En attendant de retourner à la maison

JL Restàn consacre son dernier billet aux réflexions de Benoît XVI sur la mort, en particulier à l'homélie de la messe de suffrage du 3 novembre. Traduction de Carlota. (7/11/2012)

>> Cf. Messe pour les cardinaux et évêques défunts

J’attends d’aller à la maison

José Luis Restán
06/11/2012
(original ici: Paginas digital)

L’une des choses qui impressionnent dans la prédication de Benoît XVI c’est sa façon d’affronter le thème de la mort. Il est certain que le Pape ne reste jamais « en dehors » de ce qu’il dit ou écrit, en ce sens c’est un modèle de ce que signifie être témoin. Sa propre expérience humaine est toujours impliquée dans ce qu’il propose ou explique, comme s’il nous accompagnait matériellement dans le parcours qu’il montre.

Autour de fête des fidèles défunts le Pape préside toujours une Messe en mémoire des cardinaux et évêques décédés tout au long de l’année, et à cette occasion il a surpris de nouveau en parlant des cimetières comme de lieux où se déroule une sorte d’assemblée où les vivants rencontrent leurs défunts et réaffirment avec eux des liens que la mort ne peut interrompre.

Face à la dure réalité de la mort « l’homme de toutes les époques cherche un rayon de lumière qui lui permette d’espérer, qui lui parle encore de la vie ». Mais à une époque comme la nôtre où la peur de la mort amène beaucoup de personnes au désespoir et à la recherche de consolations illusoires, le chrétien se distingue par ce en quoi il met sa sauvegarde: dans la mort et la résurrection de Jésus Christ. Alors tout change, « la mort nous ouvre à la vie, à la vie éternelle qui n’est pas une copie infinie du temps présent, mais quelque chose de complètement nouveau ».

Pour Joseph Ratzinger il a toujours été décisif de se rapprocher de ce « quelque chose de complètement nouveau », le guetter, le rendre compréhensible à la raison et au cœur des hommes asphyxiés par le dogme du scientifisme. Naturellement pour lui il ne s’agit pas d’être créatif, de laisser voler son imagination ou les sentiments, mais de plonger dans la Parole de Dieu et dans la grande Tradition de l’Église pour dialoguer avec l’homme d’aujourd’hui dans ses propres codes. Nous pouvons le comprendre en relisant les pages précieuses consacrées à la Vie Éternelle dans son encyclique Spe Salvi. Maintenant il revient au thème même : « la véritable immortalité à laquelle nous aspirons n’est pas une idée ni un concept, mais une relation de pleine communion avec le Dieu vivant : elle consiste à être dans ses mains, dans son amour, et atteindre avec Lui la pleine unité avec les frères et les sœurs qu’il a créés et rachetés, avec la création entière ».

Ces paroles récentes de Benoît XVI m’ont amené à relire une impressionnante homélie à l’occasion des obsèques de son compatriote le cardinal Paul-Augustin Mayer, il y a deux ans (cf. http://www.vatican.va):
« C’est ainsi qu’est le destin de l’existence humaine : elle fleurit de la terre, en un point précis du monde, et est appelé au ciel, à la patrie d’où elle provient mystérieusement. Desiderat anima mea ad te, Deus (Psaume 42, 2). Dans ce verbe desiderat , là est tout l’homme, son être de chair et d’esprit, terre et ciel. C’est le mystère originel de l’image de Dieu dans l’homme ».
Desiderat ! est là tout le mystère de ce qui est humain, de cette fleur inconnue née dans l’ultime extrême de la création. C’est pour cela que devant le mur opaque de la mort tout homme a besoin de chercher la fente, le rayon de lumière dont vient de parler de nouveau le Pape. Dieu a voulu sortir à la rencontre de cette recherche en colmatant le vide ouvert par le péché et en rétablissant à travers la mort et la résurrection de Jésus la victoire de la vie sur la mort. Et comme a dit le Pape devant le corps de son ami, « chaque homme qui meurt dans le Seigneur participe par la foi à cet acte d’amour infini, d’une certaine manière il remet l’esprit en lien avec le Christ, dans l’espérance certaine de ce que la main du Père le ressuscitera d’entre les morts et l’introduira dans le royaume de la vie ».

Mais quel est le contenu de ce royaume, tout au moins en ce que notre aspiration profonde et la révélation de Dieu nous laissent entrevoir ? Ce sera l’accomplissement de notre désir « de vivre ensemble en paix, désormais sans la menace de la mort, en jouissant de la pleine communion avec Dieu et entre nous ».
Mayer était bénédictin et le Pape Ratzinger a voulu indiquer que « l’Église, et en particulière la communauté monastique, constituent une préfiguration sur la terre de ce but final ». C’est l’anticipation imparfaite, nous le savons bien, marquée par des limites et des péchés, ayant toujours besoin de purification. Et même ainsi, insistait le Pape, « dans la communion eucharistique l’on goûte la victoire de l’amour du Christ sur ce qui divise et mortifie ».

Il est donc légitime « d’imaginer » cela « complètement nouveau » à la pâle lumière de ce que déjà ici nous avons pu expérimenter comme correspondance incroyable avec le désir de notre cœur, une fête qui ne se finit pas, une paix sans ombrage, une maison pleine de chaleur et de lumière à l’occasion de ces nombreux séjours, un repas entre amis au cours duquel il n’y a plus ni craintes ni replis. Il est certain que tout cela n’est que ce que nous pouvons entrevoir « comme un ciel serein à travers le brouillard ». C’est pour cela que Benoît XVI a pu répondre ainsi à l’un des jeunes qui dialoguaient avec lui lors de la Rencontre des Familles de Milan : « quand j’essaie de m’imaginer un peu comme cela sera au Paradis, cela me semble toujours le temps de ma jeunesse, de mon enfance… en ce sens j’attends d’aller à « la maison » en allant vers « l’autre partie du monde ».