Articles Images La voix du Pape Lecture, DVD Visiteurs Sites reliés Recherche St-Siège
Page d'accueil La voix du Pape

La voix du Pape


60 ans de sacerdoce Saint-Marin, 19 juin Avec les tsiganes, 11 juin Croatie, 4-5 juin 2011 A bord de la Navette spatiale 7-8 mai: Aquilée et Venise Béatification de JP II Voyages 2011

Venise: discours au monde de la culture


A l'Eglise Santa Maria della Salute, le Pape a déroulé sa pensée sur une triple métaphore: l'eau (Venise ne doit pas devenir une ville "liquide"), le salut (ou la santé: référence à l'église, lieu de la rencontre) et la Sérénissime (qui évoque la Jérusalem céleste). Traduction de son discours (8/5/2011)

Chers amis,

Je suis heureux de vous saluer cordialement, en tant que représentants du monde de la culture, de l'art et l'économie de Venise et sa région. Je vous remercie pour votre présence et votre sympathie. J'exprime ma gratitude au patriarche et au Recteur qui, au nom du Studium Generale Marcianum, s'est fait l'interprète des sentiments de tous et a introduit notre rencontre, la dernière de ma visite intense, qui a débuté hier à Aquilée.

Je voudrais vous laisser quelques idées très concises, qui je l'espère, vous seront utile pour la réflexion et pour l'engagement commun. Ces idées, je les tire de trois mots qui sont des métaphores évocatrices: trois mots liés à Venise et, en particulier, à l'endroit où nous sommes: le premier mot est l'eau, le second la santé (ndt: "Salute", le salut- le mot italien est le même. L'église où se déroule la rencontre, Santa Maria della salute, fut construite en 1630, alors qu'une épidémie de peste commencée dans l'été 1629 avait décimé près d'un tiers de la population en deux ans) la troisième est la Sérénissime.

Commençons par l'eau - comme il est logique de bien des façons.
L'eau est un symbole ambivalent: de vie, mais aussi de mort. Les populations touchées par les inondations et les raz de marée le savent bien. Mais l'eau est le premier élément essentiel à la vie. Venise est appelée la "ville de l'eau". Pour vous aussi qui vivez à Venise, cette condition est un signe double, négatif et positif: il comporte de nombreuses difficultés et en même temps, une fascination extraordinaire. Le fait que Venise soit "ville de l'eau" fait penser à un sociologue contemporain célèbre (ndt: recherche faite, il s'agit du sociologue juif Zygmund Baumann , voir ici: http://www.lalibre.be/culture/livres/article/343704/zygmunt-bauman-et-la-societe-liquide.html ), qui a qualifié de «liquide» notre société, et aussi la culture européenne: une culture «liquide» pour exprimer sa «fluidité», son peu de stabilité ou peut-être son manque de stabilité, sa variabilité, l'incohérence qui semble parfois la caractériser.

Et ici, je voudrais insérer la première proposition: Venise, non pas comme ville «liquide» - dans le sens que je viens de mentionner - mais comme ville "de la vie et la beauté". Bien sûr, c'est un choix, mais dans l'histoire, il faut choisir: l'homme est libre d'interpréter, de donner un sens à la réalité, et dans cette liberté réside justement sa grande dignité.

Dans le cadre d'une ville, quelle qu'elle soit, même les choix administratifs, culturels et économiques dépendent au fond, essentiellement, de cette orientation fondamentale, que nous appelons «politique» dans le sens le plus élevé et le plus noble de l'expression. Il s'agit de choisir entre une ville «liquide», patrie d'une culture qui apparaît de plus en plus celle du relatif et de l'éphémère, et une ville qui renouvelle sans cesse sa beauté en puisant aux sources bénéfiques de l'art, de la connaissance, des relations entre les hommes et entre les peuples.
(ndt: le Saint-Père a-t-il pensé à François Pinault, et au Palais Grassi, qui abrite "la plus importante exposition d'art contemporain au monde " - et cela n'embellit ni Venise, ni, encore moins, le Grand Canal: voir photo ci-dessus)

Venons-en au deuxième mot: « Salute » (santé). Nous sommes ici dans le "Pôle de la Santé": une réalité nouvelle, mais qui a des racines anciennes. Ici, sur la Punta della Dogana, est l'une des églises les plus célèbres de Venise, oeuvre de Longhena, construite comme voeu à la Vierge pour la délivrance de la peste de 1630: Santa Maria della Salute. A côté, le célèbre architecte a construit le couvent des Somasques, qui est devenu le séminaire patriarcal.
Unde origo, inde salus” (ndt: là où est l'origine est aussi le salut), dit la devise gravée au centre de la rotonde de la Basilique, qui indique que l'expression est étroitement liée à la Mère de Dieu, origine de la ville de Venise, fondée, selon la tradition le 25 Mars de 421 , jour de l'Annonciation. Et c'est grâce à l'intercession de Marie que vint la santé, le salut de la peste. Mais en réfléchissant sur cette devise, nous pouvons en saisir un sens plus profond et plus large. De la Vierge de Nazareth a eu son origine Celui qui nous donne la «santé». La «santé» est une réalité globale, intégrale: allant de "se sentir bien" qui nous permet de vivre sereinement une journée d'étude et de travail, ou de vacances, jusqu'au "salus animae", qui détermine notre destin éternel. Dieu prend soin de tout cela, sans exclure quoi que ce soit. Il prend soin de notre santé dans le plein sens du terme. Ceci est illustré par Jésus dans l'Evangile: Il a guéri des malades de tout genre, mais a également libéré les possédés, il a pardonné les péchés, ressuscité des morts. Jésus a révélé que Dieu aime la vie et veut la libérer de toute négation, jusqu'à celle, radicale, qui est le mal spirituel, le péché, racine vénéneuse qui empoisonne tout.

C'est pourquoi Jésus lui-même peut être appelé «Salut» de l'homme: Salus nostra Dominus Jesus.
Jésus sauve l'homme en le remettant à nouveau en relation salutaire avec le Père par la grâce de l'Esprit Saint; il l'immerge dans ce courant pur et vivifiant qui libère l'homme de ses "paralysies" physique, mentale et spirituelle; il le guérit de la dureté de cœur, de la fermeture égocentrique et lui fait goûter la possibilité de se retrouver vraiment lui-même en se perdant par amour de Dieu et du prochain. Unde origo, inde salus. Cette devise rappelle de nombreuses références, j'en citerai une seule, la célèbre expression de saint Irénée: “Gloria Dei vivens homo, vita autem hominis visio Dei” (Adv. Haer IV, 20, 7.). Qui pourrait être paraphrasée ainsi: la gloire de Dieu est la pleine santé de l'homme, et cela consiste à être en relation profonde avec Dieu. Nous pouvons le dire avec les termes du nouveau Bienheureux Jean-Paul II: l'homme est la voie de l'Église et le Rédempteur de l'homme est le Christ.

Enfin, le troisième mot, "Serenissima ", le nom de la République de Venise. Un titre vraiment splendide, qu'on dirait utopique par rapport à la réalité terrestre, et toutefois capable de susciter non seulement le souvenir des gloires passées, mais aussi les idéaux de pointe pour aujourd'hui et demain dans cette belle région.
"Sérénissime" dans le plein sens du terme, il n'y a que la cité céleste, la nouvelle Jérusalem, qui apparaît à la fin de la Bible, dans l'Apocalypse, comme une merveilleuse vision (Ap 21,1 à 22,5). Et pourtant le christianisme conçoit cette ville sainte, complètement transformée par la gloire de Dieu, comme un objectif qui tient au cœur des hommes et pousse leurs pas, qui anime la tâche difficile d'améliorer la cité terrestre. Nous devons toujours nous rappeler à ce propos les mots du Concile Vatican II: "Il ne sert à rien pour l'homme de gagner le monde entier, mais de se perdre lui-même. Toutefois, l'attente d'une terre nouvelle ne doit pas affaiblir, mais plutôt stimuler notre souci de cultiver celle-ci, où croît le corps de la nouvelle humanité qui réussit déjà aujourd'hui à offrir une sorte de préfiguration du Nouveau Monde "(Gaudium et spes, 39). Ecoutons ces expressions dans un moment où la force des utopies idéologiques s'est épuisée et où non seulement l'optimisme s'est obscurci, mais où l'espoir est en crise.

Nous ne devons pas oublier que les Pères du Concile, qui nous ont laissé cet enseignement, avaient vécu l'époque des deux guerres mondiales et des totalitarismes. Leur point de vue n'était pas dicté par un optimisme facile, mais par la foi chrétienne, qui anime l'espérance à la fois grande et patiente, ouverte sur l'avenir et attentive aux situations historiques. Dans cette même perspective, le nom "Sérénissime" nous parle d'une civilisation de la paix fondée sur le respect mutuel, la compréhension réciproque, les relations d'amitié. Venise a une longue histoire et un riche patrimoine humain, spirituel et artistique pour être en mesure encore aujourd'hui d'offrir une contribution précieuse afin d'aider les gens à croire en un avenir meilleur et à s'efforcer de le construire.

Mais pour cela, elle ne doit pas avoir peur d'un autre élément emblématique contenu dans les armoiries de Saint-Marc: l'Evangile. L'Evangile est la plus grande force de transformation du monde, mais ce n'est pas une utopie, ni une idéologie. Les premières générations de chrétiens l'appelait plutôt la «voie», c'est-à-dire le mode de vie que le Christ a pratiqué en premier et nous invite à suivre. A la ville "Sérénissime" on arrive par cette "voie", c'est la voie de l'amour (la charité) dans la vérité, sachant bien, comme nous le rappelle encore le Concile, qu'il ne faut pas "marcher sur le chemin de la charité uniquement dans les grandes choses, mais surtout dans les circonstances ordinaires de la vie" et qu'à l'exemple du Christ "nous devons aussi porter la croix: celle qui, par la chair et le monde, est mise sur les épaules de ceux qui recherchent la paix et la justice" (ibid., 38).

Voici, chers amis, les éléments de réflexion que je voulais partager avec vous. Pour moi, c'était une joie de conclure ma visite en votre compagnie. Je remercie à nouveau le Cardinal Patriarche, l'auxiliaire et tout le personnel pour l'accueil magnifique.
Je salue la communauté juive de Venise - qui a des racines anciennes et une présence importante dans le tissu de la ville - avec son président, le professeur Amos Luzzatto (Relations judéo-catholiques ). Une pensée aussi pour les musulmans vivant dans cette ville. De cet endroit si significatif, j'adresse mon salut cordial à Venise, à l'Eglise d'ici, en pèlerinage, et à tous les diocèses du Triveneto, laissant en signe de mon souvenir éternel, la Bénédiction apostolique. Je vous remercie de votre attention.

Homélie à Venise Deux discours importants, à Venise