C'est quoi, un vaticaniste? (II)

Le doyen des vaticanistes, Benny Lai, raconte l'époque héroïque. (10/11/2012)

>>> cf.
C'est quoi, un vaticaniste? (I)

On ne peut retenir un petit frisson de nostalgie.
C'était l'époque où les choses se faisaient "à la bonne franquette", de façon informelle, et où un journaliste pouvait atterrir au Vatican "comme ça", en passant.
Le piston était sans doute roi (encore plus que maintenant, peut-être) et les journalistes faisaient leur formation sur le tas.
Aujourd'hui, tout a été "normalisé". Les journalistes sont formés dans des écoles spécialisées, et ils restent souvent sur leur acquis. Il serait d'ailleurs plus juste de dire qu'ils sont formatés. Leur culture n'y a pas gagné, et la course au scoop a trop souvent (pas toujours, fort heureusement, il subsiste une aristocratie de la profession) remplacé l'information sérieuse, au mépris de la déontologie.
Article en italien:www.korazym.org
Ma traduction.

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«Quand on nous a chassés du Vatican».
Le doyen des Vaticanistes, Benny Lai, raconte sa Salle de presse.

Andrea Gagliarducci
8 Novembre 2012

(ci-contre: la carte d'accréditation de Benny Lai)
«Nous étions la Via del Pellegrino, dans les locaux de l'Osservatore Romano. Mais ensuite arriva Paul VI. Il vint nous rendre visite à nous, les journalistes, dans le local qui faisait fonction de salle de presse. C'est moi, comme le plus ancien des vaticanistes, qui lui adressai le salut initial. Et lui, il avait ces yeux qui tout d'un coup s'ouvraient en vous regardant. Il avait décidé qu'il leur fallait un espace plus grand. Nous avons déménagé aux Propylées (ndt: selon wikipedia, un propylée est à l'origine un vestibule conduisant à un sanctuaire. Aujourd'hui on l'emploie au pluriel, il désigne un accès monumental. C'est la porte d'entrée d'un sanctuaire, la séparation entre un lieu profane (la cité) et un monde divin (le sanctuaire)), là où est actuellement la Salle de presse.
C'est comme cela que Paul VI chassa les journalistes du Vatican».

La première carte d'accréditation de Benny Lai à la Salle de presse du Vatican remonte à 1952 (elle porte le n°63, établie le 15 Mars 1962), et porte la signature de Giovan Battista Montini, Substitut à la Secrétairerie d'État. Elle s'appelait alors «salle de presse de l'Osservatore Romano». Tandis que la Salle de presse du Vatican fête ses 50 ans, il en compte 60 comme Vaticaniste. Et c'est une mémoire historique vivante.

«La salle réservée à la presse de l'Osservatore Romano existait avant la guerre. C'est Mgr Pucci qui s'en occupait, et il n'y avait que trois correspondants, parmi lesquels Guido Bartoloni et Giacomo Pucci, le neveu du monsignore. Nous l'appelions la «bande à Pucci». Après la guerre, je me suis retrouvé moi aussi à faire partie de ce petit groupe de journalistes couvrant le Vatican.
En réalité, je n'y avais même pas pensé, à faire le Vatican. Je m'occupais de politique, de franc-maçonnerie! J'avais approché Raoul Palermi, le chef de la franc-maçonnerie italienne qui avait été chassé par Mussolini. Et cela m'avait permis de faire de nombreux articles, d'avoir une notoriété. Federico Alessandrini m'a demandé si je voulais m'occuper du Vatican pour la Gazzetta del Popolo. Et ça consiste en quoi, le Vatican? - ai-je dit . Moi, maintenant, je pars à Panorama, le nouvel hebdomadaire qui va être publié. Je voulais continuer à m'occuper de politique, je suis inscrit à l'Association de la Presse parlementaire. Mais je romps avec Mondadori (ndt: l'éditeur de Panorama). Et j'ai de toutes façons besoin de travailler. Je vais donc chez Alessandrini et je lui dis: «Si vous avez encore l'intention de parler du Vatican, je suis là». Lui, il en parle avec la Secrétairerie d'État, et il m'envoie chez le Substitut pour l'accréditation. A l'époque, le substitut de la Secrétairerie d'Etat ne disposait pas de toutes les attributions qu'il a aujourd'hui. C'est ainsi que je me retrouvai devant Montini. Et il me regarde, m'écoute, et tandis qu'il m'écoute, il ouvre ces yeux. Il avait ces yeux qui s'ouvraient tout doucement pendant qu'il te parlait. Après quoi, il m'a signé l'accréditation. Et je me retrouvai dans le cercle restreint des premiers vaticanistes».

Dans cette salle au premier étage de la Via del Pellegrino, aujourd'hui, il y a certaines parties de l'Osservatore Romano. En face, les journalistes avaient une boulangerie. Maintenant, il y a l'arrière de l'Annona, le supermarché du Vatican. On est en 1952, et les vaticanistes - ils ne sont pas encore appelés ainsi - sont cinq: Giacomo Pucci s'occupe de l'Associated Press, Guido Bartoloni écrit pour l'Ansa et Agi (chose exceptionnelle, car il s'agit de deux agences concurrentes), et ensuite pour France Presse et une agence américaine; et puis il y a Silvio Negro et, bien sûr, Benny Lai.

«Chaque matin, nous entrions au Vatican, et nous allions à notre bureau Via del Pellegrino - raconte-t-il -, il n'y avait pas de barrières, notre accréditation nous permettait de nous déplacer librement sur tout le territoire du Vatican. Nous allions rendre visite à nos amis monsignori chez eux, et à leurs bureaux. A midi tapante arrivait le Comte (Dalla Torre, directeur historique de l'Osservatore Romano, ndlr), qui regardait par la fenêtre pour vérifier l'heure sur la grande horloge que nous avions dans la pièce».

Où prenaient-ils leurs informations, les journalistes d'alors?
«Il y avait l'Osservatore Romano, dont nous reprenions les nouvelles du Vatican, les discours. Par ailleurs, le bureau de presse était lié à l'Osservatore Romano, pour ne pas impliquer une responsabilité du Vatican. Et puis, nous pouvions assister aux audiences, nous recueillions des nouvelles. Les commérages étaient rares, on les utilisait principalement pour la couleur, mais pas trop. Ce que nous voulions étaient des faits. Et nous étions bien payés pour les nouvelles. Il y avait un désir de comprendre le Vatican, il y avait un espace presque réservé dans les journaux».

Puis vient Jean XXIII. «Le Pape - se souvient Benny Lai - voulaient se déplacer partout dans le Vatican, tout connaître. Et quand le Pape passait, on nous enfermait dans notre salle, et nous pouvions voir le pape de la fenêtre, mais nous ne pouvions pas sortir. Puis arrive le Concile, les journalistes accrédités deviennent beaucoup plus nombreux. Le Bureau de la presse de l'Etat de la Cité du Vatican devient Bureau du service de presse de la Commission pontificale centrale préparatoire du Concile Vatican II. Ce qui change aussi la façon dont nous travaillons. Le Père Roberto Tucci tenait tous les jours une sorte de briefing, où il résumait les questions qui avaient été discutées lors du Concile. De nouveaux vaticanistes, plus jeunes, ont commencé à arriver. Pour moi, notre travail était d'être vaticanistes - avant le terme n'existait pas - et je soutenais que nous étions des correspondants à l'étranger».

La santé du Pape Jean XXIII empire. «Luciano Casimirri, qui dirigeait le bureau de presse - se souvient Benny Lai - venait sans cesse nous informer sur l'état de santé du pape. Un bulletin médical continuel, qui nous exténuait. A la nouvelle de sa mort, nous nous sommes sentis comme libérés» .
Et arrive Paul VI. «Je n'avais pas revu Paul VI depuis l'époque où il m'avait signé ma première accréditation. Il est venu nous trouver au bureau d'information. Puis, sous prétexte qu'ils avaient besoin de plus d'espace, il a transféré la salle de presse au bout de la Via della Conciliazione, à l'extérieur des murs du Vatican. Notre permis ne nous permettait plus une mobilité totale au sein du Vatican. Notre façon de travailler a changé. Nos amis monsignori, désormais, on les voyait à l'extérieur, au bar. La vérité est que Paul VI a voulu mettre journalistes hors du Vatican».

Le travail tout entier des vaticanistes commence à changer. «Après le Concile - se rappelle Benny Lai - on a fait une véritable Salle de presse du Saint-Siège, avec pour directeur Mgr Angelo Fausto Vallainc, qui avait déjà dirigé le bureau de presse du Concile. En plus de l'information générale, tout le monde essayait de comprendre, et de raconter comme il pouvait, le monde de l'Église, un monde qui changeait. J'avais accès aux nouvelles les plus cachées. J'avais rencontré par hasard à Rome le le Père Damaso, le confesseur du cardinal Giuseppe Siri (ndt: Le cardinal Siri 1906-1989, était considéré comme le candidat naturel des "conservateurs" lors des conclaves de 1958 et 1963. Il était encore un des principaux papables en août et en octobre 1978 lors des conclaves qui suivirent la mort de Paul VI puis celle de Jean-Paul Ier, wikipedia). Il m’a présenté à Siri. Et Siri s'ouvrait totalement à moi». Benny Lai s'interrompt, va à l'ordinateur, fait entendre un enregistrement. «C'est comme cela que le cardinal parlait avec moi». Et on entend la voix de Siri, nette, claire, expliquant avec précision comment «il y en a qui étudient pour devenir Pape. C'est une école qui se fait avant. Cela dépend de la fonction, de la chance d'avoir un emploi adapté à ses capacités, de la fidélité que l'on témoigne à l'égard de cette position».
«J'ai eu la chance - dit Benny Lai - d'avoir eu non seulement Siri, mais aussi d'autres confidents qui parlaient ainsi, de manière nette et précise. J'ai recueilli leurs paroles, puis je l'ai raconté dans mes articles, sans jamais trahir une source, une amitié, une fréquentation. C'est pourquoi mes informations était exactes, claires. Aujourd'hui, le métier de vaticaniste tel que je le faisais n'existe plus».
Il le dit avec une pointe de mélancolie, Benny Lai. Qui note ensuite une différence nette dans la communication du Vatican quand Jean-Paul II a été élu pape: «Avant - raconte-t-il - j'avais une relation directe avec les secrétaires des Papes. Je parle encore avec Mgr Capovilla, secrétaire de Jean XXIII, qui est mon ami. Mais avec le secrétaire de Jean-Paul II, Stanislaw Dziwisz, personne ne pouvait avoir de relation, sinon quelques très rares personnes. Un autre style de communication avait commencé. Le Pape était ouvert au monde, il savait communiquer. Mais tout ce qui était autour de lui était impénétrable».

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Note
Ceux qui veulent en savoir plus pourront lire cette autre interview de Benny Lai, en mai 2012 (en italien): www.rivistastudio.com
Il a écrit plusieurs ouvrages, dont l'un (Les secrets du Vatican) a été traduit en français: www.amazon.fr