Qu'est-ce qu'un prophète dans l'Eglise?

Disputatio

Lu sur le "bloc-notes d'un journaliste chrétien", commentant une déclaration de l'archevêque de Renne à propos de la fermeture de PSA-Aulnay (24/7/2012)

[À Philippe N., qui m'a donné un conseil apprécié: mes commentaires sont en rouge. En bleu, les citations. Et en noir, l'important: le Pape].


>>> Sur le même sujet (si l'on peut dire) un article du site ami Contre-débat: La crise de l'Eglise vue par un journaliste chrétien.

Evidemment, nous lui faisons ainsi une pub qu'il ne mérite sans doute pas.

Dans un de ses derniers billets, un célèbre "journaliste chrétien" reproduisait une lettre de l'archevêque de Rennes, Mgr d'Ornellas, qui, à propos de la fermeture de l'usine d'Aulnay sous bois et de la suppression annoncée de 14000 emplois par PSA écrivait:

L'annonce faite par PSA m'interroge profondément. ... Cette annonce, une fois de plus, manifeste la crise. Celle-ci est-elle seulement économique et financière ? De petites réformes, d'hier ou d'aujourd'hui, suffiront-elles pour calmer la panique financière ou pour faire croire que la crise est résolue ?
L'heure du courage a sonné. Le courage d'une pensée créatrice sur une nouvelle manière de vivre et d'organiser le travail.
Le courage de passer d'une économie de profit à une économie au profit de l'homme.
...
En vérité, il s'agit de rechercher le juste équilibre humain pour la civilisation qui est désormais la nôtre.
Celle-ci attend des prophètes qui subordonnent l'économie à la valeur de la personne humaine et de son travail, en France, en Europe et dans le monde.

Des paroles que ne désavouerait sans doute pas le Saint-Père lui-même, au moins une grande partie - sauf que ce courage invoqué ne me paraît pas toujours au rendez-vous, dans les propos de nos évêques. Mais notre "journaliste chrétien", et grand donneur de leçons, qui voit tout à travers le prisme déformant de sa haine du "libéralisme" et de l'"intégrisme" titre: Mgr d'Ornellas met en cause "l'économie du profit" (ce qui tronque la moitié de la phrase, une pratique courante chez lui et que pourtant il ne cesse de vitupérer chez ses "ennemis").

Parmi les réactions publiées (!), il y a celle d'un certain "X":

Bizarre, j'aurais cru qu'un authentique prophète annonçait surtout Dieu et sa parole. Je suis bien d'accord avec le fait que les chrétiens doivent être force de proposition, mais l'annonce évangélique ne consiste pas à faire des propositions économiques. J'avoue que cette propension des évêques à parler beaucoup des problèmes de société (réels au demeurant), et bien peu de Dieu et du Salut en Jésus-Christ, m'interroge.

Que n'avait-il dit là!
Le malheureux s'attire immédiatement les commentaires ironiques du journaliste chrétien:

"Ne vous interrogez pas : documentez-vous... peut-être ne fréquentez-vous pas assez l'Eglise catholique (mais c'est très excusable !) pour savoir cela".

Notons qu'il s'agit d'un procédé récurrent chez le journaliste chrétien: quand il publie - très exceptionnellement - une contradiction, il coupe court au débat par un péremptoire "informez-vous", ou "relisez l'évangile", ou "relisez Caritas in veritate"... et "nous parlerons après".

Le commentaire de X a éveillé en moi un souvenir précis (il y en aurait d'autres, mais sur l'instant, je n'ai pas la référence en tête).
C'était le 25 mai 2006, à Varsovie:

Les fidèles n'attendent qu'une chose des prêtres: qu'ils soient des spécialistes de la promotion de la rencontre de l'homme avec Dieu. On ne demande pas au prêtre d'être expert en économie, en construction ou en politique. On attend de lui qu'il soit expert dans la vie spirituelle.
(discours de Benoît XVI au clergé de Pologne, ici).

J'ai tenté de faire passer un message sur le blog du journaliste chrétien, avec cette simple citation, et le nom de son auteur, le Pape (on pourra m'objecter qu'un pasteur, comme celui que réclame Mgr d'Ornellas, ce n'est pas forcément un prêtre...).
5 minutes plus tard, et sans que mon message soit publié, évidemment, la réponse venait sous forme d'un commentaire lapidaire:

De PP à tous:
Comme prévu, nous recevons des messages de super-cathos donnant tort à l'archevêque de Rennes. C'est curieux, chez les Gardiens du Dogme, cette manie de contredire l'Eglise !
(
Le pompon est décroché par un message faisant dire à Benoît XVI que l'Eglise ne doit pas s'occuper de la justice sociale. Suggérons aux libéraux de se renseigner un peu sur la DSE et de lire 'Caritas in Veritate'...)

J'ai cru me reconnaître dans le "pompon". Non pas que je me sente particulièrement visée par le "super-catho" (là, c'est vraiment trop d'honneur!!). Mais il est bien dans le style du journaliste chrétien de discréditer ses contradicteurs en singeant leurs arguments pour les rendre ridicules, leur faisant sentir du même coup à quel point ils sont ignares (1).
Bien entendu, je n'ai pas pensé, encore moins écrit, que "l'Eglise ne doit pas s'occuper de la justice sociale" - et il m'étonnerait que d'autres visiteurs l'aient écrit, dans un laps de temps aussi court -. Il n'en reste pas moins vrai que ce n'est pas, à mon humble avis, sa tâche principale.
Un peu plus loin, d'ailleurs, le même "PP" enfonce le clou:

(...) je crains qu'on ne perde notre temps à essayer de le faire comprendre à ceux qui préfèrent "en prendre et en laisser"... Ils prennent ce qui leur convient et nient l'existence du reste, à coups de citations décontextualisées.

En prendre et en laisser? De qui parle-t-il, là? Et lui, que fait-il d'autre?
Et la phrase du Pape était-elle "décontextualisée"? Il ne me semble pas! Une telle remarque n'a pas besoin de contexte, elle dit ce qu'elle a à dire, sereinement.

* * *

Encore deux mots à propos du blog du journaliste chrétien.

- Il lui arrive assez souvent d'aborder des questions dignes d'intérêt et même - je suis charitable - d'y apporter des débuts de réponses. Mais son ton est d'emblée si inutilement méchant et agressif, mettant en cause de prétendus adversaires pour de non moins prétendus propos dont on ne trouve la trace nulle part, qu'il ruine par avance toute son argumentation.

- Il déteste bruyamment les libéraux, et les traditionalistes, en général affublés du qualificatif d'"ultra" (attitude bien peu évangélique pour quelqu'un affirmant aussi haut l'importance du témoignage du chrétien dans la société, mais passons: c'est humain, et je suis moi-même loin de pratiquer l'amour universel), qu'il laisse traiter de butors, d'imbéciles, de niais et autres gracieusetés par ses thuriféraires..., mais il me semble me rappeler qu'il n'a pas toujours été aussi regardant.
Il y a quelques années (le 30 mai 2006, pour être précis, mais à la suite d'une panne informatique, on ne peut actuellement pas accéder aux archives) notre journaliste chrétien était l'un des premiers invités des rendez-vous du Forum catholique (pas vraiment un site "éclairé", selon ses critères, et dont les positions sont régulièrement brocardées dans ses billets!), pour faire la promotion de son dernier livre (celui sur l'Opus Dei). Business is business.

En réalité, le journaliste chrétien, chroniqueur à Radio Notre-Dame, ce qui lui confère une certaine aura de légitimité parmi les catholiques, est le représentant-type d'une nouvelle bien-pensance - retournant ici un mot qu'il utilise très souvent pour discréditer ses "adversaires" alors qu'il en est lui-même une caricature.
Une bien-pensance présente dans une partie de notre épiscopat, qui n'ose pas refuser ouvertement l'enseignement de l'Eglise sur le plan de la morale personnelle, car ils n'ont pas encore franchi le Rubicon, mais qui s'emploie jour après jour à la relativiser, à la vider de sa substance, la relèguant au second plan, pour mettre au premier celui de la morale collective.
Cette morale collective est en fait le domaine où l'on croit que l'Eglise est la meilleure supplétive de "l'air du temps" - lui faisant dire au besoin ce qu'elle n'a pas dit, comme lors du fameux angelus du 22 août 2010 à Castelgandolfo , avec la récupération éhontée contre Nicolas Sarkozy, à propos des Roms (cf. benoit-et-moi.fr/ete2010/). Mais c'est aussi le domaine où elle aurait vite fait de sombrer dans la grisaille anonyme d'une ONG vouée à la défense de l'environnement et de l'immigration, et aux oeuvres de charité. (lire à ce sujet "Qui instrumentalise l'Eglise", de Martin Pelletier, page 247)
Un exemple parmi d'autres de cette attitude, mais très significatif: à propos du droit à la vie, l'avortement est mis sur le même plan que la peine de mort, ou même le "sauvetage de la planète".
Qu'on s'étonne, après cela, que les catholiques soient "désorientés".

Note additive

(1) Le Saint-Père répète souvent que "la crise est aussi morale", il l'a encore dit devant les agriculteurs italiens de la Coldetti le 23 juin dernier.

"Etant donné qu'à la base des difficultés économiques actuelles il y a une crise morale, engagez-vous avec sollicitude afin que les exigences éthiques maintiennent leur primauté sur toute autre exigence.
Il faut, en effet,
porter le remède là où est la racine de la crise, favorisant la redécouverte de ces valeurs spirituelles à partir desquelles jaillissent ensuite les idées, les projets, les actes."
(UDIENZA AI PARTECIPANTI ALL’ASSEMBLEA NAZIONALE DELLA CONFEDERAZIONE NAZIONALE DELLA COLDIRETTI, 22.06.2012, ma traduction,
cf. http://benoit-et-moi.fr/2012(II))

On peut difficilement prétendre que c'est une citation décontextualisée!
Et pourtant, dans un billet récent résumant de façon très... personnelle la rencontre du Saint-Père avec les FAMILLES à Milan (Titre: Benoît XVI à Milan dénonce "la logique unilatérale du bénéfice personnel et du profit maximum", c'est-à-dire la société libérale, suivi du désormais traditionnel "Parmi les passages que les bien-pensants ont zappés..."), le journaliste chrétien laissait passer ce commentaire insultant, mais qui se retourne comme un gant contre son auteur... et le blogueur:

> Il y a deux lectures possibles des textes du pape :
- la lecture humaine rationnelle et normale, qui consiste à... lire ce qu'on a sous les yeux ;
- la lecture des
cathos bien-pensants, qui consiste à croire avoir lu autre chose pour pouvoir annoncer triomphalement : "le pape a dit que la crise ne vient pas de l'économie mais de l'abandon de Nos Valeurs Morales-z-et-Familiales."...
> J'ajoute que j'ai vraiment lu quelque part : "le pape a dit que la crise ne vient pas de l'économique mais de l'abandon des valeurs morales." Une pareille déformation de texte, ça ne s'invente pas.