Quelles valeurs communes?

Dialogue avec les musulmans: après le discours d'Obama aux Nations Unies, ce mardi, une analyse comparative des voies qu'il propose avec celles que le Saint-Père a encore indiquées lors de son voyage au Liban, par Massimo Introvigne. (27/9/2012)

Image ci-contre: Benoît XVI à la tribune de l'ONU, 18 avril 2008

Lu sur Internet (http://www.rts.ch):

Barack Obama tient un discours rassembleur devant l'ONU
Le président américain Barack Obama a axé mardi son discours devant l'Assemblée générale de l'ONU sur le monde arabo-musulman, avec comme lignes de force l'Iran, la Syrie, l'attaque de Benghazi et le Printemps arabe.
(25.9.2012)

Ceux qui sont intéressés peuvent éventuellement écouter l'intégralité du discours, en traduction simultanée, sur le site de TF1 (http://www.wat.tv/video).

Avant de lire le commentaire de Massimo Introvigne (interviewé sur Il Sussidiario) il sera bon de se rappeler qu'en juin 2009, très peu de temps après le voyage de Benoît XVI en Terre Sainte, Barack Obama avait prononcé au Caire un discours soi-disant mémorable, où certains (un peu hâtivement) avaient cru reconnaître des accents ratzingériens.
Voir à ce sujet:
¤ OBAMA ET LE PAPE: DEUX DISCOURS (benoit-et-moi.fr/2009-II)
¤ DEUX RÉACTIONS AU DISCOURS D'OBAMA (John Allen et le Père Samir) (benoit-et-moi.fr/2009-II)

Dans cette analyse, Massimo Introvigne rappelle que le discours d'Obama (en plus de sa superficialité, et des limites inhérentes au genre, càd le discours public d'un président des Etats-Unis) a un gros défaut par rapport à celui du Pape: le dialogue avec l'islam ne peut se fonder que sur ces valeurs communes, qui ne viennent pas des religions, mais de la raison de l'homme, et qui sont fondées sur la loi naturelle. Or, Obama, et les gens qui le conseillent, ne croient pas en la loi naturelle. Et donc, son argumentation "est purement romantique et sentimentale, elle n'aura aucune conséquence pratique".
L'autre aspect très intéressant du commentaire de Massimo Introvigne, c'est l'insuffisance de la grille que l'on utilise habituellement pour "lire" le fait musulman. Tant celle, irréaliste selon laquelle "les musulmans sont bons et animés du désir de paix, à part une poignée de fanatiques" (c'est un peu ce que disait le cardinal Tauran, cf. Le Pape au Liban:Une feuille de route pour la paix ) que celle qui prétend que tous les musulmans sont prêts à lancer des bombes. "Au milieu, il y a la nécessité de comprendre plus d'un milliard de personnes avec une variété de facteurs historiques, locaux, et ainsi de suite".

J'ajoute: comme les propos d'Obama donnent le "la" du politiquement correct aux medias de l'ensemble de l'Occident, ce qui est dit ici a une portée bien plus large que le simple discours du président d'un pays, fût-il le plus puissant du monde.

Texte en italien: http://www.ilsussidiario.net
Ma traduction.

OBAMA ET L'ISLAM / Massimo Introvigne: que le président américain apprenne du Pape ce qu'est le dialogue ..
Introvigne
Mercredi 26 Septembre 2012
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Barack Obama a prononcé son derniers discours aux Nations Unies en tant que président des États-Unis - s'il n'est pas réélu, bien sûr.
A cette occasion, il a abordé les thèmes brûlants de ces dernières semaines, en commençant par la haine qui s'est manifestée dans les attaques contre les ambassades occidentales, et il a demandé quand l'on en comprendrait enfin les raisons, faute de quoi Occident et Islam pourraient être emportés.
Il a ensuite parlé d '«attaque aux valeurs communes» par cette haine islamique fondamentaliste, une phrase qui a suscité les interprétations les plus diverses. Valeurs communes des Nations Unies, valeurs comunes de l'Occident? ou des États-Unis?
Contacté par llsussidiario.net, Massimo Introvigne confirme ce manque de clarté de l'expression, mais tient à préciser ce qu'est la notion de valeurs communes pour le président américain.

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- Obama souligne l'attaque en cours par l'Islam contre les valeurs communes. Qu'en pensez-vous?
- En fait, j'ai lu plusieurs agences américaines à propos de ce que le président des États-Unis a dit, certaines agences parlent de valeurs idéales, d'autres idéaux, d'autres encore d'idéaux des États-Unis. Mais je voudrais développer cet argument en deux étapes.

- Dites-nous.
- La première est que sans aucun doute il existe des valeurs communes à l'islam, au christianisme et au bouddhisme, et même à l'athéisme, et ce sont ces valeurs auxquelles l'homme peut arriver sur la base de la raison humaine.

- La raison humaine commune à tous les hommes?
- Oui, la raison humaine est commune, elle n'est ni athée ni bouddhiste, ni catholique ou musulmane.
La deuxième étape est que cette doctrine, selon laquelle il existe des valeurs dans la nature même de l'homme, que la raison peut reconnaître, est précisément la doctrine de la loi naturelle ou du droit naturel. C'est ce que le Pape nous rappelle constamment, par exemple là, au Liban, s'adressant aux musulmans. Mais cette idée de loi naturelle est quelque chose qu'Obama et son parti nient habituellement sur des sujets comme le mariage homosexuel ou l'avortement ou la famille.

- Donc ces valeurs communes existent ou non?
- La réponse est oui, il y a des valeurs communes, cependant nous ne les trouverons jamais sur la base de la religion mais sur la base de la raison. Pour identifier ces valeurs communes, nous avons besoin d'une notion claire de loi naturelle et, malheureusement, Obama et ses conseillers ne croient pas à la loi naturelle. Superciellement, il peut sembler qu'à la fois le pape et Barack Obama font référence à des valeurs communes pour les chrétiens et les musulmans, qui disent la même chose.

- Au lieu de cela, que dit le Pape?
- Le pape précise en revanche que ces valeurs ne dérivent pas d'un hypothétique fond des religions, mais de la raison humaine.

- Une différence importante.
- C'est la notion de droit naturel que le Pape a rappelé au Liban et qu'il a déjà eu l'occasion de dire en d'autres occasions. Dès lors qu'Obama ne croit cependant pas en la loi naturelle, contrairement au pape, son évocation est purement romantique et sentimentale, elle n'aura aucune conséquence pratique.

- Obama a également déclaré qu'il est nécessaire de comprendre les raisons de la haine islamique.Commme on a de plus en plus tendance, et Obama l'a dit aussi, à parler de minorité intégriste, selon vous, qu'est-ce que l'islam, réellement?
- Il est clair qu'il faut des analyses beaucoup plus sophistiquées que celles que le président des États-Unis peut faire lors d'un discours public. Sur ce point, je ne lui jette pas la pierre. Il y a des problèmes ("noeuds") inhérents à la relation entre la foi et la raison qui représentent des problèmes non résolus dans toute l'histoire de l'Islam.

- Quand il en a parlé il y a quelques années, Benoît XVI a été attaqué.
- Ce sont en effet, ces nœuds auxquels le Pape a eu l'occasion de se référer, dans son discours de Ratisbonne en 2006. Après, bien sûr, les musulmans ne sont pas tous des fondamentalistes et donc il faut une analyse des différentes âmes de l'Islam, pour mettre en évidence la spécificité de l'âme fondamentaliste, qui a un rejet particulier de l'Occident. En outre, il faut dire que tous les fondamentalistes ne sont pas des terroristes. On parle de quelque chose comme 150 millions de personnes et ce ne sont pas 150 millions de terroristes. Il faut donc analyser les différents composantes au sein du fondamentalisme, pour voir quelles sont les spécificités de ce monde que je préfère appeler ultra-fondamentaliste et qui est un terrain de culture pour les terroristes.

- L'analyse que vous faites, on l'entend difficilement de la part de politiciens ou penseurs occidentaux.
- Il faut une analyse plus sophistiquée que celle que nous avons tendance à faire. Il y a des problèmes non résolus entre la foi et la raison, toutefois, ils n'appartiennent pas seulement aux fondamentalistes musulmans, ceux qui ne sont pas fondamentalistes les ont aussi. Il faut des instruments d'études plus sophistiqués que ceux de type irréaliste, du genre: les musulmans sont bons et animés du désir de paix, à part une poignée de fanatiques. C'est une analyse idéologique, dont je peux comprendre la commodité diplomatique, mais c'est une analyse erronée. Analyse tout aussi erronée, celle de l'hostilité selon laquelle tous les musulmans sont des terroristes et lanceront bientôt des bombes. Au milieu, il y a la nécessité de comprendre plus d'un milliard de personnes avec une variété de facteurs historiques, locaux, et ainsi de suite.

- Obama semble être sur cette voie qui n'analyse pas en profondeur la réalité de l'Islam.
- La question est sans aucun doute complexe. Certes, Obama dès le début, avec le discours du Caire, a essayé de donner une image différente de celle de Bush, avec une approche irréaliste des musulmans, un discours idéologique plus ou moins faussement naïf. Dans ce discours, on a relevé une sorte d'harmonie d'accents entre Obama et le pape sur le thème des valeurs communes et sur le thème des religions, en oubliant que ces valeurs ont un sens si elles ont un fondement. Pour le Pape, ce fondement, il l'a toujours affirmé clairement, c'est le concept de loi naturelle. Cette notion est cependant totalement absente du discours d'Obama.