, du judaïsme moderne qui à force de ressasser l'horreur subie se trouve à court d'avenir et d'espérance pour de nouvelles générations. L'existence de l'État d'Israël accentue la crise: tout se passe comme si le judaïsme continuait à aller de l'avant en ayant abandonné une grande partie de sa vigueur spirituelle, et réduisant la donne de son existence à la tristesse du passé et son attachement à un État du Mayen-Orient. Dans ces conditions, le mouvement de décentrage vers l'Église confère une unité illusoire et un regain d'activité: d'où la fonction de «Pie XII et les Juifs», ou du «pape allemand» qui permettent à la société tout entière de se forger une bonne conscience en dénonçant l'antisémitisme catholique.

- Une crise de civilisation
Du discours prononcé par le pape à l'Université de Ratisbonne, une phrase a été retenue et jugée offensante pour l'Islam. Mais ici encore, ne s'agit-il pas d'abord d'un problème interne à l'Islam? N'est-ce pas toute la difficulté que connaît devant la sécularisation une religion ayant de si fort caractères politiques, géographiques, linguistiques? L'islam aujourd'hui doit affronter les problèmes liés à sa mondialisation: l'Asie contient 70% des musulmans, tandis que de fortes communautés sont installées dans des pays de tradition chrétienne. Les soubresauts de l'islamisme radical sont les signes de ce passage difficile à la modernité.
Il est commode et assez naturel de reporter les effets de cette crise d'adaptation sur l'Église catholique, encore elle, qui témoigne de la religion dans le monde.
Une réaction analogue s'observe dans les crispations de la laïcité: l'échec patent d'«un monde sans Dieu» et le recours fréquent à des pratiques religieuses de substitution ont mis en crise la laïcité « fermée », qui trouve dans l'Église catholique un excellent recours pour se trouver une nouvelle raison d'exister.

- Une crise économique
Il n'y a pas encore eu de grande campagne pour rendre l'Église catholique responsable de la crise économique. Faisons un pari l'encyclique sociale qui va paraître pourrait bien en être l'occasion (ndlr: l'article date de l'été dernier. Le pronostic a été démenti par les faits! on a préféré ignorer superbement ce texte majeur!). La doctrine sociale de l'Église a toujours été opposée au type de manipulation que le capitalisme a fait subir à l'argent et à la production. Ce qui est arrivé et dont les conséquences sont si lourdes pour tant de millions de personnes, c'est le résultat de l'avidité, de la recherche sans frein du profit, du mépris de la dignité des personnes et du droit des travailleurs. La crise économique provient du refus assumé de ce qui constitue l'argument central de l'enseignement social de l'Église. Et pourtant, il suffit d'attendre les accusations qui vont s'élever dès que ces principes auront été solennellement réaffirmés par la prochaine encyclique - et d'abord, « de quoi le pape se mêle-t-il?».

Les éléments d'analyse que nous esquissons montrent l'enjeu capital de ce temps de crises pour la société et des épreuves que l'Eglise traverse. Elle est dans le monde la dernière figure sociale cohérente; elle dispose d'un corps de doctrine, d'un catéchisme, d'une hiérarchie visible et identifiée.
Sans être du monde, elle est cependant dans le monde.
C'est en raison de ce qu'elle est que le monde la hait. Serait-elle autrement, c'est en vain que le monde chercherait une victime pour justifier son malaise et l'expier.
Par sa visibilité, par la cohérence de son enseignement, par son effort pour annoncer et vivre les exigences évangéliques, l'Église catholique est nécessairement exposée.
Il n'y a pas lieu de s'en étonner Il n'y a pas lieu de s'en affliger, bien au contraire, il convient de s'en réjouir: «Heureux êtes-vous lorsqu'on vous insulte, que l'on vous persécute et que l'on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi. Soyez dans la joie et l'allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux: c'est ainsi en effet qu'on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés» (Matthieu 5, 11-12).

Note (*)

Jean-Robert Armogathe, né à Marseille le 6 juillet 1947, est un prêtre catholique diocésain français, historien, théologien, exégète et universitaire, spécialiste notamment du XVIIe siècle. Il est cofondateur de la revue catholique internationale Communio. Depuis mars 1981, il est aumônier de l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, de l'École nationale des chartes et, depuis 1992, recteur de l'Institut Bossuet, dans le 6e arrondissement de Paris.

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