Est-ce trop peu?

Le dernier billet de JL Restan est consacré au discours du saint-Père le 8 décembre dernier, devant la statue de l'Immaculée: le message de l'Immaculée Conception, c'est que le salut du monde n'est pas l'œuvre de l'homme mais de la Grâce. Traduction de Carlota (12/12/2012)

>> Cf.
Hommage à l'Immaculée, Place d'Espagne

Trop peu?
(
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Pour le Pape le message de l’Immaculée Conception, c’est que le salut du monde n’est pas l’œuvre de l’homme (de la science, de la technologie, de l’idéologie) mais de la Grâce.
José Luis Restán
10/12/2012.
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Qu’a vraiment amené Jésus, s’il n’a amené ni la paix ni le bien être pour tous, si le monde continue à être ce qu’il est, quelques deux mille ans après, la scène de la lutte entre le bien et le mal, et si souvent, apparemment tout au moins, il semble que ce soit ce dernier qui a réussi son entreprise.

C’est une question qui parcourt les trois volumes du Jésus de Nazareth. Benoît XVI y répondait presque sèchement dans le premier tome : « Il a amené Dieu, maintenant nous connaissons son visage, maintenant nous pouvons l’invoquer, maintenant nous connaissons le chemin que nous devons suivre comme hommes dans ce monde ». Et il ajoutait avec une pointe d’amer réalisme que seule notre dureté de cœur nous amène à penser que c’est trop peu.

La question se retrouve dans L’enfance de Jésus, quand le Pape réfléchit sur ce que l’ange annonce à Joseph en rêves : il lui dit que l’enfant qui naîtra de son épouse, Marie, « sauvera son peuple des péchés ». D’un côté, c’était une tâche incompréhensible pour un homme, quelle que soit sa grandeur, puisqu’elle était réservée à Dieu lui-même. Mais d’autre part, observe le Pape, cette définition de la mission du Messie, « pourrait aussi sembler décevante ». En fin de compte, hier comme aujourd’hui, la majorité considère le salut comme une amélioration des conditions politico-sociales, comme un changement radical du cadre historique. Ainsi la promesse qui accompagne Jésus (et qui accompagne l’Église dans son déjà long parcours) semble trop peu, et en même temps paraît excessive. Excessive parce qu’elle empiète sur les prérogatives de Dieu, et frustrante parce qu’elle ne parait pas prendre en compte les conditions historiques concrètes de la souffrance et de l’injustice. Le texte montre ensuite comment Jésus, tout au long de l’Évangile, veut appeler l’attention de l’homme sur le centre du mal qui l’afflige, pour lui faire comprendre que s’il ne le soigne pas, même les choses bonnes qu’il peut projeter ou réaliser ne pourront avoir de consistance et seront atteintes d’une terrible faiblesse. Là s’exprime toute l’histoire de l’humanité.

D’une certaine manière Benoît XVI a repris le nœud gordien de sa réflexion durant le discours prononcé au pied de la statue de l’Immaculée, sur la Place d’Espagne de Rome. Tout d’abord, en signalant avec ironie, que si cela se passait aujourd’hui, quand l’ange est venu annoncer à Marie la mission que Dieu lui confiait, nous ne trouverions pas trace de cet événement dans les journaux du lendemain. Le moment décisif de l’histoire a été entouré, et ce n’est pas par hasard, d’un grand silence. L’œuvre de Dieu ne peut pas se reconnaître dans le bruit et dans l’agitation « mais en allant à un niveau plus profond, où les forces ne sont pas de caractère économique ou politique, mais morales et spirituelles ».

D’après le Pape le message de l’Immaculée est que le salut du monde n’est pas une œuvre de l’homme (de la science, de la technologie, de l’idéologie) mais de la grâce. Un mot qui apparaît spécialement étrange, quand il n’est pas antipathique, à l’homme de notre temps, livré à l’illusion qu’il se sauve lui-même malgré tous ses tragiques échecs. D’un côté le cynisme de celui qui connaît les mensonges de tout idéal (Malraux) et d’un autre la suffisance de celui qui considère que l’on peut atteindre par un clic les galaxies lointaines, le même qui change la structure de la sexualité. La Grâce démonte le cynisme et met en évidence la présomption de notre époque. Grâce signifie amour, mais pas n’importe quel amour, un amour qui naît (imprévu, débordant) de Dieu lui-même. Un Amour qui sort du cadre, un amour qui transforme et recrée. Mais peut-on trouver quelque chose de la sorte aujourd’hui ?

La multitude aujourd’hui écoute le Souverain Pontife prosterné devant la colonne de Marie : « il n’y a que l’amour qui peut nous sauver de cette chute (la chute aux enfers de ce monde) mais pas un amour quelconque, un amour qui puisse introduire dans les poumons intoxiqués un nouvel oxygène, un air pur, une énergie nouvelle de la vie ». Dante disait bien que Marie est comme la revanche du genre humain parce que sa figure apparemment faible nous dit « aussi bas que l’homme puisse tomber, ce n’est jamais trop bas pour le Dieu qui est descendu jusqu’aux enfers ; même si notre cœur marche par de mauvais chemin, Dieu est toujours « plus grand que notre cœur ».

À travers Marie, Dieu a introduit dans le monde des hommes la Grâce faite chair, Jésus. Quand la Nativité se rapproche il est bon de se rappeler que la cause de ce Jésus que nous célébrons semble toujours être comme en agonie…mais tandis que les empires et les idéologies se sont écroulés, « sa gloire humble et disposée à souffrir, la gloire de son amour, n’a pas disparu et ne disparaîtra pas ».
Est-ce que cela continue à nous paraître trop peu ?