Un thé avec le Pape

Le bouleversant reportage du quotidien Il Sussidiario, sur la visite du pape à la maison "Viva gli anziani" du Janicule, à Rome. (14/11/2012)

Texte en italien: http://www.ilsussidiario.net/
Ma traduction.

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>>> Les photos et videos de l'évènement:
Visite à la maison de retraite de sant'Egidio
Je suis âgé, moi aussi

>>> Video de la RAI: http://www.rai.tv

Ce thé avec Benoît, et la redécouverte que la vie est bonne.
Stefano Maria Paci
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«Eh bien, prendre le thé avec le pape n'est pas quelque chose qui arrive tous les jours, donc je m'excuse si je suis encore un peu excitée et confuse».

Je m'assieds à la table et il y a encore des biscuits, des tasses et une tranche de strudel. Benoît XVI vient à peine de se lever de cette petite table chez la Signora Maria, où il a conversé avec elle et une amie; il a rencontré les autres hôtes de la maison, et il est retourné au Vatican, en disant: «Je sors de cette visite rajeuni». Rajeuni après avoir passé quelque temps dans une maison pour personnes âgées.

Maria a les yeux doux, des cheveux soignés, un sourire tendre de vieille tante. Et la foi. «Je me rends compte maintenant que vous me le demandez, dit-elle, que j'ai à peine laissé parler ce pauvre pape: nous lui avons raconté, moi et mon amie Giovanna, notre vie. Les difficultés que nous rencontrons, celles que nous avons eues. Et le fait que pourtant, la foi accompagne nos jours, et c'est pourquoi il n'y a pas de tristesse. Il a écouté très attentivement, il a mangé un biscuit, et nous a dit qu'il était vraiment heureux d'être ici, que cette visite à la maison de personnes âgées lui apportait beaucoup.»

Un jour quelconque de la semaine, mais il n'y a rien d'ordinaire aujourd'hui dans la maison de retraite du Janicule, 2 Via Nicolò Fabrizi. Les prévisions avaient annoncé de la pluie, dans de nombreuses régions d'Italie c'est une catastrophe, mais dès que le Pape est arrivé, pas une seule goutte. Mais aujourd'hui, le monde est à l'envers: les protagonistes sont ceux que la société ignore, les personnes âgées, souvent un obstacle, non seulement pour les personnes mais aussi pour la politique et les institutions.

Un monde à l'envers: les personnes qui se sont massées pendant des heures à l'extérieur de cette maison, dont de nombreux jeunes, envient ceux qui à l'intérieur, peuvent sans aucune formalité, rencontrer et parler avec le Pape. Et puis, comme il est étrange, ce pontife allemand: il n'a pas la sympathie des mass media, qui le traitent depuis des années commee cela n'est jamais arrivé avec aucun pape à l'époque moderne, mais il est adoré par le monde catholique, qui accoure à ses audiences et à ses Angelus davantage que pour le bien-aimé Jean-Paul II; on dit que Ratzinger n'a pas, même de loin, la capacité communicative de son prédécesseur, mais chaque fois qu'il sort du protocole du Vatican, il étonne et touche les cœurs de ceux qui le rencontrent et le voient. Et c'est ce qui se passe aujourd'hui, au 2, Via Nicola Fabrizi où il n'y a pas un Pape qui rencontre une catégorie, les personnes âgées, mais un vieil homme qui est devenu un papa, qui rencontre d'autres vieux, et c'est un regard de sympathie mutuelle, qu'ils échangent. Un regard humain.

«Je viens parmi vous comme évêque de Rome, mais aussi comme un vieux qui rend une visite à ses pairs», dit-il. Et il rit des plaisanteries, caresse avec amour les plus atteints dans leur santé, parle et écoute leurs histoires, si nombreuses et si différentes, s'émeut parfois. Il passe d'une pièce à l'autre, d'un appartement à l'autre, non pas comme un chef d'Etat qui se penche sur ses sujets, ou comme un chef de gouvernement à la recherche d'un consensus, mais comme un homme proche d'hommes souvent souffrants, dont la vie est devenue peine. Mais qui, de la vie, ont compris beaucoup. Chaque chambre, chaque appartement, une histoire. Une vie racontée, même si elle est beaucoup plus grande, en peu de paroles.

On lui présente Margherita, qui était professeur d'histoire de l'art. Elle a enseigné à quelques-uns des bénévoles qui travaillent ici: «Quand elle s'est trouvée mal, nous l'avons amenée dans cette maison». «Vous avez bien fait», dit Joseph Ratzinger, qui sourit et parle des livres de Caravage qu'il voit sur une étagère, à côté d'autres sur Fra Angelico. Elle veut lui baiser les mains, et on doit la soutenir tandis que, debout, elle se penche sur les mains du pape, sur son anneau qui est le symbole de l'autorité de Pierre. Puis, Benoît XVI change d'appartement, allant chez Vincenzo: «C'est le plus jeune», lui dit-on, «il n'a que 73 ans». «Mais alors, il est tout jeune», plaisante Benoît XVI, «il a bien 15 ans de moins que moi». Mais le pape infaillible sur les autres matières, se trompe sur son âge: lui, des années, il en a «seulement» 85, pas 88.

Autre appartement, on lui présente Vincenzo et Sandro: maçons et goudronneurs qui sont tombés malades et ne pouvaient plus vivre seul, et sont venus ici. «Le Seigneur a été bon pour nous», leur dit le Pape «nous avons dans la vieillesse des amis, pour bien vivre».

Puis on lui présente Felicetta, cheveux blancs et robe de fête: «Cher Pape» lui dit-elle affectueusement en lui serrant la main et en le tutoyant comme un parent que l'on ne voit pas souvent, «que nous sommes heureux de te voir». Et lui, en souriant: «Moi aussi, je suis heureux».

Dans une grande salle, il y a Mario et Anna, qui dans l'institut, s'occupent des repas pour les personnes âgées qui n'ont pas de familles et aussi pour les personnes âgées vivant seules à la maison: «Vous savez, ils sont souvent seuls et tristes, Saint-Père», dit Mario, «mais dimanche sont remplis de joie parce que ... ». Le Pape continue la phrase: «parce qu'ils sont ensemble, et que c'est le jour du Seigneur », dit-il.
Et Mario: «Oui, et surtout, parce qu'ils mangent bien». Ratzinger lève les mains vers le ciel et éclate de rire, il ne s'y attendait pas.

Pierina aide les enfants roms, elle vit à Tor de Cenci, et parle au Pape de l'expulsion: «C'était terrible, même les enfants», dit-elle. «Pauvres enfants» dit le Pape, en baissant la voix, et un rayon de soleil éclaire la partie de sa soutane. Et Pierina: «Je vais continuer à aller les trouver aussi là où ils ont été emmenés». Ratzinger la regarde dans les yeux, heureux: «Bien. Je vous en suis reconnaissant». Tout au long du dialogue, Ratzinger tient serrées entre les siennes les mains de Pierina, comme pour lui dire d'apporter un peu de lui aux enfants Roms. Cheveux blanc, les siens, qui sortent de la calotte blanche et ceux des personnes qu'il rencontre. On est frappés par ces cheveux qui rapprochent le Pape et des personnes privées de tout dans la vie, on est frappés par ces mains.

«Cette rencontre entre le doigt de Dieu et le doigt de l'homme», avait dit Joseph Ratzinger quelques jours auparavant, sous la voûte de la chapelle Sixtine, 500 ans jour pour jour après son inauguration, en levant une main vers le haut, avec un doigt tendu (cf. Lectio sur Michel-Ange) , tout comme était représenté là-haut Adam, tendant sa main à la main de Dieu qui donne vie et sens, «montre avec évidence que le monde n'est pas le produit de l'obscurité, du chaos et de l'absurde, mais résulte d'un acte d'amour: Dieu est en relation avec ses créatures». Et aujourd'hui, voici les mains des protagonistes. Pendant toute la durée de la visite, les mains entrelacées de Benoît XVI et celles des personnes âgées à qui il rend visite. Mains d'un homme qui rencontre des hommes et des femmes, mains d'un pape qui serre la main de ceux que Dieu lui a donnés comme enfants, même s'ils sont plus âgés.

Comme Enrichetta, qui a 91 ans et avait déjà six ans, quand Ratzinger est né dans un pays lointain. Maintenant, leurs chemins se croisent ici, dans une maison du Janicule. Elle le salue au nom de la communauté: «J'ai appris beaucoup de choses de l'amitié avec de nombreux jeunes et moins jeunes, comme d'aider ceux qui sont plus faibles que moi - dit-elle - j'ai appris à défendre la vie, surtout celle des personnes âgées abandonnées par leur famille, allant leur rendre visite dans leurs instituts et luttant avec la Communauté pour eux. Je ne me sens pas inutile. Depuis des années, je ne mange plus beaucoup, mais la prière est ma principale nourriture».

Le pape rencontre Attilia, qui a plus de cent ans. Ratzinger, comme un petit-fils, serre aussi ses mains dans les siennes, puis entre dans la chambre de deux femmes de 90 ans. «Elles ont perdu leurs maris et leurs fils», lui dit-on, «et elles sont venus chez nous». Benoît leur trace sur le front le signe de la croix. On lui présente Maria, qui est née à Sotto il Monte, le pays de Roncalli. «Vous avez connu le pape Jean XXIII, alors», dit Ratzinger. «Oui», répondit Maria, assise sur une chaise et avec les tubes qui lui entrent dans le nez. «Depuis trois ans, elle est sous alimentation assistée», explique une assistante de la maison, «mais elle est heureuse». Et le pape: «Oui, parce qu'il y a vos bonnes mains». Maria hoche la tête.

Entre de bonnes mains, celles de bénévoles - jeunes, d'âge moyen et même personnes âgées - qui aident ces vieux à affronter la vie. A conserver leur dignité, coûte que coûte.

Il y a une famille de Haïti. Avec le tremblement de terre, ils ont tout perdus, y compris toute leur famille, il n'est rien resté. Mais ils ont rencontré des hommes saisis par le Christ, qui les ont saisis à leur tour, et les ont amenés ici, où il y a de bonnes mains.

La maison «Vive les personnes âgées» est belle, joyeuse, des photos sur les murs. Et c'est une maison très spéciale: elle est gérée par la Communauté de Sant'Egidio, un bâtiment avec un beau jardin sur le Janicule, une zone de luxe de Rome. Île heureuse, peut-être, mais les dirigeants de la communauté ont profité de la visite du pape pour parler, chiffres en main, de leur projet: «Il suffirait de 50 centimes par jour par personne», me dit Mario Marazziti, l'un des responsables «pour que chaque aîné de Rome puisse rester à la maison, sans aller dans des instituts ou des hôpitaux. Et si le projet commence dans une région, alors il devient une référence pour tout le monde, parce qu'on voit qu'on peut le faire».

Une maison qui est une tentative, comme beaucoup d'autres réalisées en Italie par le monde catholique, de rester proches de ceux qui en ont le plus besoin...

«Je connais bien les difficultés, les problèmes et les limites de cet âge», dit le Pape, qui ajoute réaliste: «et je sais que ces difficultés, pour beaucoup, sont exacerbés par la crise économique». Il poursuit, toujours en se plaçant dans les rangs des personnes âgées, «Mais je voudrais dire à toutes les personnes âgées, bien que conscients des difficultés que comporte notre âge, qu'il est beau d'être vieux. Il ne faut jamais se laisser emprisonner par la tristesse. Nous avons reçu le don d'une longue vie. La vie est belle, même à notre âge, en dépit de quelques désagréments. Dans notre visage, qu'il y ait toujours la joie de se sentir aimé de Dieu, et non la tristesse.
Quand les jours semblent longs et vides, avec des difficultés et de rares engagements et peu de rencontres, ne vous découragez jamais: vous êtes un atout pour la société, même dans la souffrance et la maladie ».

Et puis, la phrase: «La prière des personnes âgées peut protéger le monde, en l'aidant peut-être de façon plus incisive que l'agitation d'un grand nombre".

Paroles d'un Pape âgé, montrant un point de vue différent sur la réalité: il y a un autre monde, dans ce monde.