La faute de Vatican II

Pourquoi Vatican II a-t-il ignoré le communisme? Le voile de mystère sur l'omission par le Concile de toute référence au communisme a été progressivement levé - en particulier à travers l'ouvrage de Jean Madiran, "l'Accord de Metz". Un article de fond d'Edward Pentin, sur le site Catholic World Report (13/12/2012).

Image ci-dessou: Paul VI inaugurant une sesion du Concile, en 1963

Texte original en anglais (merci à Teresa!): www.catholicworldreport.com/
Ma traduction (j'ai rajouté des sous-titres)

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Pourquoi Vatican II a-t-il ignoré le communisme?
Le voile de mystère sur l'omission par le Concile de toute référence au communisme a été progressivement levé.
Edward Pentin
Lundi 10 Décembre 2012

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Alors que l'Église célèbre le 50e anniversaire de l'ouverture du Concile Vatican II, il y a un aspect moins connu - et certains diront très troublant - du Concile qui a eu tendance à être négligé: l'absence de toute référence à, ou de toute condamnation du communisme dans les documents conciliaires, malgré le fait que l'Union soviétique était à ce moment au sommet de sa puissance.
Au fil des ans, beaucoup ont spéculé sur les causes de l'omission, tandis que d'autres se sont interrogés sur les conséquences, tant pour l'Église catholique d'aujourd'hui que pour le reste du monde.
Ces dernières années, le voile de mystère sur l'omission a été progressivement levé, les historiens ayant découvert des preuves irréfutables expliquant comment l'absence de toute référence au communisme dans les documents est survenue.
L'omission est apparue comme une surprise à l'époque, puisque jusqu'au Concile Vatican II, l'Eglise n'avait cessé de dénoncer le communisme dans ses enseignements. Ses condamnations étaient claires et sans ambiguïté, conformes à celles du pape Pie XII, qui a été sans faille dans ses dénonciations du communisme jusqu'à sa mort en 1958.

Ostpolitik
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Parmi les vota (voeux) des Pères conciliaire - des milliers de recommandations, recueillies auprès de figures-clés de l'Eglise juste avant les sessions du Concile - le communisme était une priorité dans la liste des préoccupations. En effet, pour beaucoup, il semblait être le principal sujet de condamantion.
Des historiens affirment qu'un certain nombre de facteurs ont contribué au fait que le communisme ne soit pas du tout mentionné durant le Concile.
Le premier était le "timing" défavorable du Concile. «C'était les années soixante et un nouvel esprit d'optimisme planait sur le monde», explique l'historien italien de l'Eglise Roberto De Mattei, auteur de Il Concilio Vaticano II - Una storia mai scritta ( Vatican II - Une histoire jamais écrite). ..
En particulier, la dernière encyclique du Pape Jean XXIII, Pacem in Terris , est considérée comme ayant joué un rôle clé dans ce changement d'approche du communisme. Pour De Mattei, l'encyclique «a été décisive», car elle donnait l'impression de «vouloir renverser la position de l'Église catholique contre le communisme, avec la suppression, en fait, de toute condamnation, même verbale». On pense que la politique du Vatican dite Ostpolitik» - l'ouverture de l'Eglise aux pays communistes de l'Est à travers le dialogue - a trouvé ses racines dans l'encyclique de 1963. Elle a été poursuivie par l'évêque Agostino Casaroli , qui, à cette époque, était en effet ministre adjoint (substitut) des Affaires étrangères du Saint-Siège, mais qui devait devenir plus tard secrétaire d'État du Vatican.

... et donc la ligne "soft" de l'Eglise, en échange de concessions
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Mais pourquoi Jean XXIII permit-il une telle rupture avec la ligne jusque-là très ferme contre le communisme? Certains pensent qu'il avait, sinon de la sympathie, du moins une prédisposition à regarder le communisme avec un certain optimisme mal fondé.

«Une théorie communément admise, que l'on ne peut pas prouver, c'est que Jean XXIII avait de bonnes relations avec [le président soviétique] Khrouchtchev», dit le Père Norman Tanner, un jésuite spécialiste du Concile à l'Université pontificale grégorienne de Rome. Certes, on a enregistré que Khrouchtchev avait rendu visite au pape au Vatican, et que Jean XXIII avait été heureux de recevoir les voeux d'anniversaire du leader soviétique, lorsque le pape eut 80 ans. En réponse, Jean XXIII demanda à Khrouchtchev de démontrer sa sincérité en améliorant le sort des catholiques, et en particulier, en permettant au chef emprisonné de l'église uniate d'Ukraine, l'archevêque Jozsef Slipyi, d'émigrer, une requête de Khrouchtchev accorda en 1963.
Paul VI rencontra également à plusieurs reprises les responsables soviétiques. Ces rencontres eurent lieu pour la plupart après le Concile, cependant, et les efforts ont été largement en vain: les concessions soviétiques au Vatican se sont avérés être le plus souvent maigres dans les années qui ont suivi.
Mais il y avait un autre motif derrière cette poussée vers la détente: il s'agissait de favoriser de meilleures relations œcuméniques avec l'Eglise orthodoxe russe. Dans le cadre de son désir d'une plus grande ouverture de l'Eglise pour les chrétiens d'autres confessions, Jean XXIII voulait fortement que les membres de l'Eglise orthodoxe russe - alors profondément liée avec le Kremlin et le KGB - participent au Concile. Le pape voulait également que les évêques catholiques de Russie et de ses satellites soient autorisés à assister aux sessions du Concile. Ce devait être «une sorte de quid pro quo », dit Tanner. Mais pour atteindre ces objectifs, Jean XXIII semble avoir été prêt à faire une concession extraordinaire: que le Concile s'abstienne de faire des «déclarations hostiles» à la Russie.

L'accord de Metz
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Dans un livre 2007 intitulé «L'Accord de Metz», l'essayiste français chevronné Jean Madiran rassembla un certain nombre d'affirmations documentées , témoignant qu'un accord avait été tramé au cours de pourparler secrets avec les soviétiques en 1962. La rencontre, dit Madiran, eut lieu à Metz, en France, entre le métropolite Nikodim, alors «ministre des affaires étrangères» de l'Eglise orthodoxe russe, et le cardinal Eugène Tisserant, un haut responsable français du Vatican. Le Métropolite Nikodim était, selon les archives de Moscou, un agent du KGB.
Diverses sources ont depuis lors confirmé qu'un accord avait été conclu, demandant au Concile de ne faire aucune attaque directe contre le communisme. Les orthodoxes ont alors décidé d'accepter l'invitation du Vatican d'envoyer un certain nombre d'observateurs au Concile.
S'agissant d'un accord verbal et secret, la preuve concrète s'est révélée difficile, mais De Mattei dit qu'il a trouvé «une note manuscrite» de Paul VI dans les archives secrètes du Vatican, confirmant l'existence de cet accord. Madiran soutient également l'affirmation de De Mattei, disant que, dans le mémo, Paul VI mentionnait explicitement «les engagements du Concile», y compris celui de «ne pas parler du communisme (1962)». Madiran souligne que la date entre parenthèses est importante , car elle fait directement référence à l'accord de Metz entre Nikodim et Tisserant.
Le Vatican devait adhérer fermement à l'accord lors du Concile, insistant sur le fait que Vatican II devait rester politiquement neutre. Même une pétition de plus de 400 prêtres du Concile, représentant 86 pays différents, demandant d'inclure une condamnation formelle du communisme dans les décrets, fut rejetée. La pétition, présentée au cours de la dernière session du Concile le 9 Octobre 1965, «n'a même pas été transmise à la Commission qui travaillait sur le document», dit De Mattei, d'où un énorme scandale. Étonnamment, même l'évêque Karol Wojtyla, qui deviendrait plus tard Jean-Paul II, mais était alors un évêque au sein du Concile, fut l'un de ceux qui rejetèrent la pétition.
Le résultat est que dans la constitution Gaudium et spes, le 16e et dernier document promulgué par le Concile, et entendu comme une définition entièrement nouvelle de la relation entre l'Eglise et le monde, est exclue toute forme de condamnation du communisme. «Le silence du Concile sur le communisme», explique De Mattei, «fut vraiment une omission impressionnante de cette réunion historique».

L'Eglise a-t-elle contribué à la chute du communisme?
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Compte tenu du consensus actuel parmi les historiens sur l'existence de cet accord secret avec les Soviétiques, peut-être la question la plus intéressante à se poser aujourd'hui est-elle la suivante: quel effet cela a-t-il eu sur l'Eglise et le monde à partir de ce moment-là? Le Concile a-t-il malgré tout contribuéà provoquer la chute du communisme soviétique, ou bien cette absence de toute condamnation a-telle de fait prolongé la brutalité de l'idéologie athée?
Certains ont peu de doute que le Concile Vatican II a joué un rôle clé pour mettre fin à l'expérience marxiste-léniniste. L'Eglise post-conciliaire, affirment certains historiens, a mis un accent nouveau mis sur la liberté religieuse qui a accéléré la disparition du communisme, en grande partie grâce à l'insistance de Mgr Wojtyla, qui a aidé à convaincre un Paul VI hésitant de signer le décret Dignitatis Humanae. Et, pour la première fois, le Concile a autorisé les évêques de derrière le rideau de fer à se rencontrer et à discuter ensemble en dehors de leur pays.
«Cela leur a donné un sentiment d'influence et d'unité», explique le théologien américain Michael Novak, dans un reportage sur la deuxième session du Concile. Il ajoute qu'une fois de retour dans leurs pays, les évêques firent des églises des lieux de rencontre pour les gens de toutes confessions, ou sans religion, grâce à l'esprit nouveau d'ouverture et de dialogue du Concile, ce qui fut particulièrement vrai en Pologne. «Une large alliance se forma entre ceux qui aimaient la liberté et voulaient résister au "régimre du mensonge" explique Novak, ajoutant que les évêques derrière le rideau de fer avaient désormais des amis proches d'Occident et d'ailleurs, qu'ils avaient rencontrés au Concile».
Rester «silencieux» sur le communisme et en même temps être ouvert au dialogue était également perçu comme une voie à essayer si, comme beaucoup pensaient à l'époque, le communisme devait durer encore des centaines d'années (Paul VI a explicitement répudié le communisme dans son encyclique de 1964 Ecclesiam Suam, même si, bien sûr ,ce n'était pas un document conciliaire).
Le Père Tanner, auteur d'un nouveau livre sur le Concile intitulé "Vatican II: les textes essentiels", souligne que, de même qu'il n'y avait pas eu de condamnation du communisme, il n'y a eu dans les 16 décrets du Concile aucune condamnation formelle des autres mauvaises idéologies politiques. «Il n'y a pas de condamnations formelles [de ces] idéologies», dit-il. «Il y a eu des condamnations de la guerre et ainsi de suite, mais pas du nazisme et du fascisme, qui à cette époque, étaient de mémoire récente»
Mais il admet que ces mouvements politiques étaient différents du communisme, qui était «encore très vivant», et il ajoute que «beaucoup de gens et d'évêques de ces pays souffraient horriblement». «Ils voulaient une condamnation formelle et exhortaient le pape de la faire»,dit-il.

Ce point a été éloquemment repris par le cardinal Giacomo Biffi, ancien archevêque de Bologne. Dans son autobiographie de 2010, "Mémoires et digressions d'un cardinal italien", le Cardinal remarque que le communisme a été «le plus imposant, le plus durable, le plus irrésistible phénomène historique du 20e siècle», et pourtant le Concile, qui contenait un décret sur l'Église dans le monde contemporain «n'en a pas parlé».
Pour la première fois dans l'histoire, ajoute-t-il, le communisme avait «virtuellement imposé l'athéisme aux peuples soumis, comme une sorte de philosophie officielle et une paradoxale "religion d'État", et le Concile, bien qu'il ait abordé le cas des athées, n'en a pas parlé».
En outre, il souligne qu'en 1962, les prisons communistes étaient «encore tous les lieux de souffrance indicible et d'humiliation infligées à de nombreux témoins de la foi (évêques, prêtres et laïcs, qui étaient des croyants convaincus dans le Christ), et le Concile n'en a pas parlé. Et certains veulent parler du prétendu silence sur les aberrations criminelles du nazisme, ce pour quoi même certains catholiques (même parmi ceux qui furent actifs au sein du Concile) ont critiqué Pie XII!».

Les métastases du communisme aujourd'hui
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Et que l'omission, associée à l'Ostpolitik, visât à mettre fin au communisme soviétique plus rapidement que d'autres approches, certains historiens doute que c'était le cas. Des dirigeants de l'Église sont restés incarcérés, torturés et persécutés par les régimes communistes après que le Concile et le marxisme soviétique duré jusqu'à la chute du mur de Berlin, près de 25 ans après la dernière séance de la rencontr (et bien sûr le communisme se poursuit en Chine, en Corée du Nord, et ailleurs).

«Si le Concile Vatican II avait condamné le communisme, cela aurait contribué à accélérer son déclin», explique De Mattei. «Le contraire s'est produit. L'Ostpolitik du Vatican a prolongé la survie du vrai socialisme dans les pays de l'Est pendant 20 ans, fournissant un point d'appui aux régimes communistes en crise».
De Mattei ajoute: «Aujourd'hui, nous devons nous demander: ceux qui ont dénoncé l'oppression brutale du communisme au sein du Concile, demandant sa condamnation solennelle, étaient-ils des prophètes? Ou bien les prophètes étaient-ils les architectes de l'Ostpolitik qui croyaient qu'il était nécessaire de parvenir à un accord avec le communisme, un compromis, parce que le communisme interprétait angoisses de l'humanité sur la justice et devait survivre encore un ou deux siècles, améliorant le monde?»

Même dans ce qu'on nomme le monde post-communiste (soviétique), certains considèrent que l'absence de toute condamnation a d'énormes conséquences négatives sur l'Église et sur la société d'aujourd'hui. Christopher Gillibrand, un commentateur catholique respecté au Royaume-Uni, estime que l'absence de condamnation par Vatican II signifie pour les temps modernes «que la réponse de l'Eglise a été inefficace contre les atteintes à la dignité humaine par un Etat arbitraire et tout-puissant».

D'autres soutennent que le fait de ne pas avoir traité le communisme comme l'idéologie du mal qu'il est, a empêché l'Église de reconnaître la pensée socialiste au sein de ses propres rangs. «Les gens s'inquiètent de sauver la planète, du réchauffement climatique, et il y a des préoccupations légitimes à ce sujet, mais nous avons perdu la conscience du salut de l'âme», dit Edmund Mazza, professeur d'histoire et de sciences politiques à l'Azusa Pacific University à Los Angeles. «C'est ce que le communisme, c'est ce que le socialisme, et c'est ce que Gramsci [l'un des plus importants penseurs marxistes du 20e siècle] voulaient».
Dans l'ensemble de la société aussi, note le professeur Mazza, une société de plus en plus laïcisée est précisément ce que les communistes désiraient.
«La principale erreur de notre époque est que nous avons perdu la transcendance», dit-il. «Ce qui s'est passé au cours des 50 dernières années? Les erreurs de l'athéisme et du socialisme, un monde sans Dieu, ont "marxisé" le monde afin que nous soyons prêts à embrasser le socialisme s'il est conjugué dans les termes appropriés».
«Si vous avez besoin d'un emploi, de coupons alimentaires, d'argent», ajoute-t-il «alors, quand le gouvernement promet de prendre soin de vous, vous le suivrez".