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Le Pape et Luther

Massimo Introvigne fait quelques mises au point nécessaires après les deux discours prononcés par le Saint-Père à Erfurt le 23 septembre 2011, et les malentendus dont ils ont été le prétexte. (4/10/2011)

Voir ici:
->
http://www.vatican.va/..ben-xvi_germania.



Les discours de Benoît XVI en Allemagne (au moins ceux qui n'ont pas fait l'objet d'un boycott médiatique pur et simple) ont donné lieu, dans les mêmes medias, à des interprétations erronées, voire à des malentendus volontaires (laissant mal augurer de la future rencontre d'Assise!) permettant les titres réducteurs et les approximations. On a pu lire, par exemple: "Le Pape se convertit à l'écologie", ou "Le Pape absoud Luther" !!!

Concernant cette seconde affirmation, Massimo Introvigne qui est décidément le plus subtil connaisseur de la pensée du pape, relit les deux discours d'Erfurt à la lumière de discours antérieurs (prononcés à Lisbonne, à des délégations luthériennes en visite à Rome, et même à Ratisbonne), et surtout à un texte important signé par lui comme Préfet de la CDF, la "Déclaration commune sur la justification" signée avec les représentants du luthérianisme mondial en 1999 à Augusta (voir ici un article très pédagogique de la Revue Kephas, malheureusement accessible seulement partiellement).
En toute humilité, le contenu théologique me dépasse évidemment, mais il en émerge quand même deux choses très faciles à comprendre pour le profane:

1. Les questions que se posaient Luther étaient pertinentes, et elles sont bien oubliées aujourd'hui par ceux qui se réclament de lui. Peut-être même (en pensant par exemple à l'évêquesse Margot Kassman), le pauvre moine se retournerait-il dans sa tombe!!

"A Erfurt, le Pape a dit que les questions soulevées par Luther dans un monde dominé par l'humanisme et la Renaissance, qui avaient pénétré aussi l'Église, et qui exaltaient la raison au détriment de la foi, louant la grandeur de l'homme et oubliant le péché originel , étaient sensées."

Il est bon que le Pape l'ait rappelé, non seulement aux protestants, mais aussi à certains catholiques progressistes nostalgiques d'une nouvelle "réforme".


2. Si Luther posait de bonnes questions, il y apportait de mauvaises réponses. Chez lui "la raison est directement opposée à la foi"..., il va même jusqu'à qulifier la raison de "la plus grande prostituée du diable": on comprend qu'il ne puisse y avoir aucun atome crochu entre lui et cet inlassable défenseur du lien entre foi et raison qu'est Benoît XVI.
Massimo Introvigne parle à ce sujet d'"hétérogenèse des fins" (autrement dit le fait d'atteindre un résultat opposé aux intentions), débouchant même sur les horreurs du XXe siècle:
"(...) détachant la raison de la foi et la laissant, pour ainsi dire, libre d'agir sans le frein de la confrontation avec la théologie, on voit prospérer dans le milieu du protestantisme ce même rationalisme que Luther, effrayé par l'humanisme, prétendait combattre. La dévaluation de la raison porte de nombreux héritiers de Luther - mais pas tous - à nier l'existence d'une loi naturelle, de principes et le lois qui justement en vertu de la raison s'imposent à tous les hommes - et même aux dirigeants. Le gouvernant se trouve ainsi en mesure d'exercer son pouvoir en vertu de la règle de l'absolutisme.
...
S'il n'y a pas de principes que la raison peut connaître et qui valent pour tous , la volonté du souverain n'a pas de limites.
"

Article original en italien: http://www.labussolaquotidiana.it/
Ma traduction.

Le Pape et Luther, une polémique faussée
Massimo Introvigne
10/03/2011
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Le week-end nous a apporté bon nombre de polémiques stériles, en particulier en Allemagne (mais pas seulement) à propos de Martin Luther (1483-1546) et des deux discours que le Pape lui a consacrés le 23 septembre en visitant l'ancien monastère augustinien d'Erfurt, où Luther a été ordonné prêtre en 1507. A Erfurt Benoît XVI a proposé aux catholiques une nouvelle "rencontre avec Martin Luther", affirmant que la question sur le rôle de la foi et sur le péché, "cette question brûlante de Martin Luther doit redevenir, et certainement d'une manière nouvelle, notre question".

Les commentaires courants vont de l'idée que le Pontife veut réhabiliter Luther (conduisant les catholiques progressistes à applaudir à tout rompre, et certains "traditionalistes" à se déchirer les vêtements) à celle de plusieurs leaders protestants allemands, peut-être plus proche de réalité (selon qui Benoît XVI a voulu rappeler aux luthériens Allemands d'aujourd'hui, plutôt libéraux en matière de théologie et de morale, et sur des questions comme le mariage homosexuel, ou la certitude de la résurrection du Christ comme un événement ayant réellement eu lieu dans l'histoire) que Luther était beaucoup plus rigoureux - ou, si l'on veut, plus "catholique" - qu'eux, ce qui suggère qu'en face de certaines de leurs positions, il se retournerait aujourd'hui dans sa tombe.

A ces discussions, il manque le contexte. Les discours d'Erfurt ne sont certainement pas les premiers dans lesquels le Pape parle de Luther. Depuis des années, et comme il nous l'a rappelé récemment dans une rencontre, du 15 Janvier 2011, avec une délégation luthérienne arrivée à Rome depuis la Finlande, (ici) , Benoît XVI affirme attacher une grande importance à un texte, qu'il a contribué à écrire quand il était préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi: la déclaration commune de l'Eglise catholique et de la Fédération luthérienne mondiale sur la doctrine de la justification, signée le 31 Octobre 1999 à Augusta. Cette Déclaration reconnaissait qu'il y avait un fondement à la question posée par Martin Luther à un monde orgueilleux, caractérisé par le climat de la Renaissance où l'homme s'affirmait, selon l'expression de Pic de la Mirandole (1463-1494), <tui ipsius quasi arbitrarius honorariusque plastes in quam malueris tute formam effigas>, "façonneur et sculpteur de lui-même, [de sorte qu'il] puisse prendre forme dans la forme qu'il préfère": Est-ce Dieu qui sauve l'homme ou bien l'homme se sauve-t-il lui-même? La raison peut-elle sauver sans la foi?

Dans la Déclaration d'Augusta - qui rappelle certaines formulations proposées dans le dialogue entre les représentants catholiques et le collaborateur le plus direct de Luther, Philippe Melanchthon (1497-1560), un dialogue qui ne put se conclure en particulier à cause de l'intervention politique des princes allemands qui avaient décidé de rompre avec Rome - luthériens et catholiques sont d'accord sur le fait que "l'homme dépend entièrement pour son salut de la grâce salvatrice de Dieu". Par conséquent, "quand les catholiques affirment que l'homme, se prédisposant à la justification et à son acceptation, 'coopère' par son assentiment à l'action justifiante de Dieu, ils voient cet assentiment personnel non comme une action découlant de la force propre de l'homme, mais comme un effet de la grâce". Aussi fondamental que soit l'harmonie entre foi et raison, si on devait finalement répondre à la question de savoir si c'est la foi ou la raison qui nous sauve, la réponse ne ferait l'objet d'aucun doute: c'est la foi qui sauve.

La déclaration commune d'Augusta a été critiquée à la fois à «droite» par ceux qui la considèrent comme trop conciliante avec les luthériens - en 2010 le supérieur de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, Mgr. Bernard Fellay, a réédité ses écrits sur ce texte dans un livre au vitriol, L'"Hérésie justifiée", (Le Sel de la Terre, Avrillé 2010), accusant directement Benoît XVI de réhabiliter l'hérésie - et à gauche, par ceux qui comme Hans Küng pensent et écrivent que le Pape se serait retrouvé avec le monde luthérien conservateur sur la base d'une interprétation traditionnelle et littéraliste du péché originel, interprétation qui serait "dépassée".

Certes, la Déclaration conjointe doit être correctement comprise et interprétée . Elle ne doit pas donner l'impression que tous les problèmes entre catholiques et luthériens sont résolus. Le Pape l'a dit le 24 Janvier 2011 à Rome, recevant une délégation de luthériens allemands et prononçant un autre discours important. Si on ignore ce contexte, dans lequel le Souverain Pontife part de la Déclaration commune et la valorise, mais aussi énumère avec franchise les questions en suspens, on ne peut pas comprendre non plus les discours d'Erfurt. Dans cette perspective, il faut aussi rappeler deux autres éléments.

Recevant les luthériens finlandais le 15 Janvier, le Pape a rappelé un autre document plus récent, qu'il définit comme un "résultat digne d'attention". Il s'agit du texte de 2010, La justification dans la vie de l'Eglise, produit par le groupe de dialogue catholique-luthérien nordique, en Finlande et en Suède. Plus long (134 pages) que la Déclaration commune, ce document approndit à la fois le consensus et la dissidence, et montre comment les divergences sur la relation entre foi et raison dans la tradition catholique et celle lutherienne ont créé de sérieux problèmes dans l'histoire de l'Église. Ces différences ont été évoquées par Benoît XVI dans l'encyclique Spe Salvi de 2007, en particulier dans le septième paragraphe, qui montre la responsabilité de Luther dans la séparation la foi de de la raison, avec le risque de réduire la foi elle-même à quelque chose de volontariste et de sentimental, avec des conséquences désastreuses pour toute la pensée européenne ultérieure.

A Erfurt, le Pape a dit que les questions soulevées par Luther dans un monde dominé par l'humanisme et la Renaissance, qui avaient pénétré aussi l'Église, et qui exaltaient la raison au détriment de la foi, louant la grandeur de l'homme et oubliant le péché originel , étaient pertinentes (sensées). La demande de Luther à l'humanisme, laquelle implique que le péché a un rôle central qui ne peut pas être éludé et que "le mal n'est pas une ineptie" mérite encore - a dit le Pape à Erfurt - toute notre attention.

Revendiquer la primauté de la foi contre le rationalisme orgueilleux de la Renaissance: c'est dans ce sens que le Pape parle de "l'intérêt" d'une rencontre avec Luther aujourd'hui. Et c'est aussi - les dirigeants luthériens allemands l'ont bien compris - un argument ad hominem parce que justement aujord'hui, beaucoup de communautés protestantes d'Europe du Nord qui acceptent l'avortement, l'euthanasie, le mariage homosexuel et des théologies qui, comme le dit le Pape, "édulcorent" la foi avec le "danger de la perdre", sont les victimes de ce même rationalisme qui a ses racines anciennes dans l'humanisme contre lequel Luther s'était insurgé.

Mais si nous lisons les discours d'Erfurt de la façon correcte, dans le contexte de l'ensemble du Magistère de Benoît XVI sur Luther, nous sommes convaincus que le Pape nous invite à prendre au sérieux les questions du moine d'Erfurt - des questions, par ailleurs, formulées surtout quand il était catholique - mais pas à accepter ses réponses. En effet, comme il ressort de la critique de Spe salvi, l'affirmation que la foi est "primaire" (prioritaire?) par rapport à la raison devient, dans la pensée mûrie de Martin Luther, la thèse d'une foi séparée de la raison, qui est le fidéisme (ndt: en gos, "doctrine qui attribue à la révélation un pouvoir d'accès à la vérité que la raison ne posséderait pas").
Même si nous voulions faire absraction des phrases les plus dures et les plus polémiques de Luther, plus fréquentes dans les dernières années de sa vie, comme celles où il appelle à considérer la raison comme "la plus grande prostituée du diable" , le tournant dénoncé par Benoît XVI dans le célèbre discours de Ratisbonne (12 Septembre 2006) - selon lequel, pour Luther "la métaphysique apparaît comme un principe dérivant d'autres source [autres que celle biblique, que la seule Ecriture] dont il faudrait libérer la foi pour la faire redevenir pleinement elle-même" - n'est pas périphérique, mais central dans sa pensée .

Dans les paroles de Luther, "la raison est directement opposée à la foi, c'est pourquoi nous devons l'abandonner: chez les croyants, elle doit être morte et enterrée"; elle doit être noyée dans le baptême". Pour être vraiment elle-même, la foi divorce - au sens étymologique du terme, qui se réfère à deux routes qui <divertunt>, divergent, - de la raison et de la philosophie grecque, au point que Benoît XVI, dans le discours de Ratisbonne, voit en Luther la première vague de la «déshellénisation», c'est-à-dire d'une funeste séparation de la foi catholique de l'héritage grec, et donc de la raison, qui est responsable de tous les problèmes idéologiques que l'Europe a connus au cours des siècles ultérieurs. Luther a jeté le bébé avec l'eau du bain. Pour répondre au rationalisme humaniste, il jette aussi au loin la raison, l'héritage de la philosophie grecque et du droit romain. Alors que "la culture de l'Europe - le Pape l'a répété en Allemagne devant le Parlement fédéral, en une sorte de synthèse du discours de Ratisbonne - est née de la rencontre entre Jérusalem, Athènes et Rome - la rencontre entre la foi en le Dieu d'Israël, la raison philosophique grecque et la pensée juridique de Rome. Cette triple rencontre forme l'identité intime de l'Europe". Luther avait tort: on ne peut renoncer ni à la Grèce ni à Rome.

Quelles sont les conséquences de la renonciation de Luther à l'héritage grec et romain, c'est-à-dire à la raison et au droit fondé sur la raison? On pourrait parler d'«hétérogenèse des fins», une expression qui remonte à Giambattista Vico (1668-1744) et qui indique désormais une action ou une pensée qui, introduite dans l'histoire, a fini par causer des effets opposés à ceux qu'elle se proposait. Ainsi,
détachant la raison de la foi et la laissant, pour ainsi dire, libre d'agir sans le frein de la confrontation avec la théologie, on voit prospérer dans le milieu du protestantisme ce même rationalisme que Luther, effrayé par l'humanisme, prétendait combattre. La dévaluation de la raison porte de nombreux héritiers de Luther - mais pas tous - à nier l'existence d'une loi naturelle, de principes et le lois qui justement en vertu de la raison s'imposent à tous les hommes - et même aux dirigeants. Le gouvernant se trouve ainsi en mesure d'exercer son pouvoir en vertu de la règle de l'absolutisme: un pouvoir absolutus, c'est-à-dire "solutus ab" "libre de" tout lien avec une loi supérieure.

S'il n'y a pas de principes que la raison peut connaître et qui valent pour tous , la volonté du souverain n'a pas de limites. Selon le philosophe du droit Juan Goytisolo Vallet (1917-2011), ... pour ceux qui croient en la loi naturelle l'autorité ne «crée» pas la loi, mais la «lit» dans la nature même des choses. Mais pour ceux qui n'y croient pas l'autorité crée la loi comme un acte pur de volonté et de domination. Pour Luther, la seule <fides> semble s'ériger souveraine, après avoir divorcé de la raison. Mais c'est une souveraineté limitée au domaine de la théologie, qui laisse tout le reste de la pensée et de l'agir humains - une fois ôtée la raison - au désir de pouvoir et à l'arbitraire du prince. Ainsi, la dévaluation de la raison et la première vague de déshellénisation n'ont pas crééla liberté, mais l'absolutisme: et cela explique pourquoi tant de princes désireux d'absolutisme ont soutenu Luther.

Tout ce processus - par lequel la dévaluation de la raison n'engendre pas la liberté, mais l'absolutisme et l'oppression, qui, comme le Pape l'a répété devant le Parlement fédéral à Berlin, sont les fruits typiques de la négation du droit naturel - a été reconstruit à plusieurs reprises, et avec rigueur, par Benoît XVI, en particulier dans son discours de Ratisbonne, et dans l'Encyclique Spe salvi, sans crainte de faire du nom de Luther celui qui est à l'origine de cette dérive négative et dangereuse.

Dans l'histoire de la déchristianisation de l'Occident - un thème central du Magistère de Benoît XVI - on ne doit jamais confondre les questions et les réponses, les exigences compréhensibles et les mauvaises façons de répondre à ces exigences (ndt: c'est exactement la même chose pour l'allusion du Saint-Père au mouvement écologiste). Le 12 mai 2010 à Lisbonne - dans un autre discours fondamental pour comprendre ceux d'Erfurt - le Pape, comme il le fait souvent, a pris comme point de départ le Concile Vatican II, "dans lequel l'Eglise, partant d'un sens renouvelé de la tradition catholique, prend au sérieux et discerne, transfigure et dépasse, les critiques qui sont à la base des forces qui ont caractérisé la modernité, à savoir la Réforme et les Lumières.

Ainsi, d'elle-même, l'Église acceptait et recréait le meilleur des exigeences de la modernité, d'une part en les dépassant et, d'autre part en évitant ses erreurs et ses impasses. Benoît XVI invite donc à distinguer dans la modernité - y compris la Réforme, c'est-à-dire en premier Luther - les questions en parties justes et les réponses erronées, les vrais problèmes et les fausses solutions, les «exigences» dont l'Église a pris en charge la meilleure part - mais "en les dépassant" - et les "erreurs et impasses" dans lesquelles la ligne dominante de la modernité a fait précipiter ces exigences, finissant par renverser et nier tout ce qui dans leur moment exigentiel originel pouvait être compréhensible.

Pour le Pape, la modernité comme ensemble d'exigences, Luther compris, peut et doit être prise au sérieux et faire l'objet d'un discernement. La modernité, encore, Luther compris, comme ensemble de réponses, a au contraire fini en "erreurs et impasses" et en horreurs historiques. La vérité, c'est qu'aux questions de la modernité, seule l'Eglise a donné et pouvait donner les bonnes réponses.

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