Dernière rencontre

L'étreinte du Cardinal Martini à Benoît XVI (video), commentée sur l'Avvenire par Marina Corradi (7/9/2012)

Il attend le pape debout pour une étreinte qui renferme une vie de fidélité à l'Eglise (??)...
C'est comme si le cardinal Carlo Maria Martini, serrant fort Benoît XVI, embrassait l'humanité toute entière
(commentaire du TG)
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J'avais évoqué, assez brièvement car la séquence est courte, (cf. Des images d'une rencontre) le reportage video de la dernière rencontre entre Benoît XVI et le Cardinal Martini, en juin dernier, à Milan.
Sur l'Avvenire du 5 septembre, Marina Corradi commente longuement le geste, dans un texte que l'on peut trouver par moment emphatique (et même, peut-être, indiscret), mais qui est finalement très inspiré et très émouvant.
Ce qui me gêne un tout petit peu, c'est la symétrie établie par l'auteur entre les deux "vieux".
La comparaison, au moins physique, entre les deux "compétiteurs" du précédent conclave, l'un qui, assisté par la grâce divine, accomplit encore avec une énergie incroyable son devoir à la tête de l'Eglise (il va le prouver encore une fois au Liban), l'autre, à l'époque à la dernière extrémité, ne laisse pourtant aucun doute. C'est le cardinal qui "réclame"; et quant au geste très chaleureux du saint-Père, il n'y a que ceux qui ne le connaissent pas, ou qui ont voulu le faire passer aux yeux de l'opinion comme une sorte de Savonarole, qui peuvent le trouver surprenant.
Sans aller aussi loin que Marina Corradi, on peut imaginer l'émotion qui étreint deux personnes très âgées, qui se connaissent depuis très longtemps, qui sont liées par de nombreux souvenirs communs (pas forcément d'amitié), et même vieux adversaires, et qui savent qu'elle se rencontrent pour la dernière fois sur cette terre. On peut aussi interpréter le geste du saint-Père comme une assurance "Rassure-toi, je ne t'en veux pas".
Evidemment, tout cela n'est que conjectures.

 

Ces mains de frères

Des images qui disent tout
http://www.avvenire.it
Marina Corradi
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Il s'agit d'une vidéo filmée avec un téléphone portable. Elle dure une poignée de secondes. Elle remonte à Juin, quand Benoît XVI est venu à Milan, et loin des caméras, a rencontré pour la dernière fois le cardinal Martini. La vidéo est passée au journal télévisé. Cela vaut la peine d'aller la voir.
Ainsi, dans une pièce de l'archevêché de Milan, Carlo Maria Martini attend le pape; il s'est levé pour le saluer, un effort qui à dû lui donner beaucoup de mal. Le Pape arrive. Martini allonge la main droite pour prendre celle de Benoît.
Mais celui-ci va à sa rencontre avec élan, montrant la chaleur avec laquelle on étreint un ami que l'on n'a pas vu depuis un certain temps. Plutôt que de simplement prendre la main du cardinal, Benoît lève la sienne pour le saisir par les épaules, et l'attirer à lui. Le visage élégant de Martini - alors même que la souffrance l'a décomposé et rendu différent de celui dont nous nous souvenons - se penche sur celui du Pape. Là, on ne voit pas clairement: Martini l'embrasse-t-il sur la joue, ou lui chuchote-t-il quelque chose?

Mais ce qui est beau à observer, c'est le jeu silencieux des mains. La droite de Benoît qui saisit l'épaule du cardinal et l'attire à lui avec chaleur. La main de Martini qui d'abord semble simplement rendre un geste d'affection, mais ensuite, quand elle se pose sur le bras du Pape contracte ses longs doigts élégants pour le serrer avec force. L'auteur de la vidéo a eu le réflexe de faire un zoom sur cette main, et montre ainsi comment, en l'espace d'une seconde, le geste formel est devenu vrai, et presque dramatique. C'est l'étreinte qu'un homme qui sombre dans un mal incurable peut donner à un être cher, comment pour s'y s'accrocher, comme pour dire: Reste avec moi.

J'ai regardé encore et encore, la faisant même passer au ralenti, ce geste. Il y a, en dix secondes, quelque chose qui contredit ce que, depuis des jours, nous entendons répéter: Martini le rival, Martini l'antipape, Martini le symbole d'une Eglise «moderne» et bonne, contre celle, obscurantiste, de Rome. Bien sûr, il y a eu au fil des ans des désaccords, des divergences d'opinion, et même des tensions.

Mais regardez-les, ces deux-là, vieux exactement des mêmes années (Martini en Février 1927, Ratzinger en Avril), à l'instant où ils se rencontrent.
Peut-être Martini ne s'attendait-il pas au mouvement spontané du Pape? Mais c'est comme si, dans le geste d'un instant, beaucoup de choses avaient été dites et faites. Et justement la force de l'étreinte de Benoît XVI semble engendrer un changement imperceptible dans la main de Martini. Un instant avant, cela pouvait être un simple geste affectueux, mais formel; un instant plus tard, la main du Cardinal malade s'agrippe au Pape, comme un homme qui se noie s'accroche à un rocher.

Et il est remarquable de voir comment les quelques secondes d'une courte vidéo racontent, sur la relation entre le Le pape et l'archevêque émérite de Milan, une autre histoire. Parce que même s'il y avait une vraie division entre les deux, regardez-les, maintenant; tout, dans le langage des gestes, parlent d'une rencontre plus grande. D'une vérité et d'une bienveillance plus magnanime que ce qu'imaginent les paroles des journaux.

Mais qu'est-ce donc qui permet une semblable étreinte, quand, passé quatre-ving anst, deux hommes se retrouvent face à face, connaissant bien les passions et les limites de chacun? Il ne suffit pas d'une vague générosité, d'un angélisme qui ferme les yeux sur les incompréhensions. Il y a quelque chose de plus dans cet «embrasser l'autre» , «s'accrocher à l'autre». Il y a la reconnaissance mutuelle, dans le visage de l'autre, d'un témoin. Se retrouver, à 85 ans, vieux frères, et chercheurs du même trésor. Il y a le Christ dans cette étreinte, dans le jeu de ces mains marquées par le temps.

Et c'est cela - au-delà de tous ses péchés - l'Église: le Christ porté parmi les hommes avec son pauvre visage, vase d'argile rempli mystérieusement d'or. C'est cela - avec tous ses péchés - l'Eglise. Dont l'essence échappe étrangement aux plus perspicaces des enquêteurs de Vatileaks. Il y a autre chose, dans l'Eglise, qui n'est pas mesurable dans les termes avec lesquels on pèse un parti, une idéologie ou une multinationale.
Regardez-les ces deux vieux, et comment Martini semble s'accrocher à Benoît. Il y a un Autre derrière lui, témoin et garant: d'un amour qui est incompréhensible humainement, qui dure toujours, qui ne trahit pas, qui obstinément pardonne.