Il y a un an, les JMJ de Madrid

Se replonger dans l'ambiance de fête et de ferveur qui a submergé l'Espagne du 18 au 21 août 2011 en relisant les articles est un grand bonheur. (19/8/2012)

Les plus belles images

Tous les articles sont regroupés ici: http://benoit-et-moi.fr/ete2011

Parmi eux, l'un des plus beaux est le récit par Pierre Durieux, directeur de la communication du diocèse de Lyon, de l'évènement extraordinaire de la veillée des quatre vents, le 20 août 2012.
Ce soir là, l'enfer semble s'être entr'ouvert pour déverser ses foudres sur le terrain d'aviation où un million de jeunes s'apprêtaient à écouter le Saint-Père.
Mais c'est le Ciel qui a eu le dernier mot.

Le vent tomba...

et il se fit un grand calme sur Cuatro Vientos
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Qualifier d’improbable la tempête qui s’est abattue sur cuatro vientos serait excessif : ce nom indique que le site est le théâtre des vents. Mais on peut dire sans exagérer que cet événement est l’une des pires choses qui pouvait arriver aux organisateurs. Imaginez : des mois, des années de préparation et « plouf » la pluie, le vent, les quatre vents, l’orage, la tempête ou la tornade... Le pape qui ne peut plus prendre la parole ! Outre le fait d’interrompre la veillée une vingtaine de minutes au total, il faut souligner les risques encourus par la foule massée sur l’aérodrome, foule qu’aucun plan B n’aurait permis d’évacuer.

Les images télévisées ne permettent pas vraiment de s’en rendre compte, mais sur place, la tension est palpable. Il faut préciser que les jmjistes dorment ici, parfois vêtus légèrement en raison des chaleurs écrasantes du jour. La pluie, invisible à l’écran, est abondante et les abris, lointains, sont peu nombreux. Les bourrasques font vaciller les enceintes géantes suspendues à plusieurs mètres du sol, un écran géant s’interrompt, la sono est momentanément coupée, deux tentes-chapelles s’effondrent, emportées par le vent. La Croix des JMJ tombe. L’humidité commence à imprégner le sol pourtant terriblement sec. Le pape semble comme interdit par la brusquerie de la situation. S’il esquisse parfois un léger sourire mi-amusé mi-serein, son visage semble impavide et ne peut cacher une certaine incertitude. Il semble lui-même très directement menacé par le vent et par la pluie, malgré les parapluies qui tentent de le protéger. Le décor de la scène pontificale madrilène a manifestement privilégié l’esthétique à la sécurité de son hôte éphémère…

Placé dans le carré F5 (touché !) avec les Lyonnais, je regarde et j’écoute. Devant ce spectacle, l’excitation et la joiede l’après-midi coexistent désormais avec le doute. La situation est-elle dangereuse ? Peut-être. En tous cas, maintenant, c’est certain, la nuit sera mauvaise, pense-t-on. Derrière nous, des guides de France entonnent des « Je vous salue Marie ». Trois jeunes français lancent la Marseillaise à plein poumons pour se donner du baume au cœur. Ici ou là, des lèvres prient visiblement, quoiqu’à voix basse, tandis que d’autres cherchent à protéger leurs affaires. Une religieuse se met à genoux. Chacun est convoqué en son cœur à poser un acte de foi. Assurément, c’est pour Benoît XVI que la question est la plus difficile : c’est sur lui que repose la responsabilité de la suite à donner : quelle décision prendre ? Ecourter la veillée ? Se retirer ? Jouer la sécurité ? « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? » doit-il se dire comme les disciples à Jésus, au cœur de la tempête.

Dans l’espace des cardinaux aussi, on prie. « Certains se mettent à genoux et récitent le chapelet avec les jeunes en charge du protocole et du service d’ordre. On invoque Jean-Paul II », confie le cardinal Philippe Barbarin. A proximité, on scande : « El Papa està con nosotros ! No pasa nada ! »

En fait, il s’en passe des choses : le vent redouble, les pompiers grimpent sur les structures situées derrière l’autel. Les nuages semblent conforter la nuit dans son obscurité croissante. Le pape, invité à plusieurs reprises par son cérémoniaire à quitter la scène pour se réfugier dans la sacristie répond : « Non, je veux rester avec les jeunes ! » rapporte le père Eric Jacquinet, responsable de la section jeunes du conseil pontifical pour les laïcs, en charge de l’organisation des JMJ. Cette fois, il ne s’agit pas de littérature : le pape l’avait écrit dans son livre Lumière du monde alors que le journaliste lui demandait s’il avait songé à démissionner au plus fort de la crise médiatique liée aux affaires de pédophilie : « Quand le danger est grand, il ne faut pas s’enfuir. (...) C’est justement dans ce genre de moments qu’il faut tenir bon et dominer la situation difficile. C’est ma conception. » avait-il répondu. Ce soir là, c’en fut la preuve. Et voici que le thème des JMJ qu’il avait lui-même proposé, il dût le vivre à son tour de façon très personnelle : enraciné sur le siège de Pierre, affermi dans la foi, le pape prie. Je ne doute pas que, dans son colloque intérieur, Benoît XVI ait posé ce soir-là un acte de confiance : « Seigneur, si tu le veux, tu le peux ! ».

Action de Dieu ou pas, 20 minutes après, le vent tomba et un grand calme se fit. « Après la pluie, le beau temps » diront les rationalistes. Certes. La tempête apaisée laisse place à une nouvelle exultation collective : des jeunes défient le ciel avec leur parapluie, les drapeaux retrouvent leurs orgueilleux mouvements, les slogans se font entendre à nouveau avec plus de vigueur : « Esta es la juventud del Papa ! ».

Benoît XVI va parler. Reprendra-t-il son texte comme si de rien n’était ? Non. « Chers amis, je vous remercie de votre joie et de votre résistance. Votre force est plus forte que celle de la pluie. » A ce moment, on aurait envie de lui retourner le compliment. La veillée peut reprendre son cours.

Le 20 août 2011, quelque part en terre d’Espagne, une ferveur collective a imploré le Ciel, relayée par les milliers de téléspectateurs qui depuis leur domicile ont dû s’unir à cette prière. Ce soir-là, les quatre vents se sont tus. « Pourquoi avoir peur ? Comment se fait-il que vous n’ayez pas la foi ? » interroge Jésus après que la tempête fut apaisée. Mystérieusement, le pape reprit alors la parole en français pour dire : « Soyez fiers d’avoir reçu le don de la foi, c’est elle qui illuminera votre vie à chaque instant. Appuyez-vous sur la foi de vos proches. Sur la foi de l’Eglise. » CQFD.

Il ne serait pas juste de spiritualiser outre mesure les phénomènes naturels. Qu’il soit permis toutefois de souligner le caractère soudain, violent et menaçant de cette tempête. Qu’il soit permis de redire les objectifs qu’elle a atteint : faire taire le pape, faire tomber la croix, rendre inutilisable les hosties à consacrer. Insistons ici sur le fait que c’est la destruction d’une ou des deux tentes-chapelles qui aurait empêché la distribution de la communion le lendemain lors de la Messe conclusive des JMJ. Ce mystère reste d’ailleurs à élucider et constitue un point noir dans le bilan de ces 26e JMJ.

Ce soir-là, sur l’aérodrome de Cuatro Vientos, le pape choisit de reprendre une dernière fois la parole avant de quitter les jeunes : « Nous avons vécu une aventure ensemble. Forts dans la foi dans le Christ, vous avez résisté à la pluie. (…) Avec le Christ, vous pouvez affronter les épreuves de la vie. Ne l’oubliez jamais ! »

C’est en réponse à cette dernière demande que ce texte a été écrit. N’oublions jamais.

Et le Pape, lors des voeux à la Curie 2011

Un remède contre la fatigue de croire a été la magnifique expérience des Journées Mondiales de la Jeunesse à Madrid. Cela a été une nouvelle évangélisation vécue. Dans les Journées Mondiales de la Jeunesse, se dessine toujours plus clairement une nouvelle manière, rajeunie, du fait d’être chrétiens que je voudrais tenter de caractériser en cinq points.

1- En premier lieu, il y a une nouvelle expérience de la catholicité, de l’universalité de l’Église. C’est ce qui a touché tout de suite les jeunes et tous ceux qui étaient présents : nous venons de tous les continents et même si nous ne nous étions jamais vus avant, nous nous connaissons. Nous parlons des langues diverses et nous avons des habitudes de vie différentes, des formes culturelles différentes, et pourtant, nous nous trouvons tout de suite unis ensemble comme une grande famille. Séparation et diversité extérieures sont relativisées. Nous sommes tous touchés par l’unique Seigneur Jésus Christ, dans lequel nous est manifesté l’être véritable de l’homme et, en même temps, le Visage même de Dieu. Nos prières sont les mêmes. En vertu de la même rencontre intérieure avec Jésus Christ, nous avons reçu dans notre être intime la même formation de la raison, de la volonté et du cœur. Et, enfin, la liturgie commune est comme une patrie du cœur et nous unit dans une grande famille. Le fait que tous les êtres humains sont frères et sœurs, est ici non seulement une idée, mais devient une réelle expérience commune qui crée la joie. Et ainsi, nous avons compris aussi très concrètement que, malgré toutes les peines et les obscurités, il est beau d’appartenir à l’Église universelle, à l'Eglise catholique, que le Seigneur nous a donnée.

2- De là provient une nouvelle manière de vivre le fait d’être hommes, le fait d’être chrétiens. Une des expériences les plus importantes de ces journées a été pour moi, la rencontre avec les volontaires des Journées Mondiales de la Jeunesse : ils étaient environ 20.000 jeunes qui, sans exception, avaient mis à disposition des semaines ou des mois de leur vie pour collaborer à la préparation technique et organisationnelle, et au contenu des JMJ. Ils avaient ainsi rendu possible le déroulement harmonieux de l’ensemble. Avec son temps, l’homme donne toujours une partie de sa vie. À la fin, ces jeunes étaient visiblement et « tangiblement » comblés d’une grande sensation de bonheur : leur temps donné avait un sens ; en donnant justement de leur temps et de leurs forces de travail, ils avaient trouvé le temps, la vie. Et alors, une chose fondamentale est devenue évidente pour moi : ces jeunes avaient offert dans la foi une partie de leur vie, non pas parce que cela a été commandé et non pas parce qu’avec cela on gagne le ciel ; non pas non plus parce qu’on échappe ainsi au péril de l’enfer. Ils ne l’avaient pas fait parce qu’ils voulaient être parfaits. Ils ne regardaient pas en arrière, vers eux-mêmes. Il m’est venu à l’esprit, l’image de la femme de Lot qui, regardant en arrière, devint une colonne de sel. Combien de fois la vie des chrétiens est caractérisée par le fait qu’ils regardent surtout vers eux-mêmes, ils font le bien, pour ainsi dire, pour eux-mêmes ! Et combien est grande la tentation pour tous les hommes d’être préoccupés surtout d’eux-mêmes, de regarder en arrière vers eux-mêmes, devenant ainsi intérieurement vides, “des colonnes de sel” ! Ici, au contraire, il ne s’agissait pas de se perfectionner soi-même ou de vouloir avoir sa propre vie pour soi-même. Ces jeunes ont fait du bien – même si cela a été rude et a requis des sacrifices –, simplement parce que faire le bien est beau, être pour les autres est beau. Il suffit seulement d’oser faire le saut. Tout cela est précédé de la rencontre avec Jésus Christ, une rencontre qui allume en nous l’amour pour Dieu et pour les autres et nous libère de la recherche de notre propre “moi”. Une prière attribuée à saint François Xavier dit : Je fais le bien non parce qu’en retour j’entrerai au ciel et non plus parce que tu pourrais m’envoyer en enfer. Je le fais, parce que Tu es Toi, mon Roi et mon Seigneur. J’ai rencontré cette même attitude aussi en Afrique, par exemple chez les sœurs de Mère Teresa qui se dépensent pour les enfants abandonnés, malades, pauvres et souffrants, sans se poser des questions sur elles-mêmes, et pour cela, elles deviennent intérieurement riches et libres. C’est cela l’attitude proprement chrétienne. La rencontre avec les jeunes handicapés à la fondation San José à Madrid demeure aussi inoubliable pour moi, où j’ai rencontré à nouveau la même générosité à se mettre à la disposition des autres – une générosité du don de soi qui, en définitive, naît de la rencontre avec le Christ qui s’est donné lui-même pour nous.

3- Un troisième élément qui, d’une manière toujours plus naturelle et centrale, fait partie des Journées Mondiales de la Jeunesse et de la spiritualité qui en découle, est l’adoration. Inoubliable, demeure pour moi le moment où, durant mon voyage au Royaume-Uni, dans Hyde Park, des dizaines de milliers de personnes, en majorité des jeunes, ont répondu par un silence intense à la présence du Seigneur dans le Très Saint Sacrement, en l’adorant. La même chose est arrivée, dans une moindre mesure, à Zagreb et, de nouveau, à Madrid après la tempête qui menaçait de gâcher l’ensemble de la veillée à cause d’une panne des microphones. Dieu est omniprésent, oui. Mais la présence corporelle du Christ ressuscité est encore quelque chose d’autre, quelque chose de nouveau. Le Ressuscité entre au milieu de nous. Et alors, nous ne pouvons que dire avec l’apôtre Thomas : Mon Seigneur et mon Dieu ! L’adoration est avant tout un acte de foi – l’acte de foi comme tel. Dieu n’est pas une quelconque hypothèse possible ou impossible sur l’origine de l’univers. Il est là. Et s’Il est présent, je m’incline devant Lui. Alors la raison, la volonté et le cœur s’ouvrent à Lui et à partir de Lui. Dans le Christ ressuscité est présent le Dieu qui s’est fait homme, qui a souffert pour nous parce qu’il nous aime. Nous entrons dans cette certitude de l’amour incarné de Dieu pour nous, et nous le faisons en aimant avec Lui. C’est cela l’adoration, et cela donne ensuite une empreinte à ma vie. C’est seulement ainsi que je peux célébrer aussi l’Eucharistie d’une manière juste et recevoir le Corps du Seigneur avec droiture.

4- Un autre élément important des Journées Mondiales de la Jeunesse est la présence du Sacrement de la Pénitence qui fait partie de l’ensemble avec toujours plus d’évidence. Par là, nous reconnaissons que nous avons continuellement besoin de pardon et que pardon signifie responsabilité. Il existe dans l’homme, provenant du Créateur, la disponibilité à aimer et la capacité de répondre à Dieu dans la foi. Mais il existe aussi, provenant de l’histoire peccamineuse de l’homme (la doctrine de l’Église parle du péché originel), la tendance contraire à l’amour : la tendance à l’égoïsme, à se renfermer sur soi-même, ou plutôt, la tendance au mal. Mon âme est sans cesse souillée par cette force de gravité en moi qui m’attire vers le bas. C’est pourquoi nous avons besoin de l’humilité qui toujours à nouveau demande pardon à Dieu ; qui se laisse purifier et qui réveille en nous la force contraire, la force positive du Créateur, qui nous attire vers le haut.

5- Enfin, comme dernière caractéristique à ne pas négliger dans la spiritualité des Journées mondiales de la jeunesse je voudrais mentionner la joie. D’où vient-elle ? Comment s’explique-t-elle ? Il y a certainement de nombreux facteurs qui agissent ensemble. Mais celui qui est décisif est, à mon avis, la certitude qui provient de la foi : je suis voulu. J’ai une mission dans l'histoire. Je suis accepté, je suis aimé. Josef Pieper, dans son livre sur l’amour, a montré que l’homme peut s’accepter lui-même seulement s’il est accepté de quelqu’un d’autre. Il a besoin qu’il y ait un autre qui lui dise, et pas seulement en paroles : il est bien que tu existes. C’est seulement à partir d’un « tu » que le « je » peut se trouver lui-même. C’est seulement s’il est accepté que le « je » peut s’accepter lui-même. Celui qui n’est pas aimé ne peut pas non plus s’aimer lui-même. Ce fait d’être accueilli vient d’abord de l’autre personne. Mais tout accueil humain est fragile. En fin de compte, nous avons besoin d’un accueil inconditionnel. C’est seulement si Dieu m’accueille et que j’en deviens sûr, que je sais définitivement: il est bien que j’existe. Il est bien d’être une personne humaine. Là où l’homme a moins la perception d’être accueilli par Dieu, d’être aimé de lui, la question de savoir s’il est vraiment bien d’exister comme personne humaine ne trouve plus aucune réponse. Le doute à propos de l’existence humaine devient toujours plus insurmontable. Là où le doute au sujet de Dieu devient dominant, le doute au sujet de l’être même des hommes suit inévitablement et nous voyons aujourd’hui comment ce doute se répand. Nous le voyons dans le manque de joie, dans la tristesse intérieure qui peut se lire sur tant de visages humains. Seule la foi me donne la certitude : il est bien que j’existe. Il est bien d’exister comme personne humaine, même dans des temps difficiles. La foi rend heureux à partir de l’intérieur. C’est une des expériences merveilleuses des Journées mondiales de la Jeunesse.