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Seconde et dernière partie de l'interviewe-fleuve de Peter Seewald à Kath.net (21/4/2012)

-> La première partie est ici:
Viva il Papa!
J'ai repris la dernière réplique.
Traduction VB



KN : A-t-il beaucoup changé au cours de ses 7 ans de pontificat.

PSE : Chez Ratzinger, déjà très tôt, tout était « central ». Non dans le sens de moyen (« médiocre »), mais dans le sens de milieu et de dimension, c'est-à-dire ayant trouvé son centre. Cela concerne l’étude et le comportement devant les questions de théologie et de politique de l’Eglise, mais cela se retrouve aussi dans son comportement. Il est toujours dans la cadence. Et avec cette régularité, il est non seulement particulièrement perspicace mais encore particulièrement efficace. Dans ce domaine, il y a eu aussi peu de changement dans sa simplicité et dans sa nature aimable. D’autre part, entre temps, fonction et personne ont fusionné à tel point qu’on ne peut plus les distinguer.

KN : Comment cela se remarque-t-il ?

PSE : Il ressent, comme il le dit lui-même, non seulement la grâce particulière de cette fonction, mais encore il en vient par la transformation de toute sa personne, aussi parfaitement que cela est possible, à devenir celui qu’il représente. Il ne définit pas la représentation du Christ comme une gouvernance qui apporte la puissance et l’honneur mais comme un moyen de montrer comment il est Christ.
Comme on voit le Père à travers le Christ, aussi on doit pouvoir voir le Christ au travers du successeur de Pierre. Et cela en toute humilité. Il est donc en même temps maître à penser et modèle.

KN : Si, au moment de son 85ème anniversaire, on passe en revue sa vie, qu’est-ce qu’on remarque tout particulièrement ?

PSE : C’est avant tout une continuité sans précédent du début de son activité jusqu’à ce jour. Celui qui lit ses anciens écrits a devant lui un Ratzinger déjà achevé, qui n’aura plus à se corriger et dont les écrits sont aussi modernes de nos jours qu’alors. D’autre part, Ratzinger fut toujours quelqu’un qui s’écarte, un récalcitrant (rebelle), comme cela est dit dans ses bulletins scolaires, et cela malgré toute sa timidité. Quelqu’un qui a su s’extirper des chicaneries d’un commandant nazi aussi bien que de celles d’un professeur de théologie suffisant, même si ce dernier passait pour le génie de sa matière. Il se raidit contre sa nomination d’évêque, contre son appel à Rome, contre son élection au siège de Pierre. Mais justement au travers de cette orientation, qui n’est absolument pas l’expression de sa propre volonté, nous pouvons voir un destin que quelqu’un d’autre a pris en main.

KN : Qu’est-ce qui l’a préoccupé très tôt ?

PSE : Avant tout deux thèmes : vérité et amour, où pour lui il ne peut y avoir d’amour sans vérité et aucune vérité sans amour. L’amour est le mot essentiel de son guide théologique Saint Augustin qui n’a pas été pour rien décrit comme « génie des cœurs ». L’amour fut aussi le thème de sa 1ère encyclique.

KN : L’étude de Saint Augustin fut-elle aussi à la base de la représentation de l’Eglise par Ratzinger ?

PSE : Oui, l’Eglise est d’après lui toujours aussi une figure où le blé et la mauvaise herbe poussent de concert. Saint Augustin pense même que parfois cette Eglise est tellement celle des pêcheurs que l’on peut se demander s’il y a encore en son sein un seul juste. Mais justement cette association appartient aussi au mystère de la rédemption. Il est nécessaire justement de se protéger contre la tentation de vouloir créer une église de personnes justes, une association fermée qui exclut certains et qui ne maintient pas ouvertes les portes de la cité de dieu.

KN : Qu’est ce qui l’a encouragé ?

PSE : Une carrière dans le sens bourgeois du terme ne l’a en tout cas jamais intéressé.Il vit depuis longtemps avec la modicité d’un moine, étranger au luxe et tout à fait indifférent à une ambiance qui dépasserait le strict nécessaire du confort.
L’existence qui l’intéresse se trouve dans un domaine qui nécessite le dépassement du normal, là seulement commence cette réalité désirable de laquelle la plupart de ses concitoyens ne soupçonnent pas même l’existence. Ratzinger est pour ainsi dire un explorateur des zones spirituelles de la terre et du ciel.
Tout le reste est insuffisant, tout le reste n’est pas approprié pour trouver vraiment la joie, la paie intérieure et extérieure.
Il a très tôt découvert ce qui était caché. En réalité, cette activité n’est certainement pas le jeu de perles de verre (ndt: allusion au roman de Hermann Hesse, l'un des auteurs préférés de Joseph Ratzinger) d’un brillant amateur de culture, un passe-temps désintéressé mais il s’agit toujours d’un service rendu à Dieu et aux hommes.

KN : Y a-t-il un Ratzinger méconnu ?

PSE : Nous ne savons en fin de compte que peu de choses à son sujet. Notamment au sujet du génie précoce qui dès l’âge de 13 ans a étudié tous les tomes de Saint Augustin. Du jeune professeur qui au cours de ses vacances assure le service de Deu dans la prison de sa ville natale. Du penseur non conventionnel lorsqu’il s’exprime dans le cadre amical avec des universitaires marginaux ou aussi avec un adepte du mysticisme comme Hans Urs von Balthasar. Du préfet de la Congrégation de la Foi qui prend tous les jeudis après la messe du matin un petit déjeuner avec la concierge sur le Campo Santo.
Vraiment méconnue est avant tout la participation de Ratzinger au Concile Vatican II.

KN : Qu’en pensez-vous concrètement ?

PSE : Les recherches les plus récentes montrent que l’apport à l’époque du très jeune conseiller du Concile aux côtés du cardinal Frings a été beaucoup plus important que ce qu’il a bien voulu faire savoir. Il élabora dans le collège allemand « Santa Maria Dell Anima » Place Navone des textes stratégiques et déterminants. Il a pris part de manière déterminante, sans aucun doute, à l’élaboration de documents du concile tels que « Lumen Gentium » et « Dei Verbum ». Sa capacité intellectuelle et théologique et son insistance sont responsables de l’abandon de principes initiaux trop étriqués.
Toutefois, il a par le passé, comme d’autres, reconnu que quelques pousses du concile étaient des pousses de bois et qu’elles ne portaient pas de fruits.

KN : Sans cesse il est cependant question de l’orientation conservatrice de Ratzinger.

PSE : Jusqu’à ce jour, les initiatives d’alors n’ont pas été changées : dialogue, ouverture, redécouverte des origines, concentration sur les révélations du Christ.
Prenez son exigence d’authenticité de l’Annonciation, la redécouverte des sacrements, et tout particulièrement d’une lithurgie qui permet de participer à la joie que procure la parole de Dieu et de rendre évident le mystère de la célébration de la messe. Il militait sans cesse pour une connaissance de soi qui émane de l’étendue de la tradition chrétienne, une ouverture pour la globalité de la foi.
Cela pour lui personnellement n’est pas une pensée issue d’un fond de commerce politique, mais une analyse critique basée sur la pensée biblique et un ancrage solide dans la pensée de Jésus. Cela constitue aussi sa liberté. S’il doit rendre compte, ce ne sera pas à un quelconque organisme et sûrement pas à l’esprit du moment. Mais toujours uniquement au créateur de l’univers c'est-à-dire le Christ lui-même.

KN : Ratzinger est-il le prédicateur dénonçant l’incroyance du 20ème siècle ?

PSE : Il en a au moins pris conscience plus tôt que d’autres après la terreur des systèmes athés. Déjà en 1967, il en parle dans un de ses cours à Tubingen en affirmant que la foi chrétienne était maintenant enveloppée dans un brouillard d’incertitude comme jamais avant dans l’histoire.
Il y aura de moins en moins d’hommes qui auront le courage d’avouer leur religion d’origine. Dans son « Introduction au Christianisme », en 1968, il reconnaissait résolument qu’il fallait essayer de construire un mur de raison et de foi. Il s’agit là d’une manifestation révélatrice contre le pouvoir oppressant de l’incroyance, qu’il a vu tôt s’installer.

KN : Il semble que dans la fonction de berger en chef de l’Eglise la boucle est bouclée.

PSE : On peut le dire dans les faits. Le jeune Ratzinger est comme le vieux Ratzinger, et le vieux, comme le jeune – ce qui permettra à l’Eglise de retourner à sa source, son authenticité. La seule recette, déclare de bonne heure Ratzinger, c’est d’exposer de manière nouvelle la sincérité de la foi chrétienne, sa force de conviction, tirée de la loi et du mystère du Christ sans balivernes, sans niaiseries, sans rénovation permanente dans le sens d’une chrétienté sans religion et d’une adaptation à la langue, l’état d’esprit et le mode de vie d’un monde sécuralisé.

KN : Vous avez décrit Benoît XVI dans une interview comme un pontife qui faisait partie des grands parmi la longue lignée de papes.

PSE : Bien entendu l’histoire devra juger au préalable de la chose et déterminera sa grandeur réelle. Benoît est actuellement le « petit » pape (ndt: c'est ainsi qu'il se définit dans "Lumière du monde"...). C’est ainsi qu’il se voit lui-même en comparaison de son éminent prédecesseur. Mais nous savons bien que dans la logique chrétienne les concepts sont souvent inversés. Le petit peut être le grand, le dernier d’une vieille éternité le premier d’une nouvelle.
La mission qu’il s’est imposée est la plus dure de toutes: le renouvellement interne. Il ne s’agit pas d’une restauration mais d’une renaissance chrétienne, une redécouverte de la beauté, de la liberté et de la joie.

KN : Qu’est-ce qui vous impressionne tout particulièrement ?

PSE : Je trouve que les pontificats de Jean-Paul II et Benoît XVI se complètent parfaitement. Le premier est plutôt un homme de l’image alors que l’autre est un homme du verbe.
E t tandis que Jean-Paul II, durant une période tempêtueuse, édifiait une forteresse pour détourner les vents, Benoît XVI réédifie ce qui à l’intérieur avait été détruit par la tempête. Dans cette oeuvre, il compte sur l’aide de Dieu et prend en compte le reproche qu’il en fait trop peu vers l’extérieur. Ce qui est impressionnant, c’est que dans un pontificat non historique vienne s’exprimer la marque de l’histoire sainte de l’époque : justement parce que ce n’est plus le vicaire du Christ qui se trouve tout puissant sur le devant de la scène, mais le Christ lui-même.

KN : Benoît XVI se tranforme-t-il en symbole ?

PSE : Sans aucun doute, il vient de l'ancien et personnifie le nouveau, une Eglise qui veut non pas vivre ses structures, mais sa foi et avec cela le centre du message chrétien, l’amour et la promesse de la vie éternelle. Comme professeur, Joseph Ratzinger pouvait grâce à ses analyses ciblées explorer l’avenir. Comme Pape, il précède quasiment personnellement l’avenir. Il y va de son va-tout, pour la vie en soi, pour notre avenir dans une autre existence.

KN : Que souhaitez-vous au Pape pour son 85ème anniversaire ?

PSE : A tous, on souhaiterait à cet âge une retraite reposante. Au Pape Benoît XVI, je souhaite qu’il puisse trouver pour la vigne du Seigneur beaucoup de travailleurs. Prêtres, sœurs, moines, simples croyants qui essaient encore de nager à contre-courant, dont les rêves ne se limitent pas à la consommation et à une carrière, et qui ne soient pas partisans du ramollissement de la foi mais de sa fortification.

Pour lui, l’essentiel est ici : rien ne peut changer et devenir bon si les cœurs des hommes ne changent pas aussi. L’Eglise ne peut pas se renforcer à nouveau si la foi ne redevient pas forte. Sa force n’est pas recherchée pour elle-même, mais au contraire pour qu’elle soit le sel de la terre, la bénédiction de l’humanité et la lumière du monde.

KN : Dans ce sens, Joyeux Anniversaire Pape Benoît XVI !

PSE : Viva il Papa !