Benoît XVI sur Twitter: pour faire quoi?

Lundi 3 décembre, le Pape débarque sur Twitter. «Dans la substance de brefs messages, souvent pas plus longs qu'un verset biblique, on peut exprimer des pensées profondes à condition que personne ne néglige le soin de cultiver sa propre intériorité» (Journée Mondiale 2012 des communications sociales). A propos d'un article du P. Spadaro, directeur de la Civiltà Cattolica (2/12/2012).

>>> A relire (benoit-et-moi.fr/2012-I)
Silence et parole, chemin d'évangélisation. Le message pour la journée 2012 des Communications sociales.

Image ci-dessus: Le 7 décembre 2011, Benoît XVI inaugurait sur un ipad les illuminations d'un sapin électronique géant, à Gubbio (http://benoit-et-moi.fr/2011-III).

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Le Pape sur Twitter: le sujet passionne les medias - comme en témoigne cette capture d'écran sur la page actualités de Google - pour des raisons en général superficielles dont presque aucune n'est digne d'attention.


J'avoue que cela m'intéressait médiocrement jusqu'ici, n'étant pas un utilisateur. J'appartiens à une génération qui a besoin de temps et de place pour s'exprimer (et j'imagine que cela se voit!)
De Twitter, on voit jour après jour le pire: l'étalage impudique de la vie privée, la réduction de l'information à des anecdotes ou des slogans, la méchanceté et la moquerie qui circulent en temps réel d'un bout à l'autre de la planète (dernière exemple en date, l'affaire du boeuf et de l'âne dans la crèche!), et surtout l'appauvrissement généralisé de la pensée, et de la langue. Tout cela autour de deux impératifs qui limitent forcément la réflexion: la brièveté (presque toujours synonyme de superficialité), et surtout, plus nocif, l'instantanéité - piège redoutable dont certaines (fausses) célébrités ont déjà fait les frais.

Le mal est fait, si j'ose dire: la communication par Twitter existe, il faut faire avec.

On pourrait toutefois souhaiter qu'elle reste un complément aux autres formes de "communication", une sorte d'antichambre (pour reprendre une expression du Pape) incitant les gens à approfondir les sujets que, dans le meilleur des cas, elle effleure: sinon, on court le risque de perdre toute capacité de réflexion, processus irréversible dont les générations futures seront les victimes.

C'est pourquoi comme le dit le Père Antonio Spadaro, jésuite italien, directeur de la revue La Civiltà Cattolica (dont Sandro Magister dit qu'aucun article n'en sort sans l'aval de la Secrétairerie d'Etat), et rédacteur d'un blogue intitulé Cyber Teologia, la présence du Pape sur Twitter est très importante, par le rôle d'exemplarité qu'elle va assumer:

La présence du Pape sur Twitter peut donc avoir un effet secondaire, mais très important: rappeler à Twitter sa «vocation» la plus haute: une communication qui fasse de la briéveté un synonyme de densité et d'efficacité.

Car par la concision de sa pensée, Benoît XVI, nous dit Bruno Mastroianni, est un "twitter né":

Chaque discours de Ratzinger, chaque homélie, message, encyclique, intervention, est constellé de tweets très efficaces. C'est l'intelligence d'un homme de vraie foi, mais aussi la vraie foi d'un homme intelligent.
Le compte Twitter du Pape est donc bienvenu: en cette ère pleine d'espaces de communication, nous avons besoin de ses mots précis qui nous parlent de l'essentiel. (1)

Ce premier "tweet" est-il une simple anecdote?
Rentrera-t-il un jour dans l'histoire, comme l'inauguration de Radio Vatican par Pie XI en 1931?

     

Pourquoi le Pape ouvre-t-il son propre compte Twitter?
Père Antonio Spadaro, SJ
29 novembre 2012
http://www.cyberteologia.it
Ma traduction.
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Le 3 Décembre, Benoît XVI ouvre son compte Twitter. Pourquoi? Quel sens cela a-t-il? Est-ce seulement l'expression d'un désir de «modernité», ou bien y a-t-il bien plus?

Aujourd'hui, les messages de sens ne peut pas être simplement transmis, ils doivent être partagés. Tel est le sens de la communication d'aujourd'hui, à l'heure des réseaux sociaux. L'Eglise le sait depuis longtemps, depuis ses origines: c'est le «témoignage», la forme privilégiée de la «transmission» de la foi. Les messages de sens, aujourd'hui, passent par les réseaux sociaux qui sont les authentiques «slieux de sens» où les gens partagent leur vie, leurs désirs les meilleurs, et les pires, les questions et les réponses ... La preuve en est que désormais de nombreux leaders religieux sont sur Twitter. Et la liste des évêques et des cardinaux qui ont un compte Twitter est longue et importante.

Il est donc normal que le Pape ait un compte qui fasse référence à lui. Au fond, le 3 Décembre 2012 se relie idéalement au 12 Février 1931, quand Pie XI lança son premier message à la radio. Déjà à cette époque Pie XI avait parlé d'une technologie mise au service des relations, et non de la simple propagande. Et un message envoyé via Twitter peut être retwitté, commenté ... il entre dans une cercle de relations, de partage, de réflexion ..

Mais à bien lire le message du Pape pour la 46e Journée mondiale des communications sociales, on remarque un passage clé: «Il faut considérer avec intérêt les diverses formes de sites, d'applications et de réseaux sociaux qui peuvent aider l'homme d'aujourd'hui à vivre des moments de réflexion et d’interrogation authentique, mais qui peuvent aussi l’aider à trouver des espaces de silence, des occasions de prière, de méditation ou de partage de la Parole de Dieu». Sans citer aucune plate-forme ou application particulière, le Pape poursuivait en disant que «Dans la substance de brefs messages, souvent pas plus longs qu'un verset biblique, on peut exprimer des pensées profondes à condition que personne ne néglige le soin de cultiver sa propre intériorité». Comment ne pas penser à Twitter ?

Voici la question: comment être concis, sans tomber dans le minimalisme pur lorsque l'on communique? Certes, il est nécessaire de saisir l'essentiel, et de le dire avec des mots précis.

Dans cette perpective, on peut considérer, par exemple, les antiennes des psaumes comme des condensés essentiels de contenu profond que, parfois, même de longs traités ne parviennent pas à épuiser. Il en est de même des litanies et des oraisons jaculatoires qui depuis toujours accompagnnt la prière des croyants. Pensons aux initiatives qui périodiquement prennent un verset évangélique pour concentrer l'attention des chrétien s sur l'ensemble de l'Évangile, mais à partir d'un point spécifique.

«Ce n'est pas le fait de savoir beaucoup qui rassasie et satisfait l'âme, mais de sentir et savourer les choses intérieurement», écrit saint Ignace de Loyola dans ses Exercices spirituels (n. 2). Et c'est le même saint qui invite à une prière capable de «contempler le sens de chaque mot de la prière »(n ° 249)

La tradition spirituelle chrétienne indique donc un chemin pour que la communication via Twitter ne se vide pas en une sorte d'appauvrissement de la complexité humaine. Ce chemin est de combiner sagesse et précision, par lesquelles l'expression synthétique ne se fait pas au détriment de la profondeur et de la lenteur de l'assimilation, mais fournit au contraire l'impulsion pour une méditation plus affûtés, plus dense.

La présence du Pape sur Twitter peut donc avoir un ffet secondaire, mais très important: rappeler à Twitter sa «vocation» la plus haute: une communication qui fasse de la briéveté un synonyme de densité et d'efficacité.

     

Note

(1) Le Pape est un précurseur de Twitter, http://brunomastroianni.blogspot.it/