Deux fils d'une même trame

Ce dimanche 21 octobre, pour marquer le début de l'année de la foi, le pape canonisera sept nouveaux saints (cf. Un intense mois d'octobre pour Benoît XVI ): parmi eux, un français, Jacques Berthieu (*). Et une espagnole, Marie-Carmen Salles y Barengueras, fondatrice de la Congrégation des Sœurs de l'Immaculée (+1911) béatifiée en 1998 par Jean-Paul II. JL Restàn consacre son dernier billet à l'évènement. Traduction de Carlota (19/10/2012)

>>> Texte en espagnol: http://www.religionenlibertad.com

Deux Carmen sur les autels : à l’occasion de la canonisation dimanche prochain de Carmen Sallés, José Luis Restán nous rappelle deux magnifiques destinées humaines qui en disent bien plus que les harangues idéologiques des tribuns et des manipulateurs de l’histoire de l’Espagne. Une nouvelle très belle façon de s’immuniser contre les mensonges même proférés au plus haut niveau…et rarement pour le bien commun.
(Carlota)

     

Deux fils (deux brins) d’une même trame
José Luis Restán
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Elles sont nées à 14 ans de différence dans le XIXème siècle tourmenté espagnol. Toutes deux se prénommaient Carmen (*). La première, du nom de González, andalouse de la précieuse ville d’Antequera, en 1834. La seconde, du nom de Sallés, catalane pure souche, née à Vic en 1848. L’Espagne était arrivée au tournant de son histoire après la guerre fatidique contre Napoléon. L’anticléricalisme augmentait parmi les élites intellectuelles et se cherchait, presque à tâtons, une modernité en même temps désirée et rejetée.
Le pays commençait à expérimenter des fractures profondes : des libéraux face aux conservateurs, des libres penseurs face aux catholiques. Le malaise commençait à germer dans quelques régions, une espèce de malaise à l’intérieur du foyer commun, partagé durant des siècles.

Le peuple continue à être « chrétien » et se maintient à l’écart des grands débats culturels. Mais l’usure est déjà visible. Les problèmes sociaux augmentent, et une foi souvent réduite à l’habitude paraît incapable d’éclairer et de donner des réponses. Dans ce champ hostile et lourd, d’innombrables graines grandissent néanmoins. Nos protagonistes incarnent deux d’entre elles, qui arrivent jusqu’à nos jours.

Carmen González reste veuve à 47 ans dans son Antequera natal. Elle brûle du désir « d’enseigner aux âmes à connaître et aimer Dieu ». Elle ouvre sa propre maison à une petite école où elle reçoit des enfants manquant de ressources, sans formation humaine ni chrétienne. Et là commence l’aventure. Très vite d’autres jeunes filles du village la rejoignent attirées par la force de sa foi. C’est le germe des Franciscaines des Cœurs Sacrés de Jésus et de Marie. Cinq ans plus tard les oiseaux partent de leur nid et la Mère Carmen quitte sa très chère Andalousie. D’abord à Valladolid la communauté prend en charge l’Hôpital de Saint Michel à la demande de la municipalité. Et l’année suivante elles arrivent en Catalogne en pleine ébullition industrielle. On les demande pour donner la classe aux enfants des paysans et des ouvriers, respectivement à Tiana et Mataró (ndt villes de la côté, au nord de Barcelone à respectivement 20 et 40 km environ). Ensuite est ouvert un dispensaire à Barcelone pour soigner les enfants malades des ouvriers. Jusqu’à cinq communautés se seront établies en Catalogne durant la vie de la Mère Carmen, qui a été béatifiée en 2007.

Et si l’on observe cette péripétie, elle est bien singulière. Une Andalouse pas spécialement portée sur l’enseignement et déjà d’un âge bien mûr pour l’époque, affronte la tâche inattendue de fonder une communauté dans une région éloignée d’elle par le tempérament et la géographie. Loin de se sentir une étrangère, elle travaille et construit sur des fondations solides. Nous nous rappelons tous la présence de Benoit XVI à l’œuvre de l’Enfant Jésus de Barcelone (cf. benoit-et-moi.fr/2010-III), qui s’occupe de handicapés physiques et mentaux. Les courageuses religieuses que nous avons pu y voir sont filles de cette souche transplantée de la ville d’Antequera (province de Malaga – Andalousie), qui a planté des racines profondes dans les terres de Catalogne jusqu’à aujourd’hui.

Peut-être que leurs chemins, même physiquement, se sont croisés. Carmen Sallés, qui sera canonisée dimanche prochain par Benoît XVI a forgé sa personnalité dans la Catalogne profonde et pieuse d’une robuste tradition chrétienne et d’un grand élan créateur. Inquiète de caractère et avec un esprit particulièrement ouvert, elle essaie beaucoup de chemins. Elle anticipe l’époque à venir en favorisant une formation complète des femmes de son environnement pour faciliter leur véritable rôle propre dans la société et dans l’Église. Son modèle est la Sainte Vierge de l’Immaculée Conception dans laquelle elle identifie le génie féminin qui doit surgir à l’intérieur de chaque femme. Alors qu’elle a déjà 44 ans se profile l’idée qui avait germé peu à peu dans son esprit, d’une nouvelle fondation, les Sœurs de l’Immaculée Conception, missionnaires de l’Enseignement (ndt voir ici http://www.concepcionistas.com ). Mais curieusement elle sera approuvée et fera ses premiers pas loin de sa Catalogne natale, à Burgos, capitale de la Castille. Entre 1892 et 1907, elle ouvrira onze collèges, des écoles du dimanche pour adultes et des résidences pour les femmes. Catalane jusqu’au bout des ongles, elle a du commencer à semer sur d’autres d’Espagne.

Alors que la Mère González montait vers le nord-est avec ses fondations, la Mère Sallés descendait vers le centre et le sud de la péninsule. En peu d’années les Sœurs de l’Immaculée Conception de l’Enseignement et les Franciscaines des Cœurs Sacrés de Jésus et de Marie, s’étaient installées dans différentes régions espagnoles et très vite avaient franchi l’Atlantique pour poursuivre leur œuvres dans les pays d’Amérique. Deux histoires entrelacées qui parlent mieux que beaucoup de discours sur ce qu’a été la genèse quotidienne du vivre ensemble en Espagne, son souffle profond et sa vocation universelle.

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(*) Ndt Carmen : Leur sainte patronne est donc la Sainte Vierge du Carmel qui se fête le 16 juillet. Elle est aussi la patronne de la Mer et de la Marine de Guerre espagnole, et de bien d’autres formations équivalentes en Ibéro-Amérique. Pour l’anecdote, elle fut aussi choisie comme patronne par l’Armée des Andes sous les ordres du général San Martín à tête des mouvements indépendantistes contre la Mère Patrie, en Argentine, Chili et Pérou dans le première quart du XIXème siècle.

Note additive

(*) Parmi les nouveaux saints, il y a aussi un français, le Père Jacques Berthieu
Pour respecter la tradition, dit le Monde, le ministre de l'intérieur, Manuel Valls, assistera à la canonisation...

Jacques Berthieu, né le 27 novembre 1838 à Polminhac, Cantal, et mort (fusillé) le 8 juin 1896 à Ambiatibé (Madagascar), était un prêtre jésuite français, missionnaire au Madagascar. Mort pour la foi chrétienne lors de la rébellion Menalamba de 1896 il fut le premier bienheureux et martyr malgache (wikipedia)