Interviewe de Mgr Périsset, nonce en Allemagne

"Le Pape souffre" d'être mal compris dans son pays... Traduction de Marie-Anne (27/8/2012)

Carlota m'avait signalé un article paru sur le portail espagnol Religion en Libertad:

Après avoir été nonce pour la Roumanie et la Moldavie, l’archevêque suisse Jean-Claude Périsset est arrivé en 2007 à Berlin pour prendre l’une des charges les plus difficiles de la Secrétarie d’État.
On sait qu’une partie de l’épiscopat allemand chemine très loin de son compatriote Benoît XVI, avec des attitudes très tolérantes envers des groupes dissidents qui critiquent le célibat des prêtres ou font la promotion de l’ordination des femmes. Dans certains cas, il a dû faire publiquement acte d’autorité pour que ses directives sur la traduction du missel soient prises en compte.

Tout cela implique beaucoup de tourment pour le Pape comme l’a reconnu Monseigneur Périsset dans un entretien accordé la semaine dernière à « Christ und Welt » supplément religieux qui se distribue avec « Die Zielt » . Benoît XVI se sent « profondément blessé » affirme le diplomate du Vatican. « C’est une grande perte pour l’Église catholique en Allemagne de l’écouter si peu », dit sans ambages Périsset, dans une affirmation dont la force rend compte de la gravité des circonstances. « Le Pape souffre de cette attitude parfois hermétique envers lui en Allemagne ». Et il reproche l’idée que « chacun a sa propre opinion et croit qu’il sait mieux », en référence au peu de respect vers l’autorité de Benoît XVI.
(www.religionenlibertad.com, traduction de Carlota)

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Mon amie Marie-Anne a traduit le texte original en allemand (www.christundwelt.de/)

 

"Le pape souffre"
Mgr Jean-Claude Périsset est représentant du pape Benoît XVI à Berlin.
Il est inquiet quant à l'avenir de l'Eglise catholique en Allemagne

Interviewe avec le nonce apostolique de Berlin sur l’Église qui est en Allemagne, par Christ & Welt
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Christ&Welt: Depuis cinq ans, vous êtes nonce à Berlin. Comment trouvez-vous l'Eglis en Allemagne?
Jean-Claude Périsset: Ce qui m’étonne, c’est la fidélité de beaucoup de catholiques à leur Église, à leur tradition et à leur histoire. Mais ce qui me préoccupe, c’est que je ne vois aller à l’église que des personnes âgées. Les familles avec les enfants manquent presque comlètement. Si l’Église qui est en Allemagne veut avoir un avenir, cela doit changer en profondeur.

C&W: Que doit-on changer plus exactement ?
Périsset: C’est la transmission de la foi qui doit caractériser tout d’abord les familles ; l’Église s'appuie beaucoup sur cela. Il y aura un avenir si beaucoup de grands-parents et de parents parleront de nouveau de la foi à leurs enfants et petits-enfants. C’est la foi vécue en famille qui construit l’avenir.

C&W: Qu’est-ce qui sonne faux dans l’Église ?
Périsset: Il ne s’agit pas tant des fausses notes, mais surtout de l’énergie avec laquelle on devra faire face à la situation actuelle. Nous avons à vivre notre foi à notre époque qui n’est pas celle de St Augustin. Notre langage devrait s’adapter à la mentalité de nos contemporains pour que le message devienne compréhensible. Nous devons revenir aux éléments fondamentaux de la foi, en les expliquant avec des mots simples, avec un langage imagé.

C&W: S’agit-il de changer seulement le langage ou devrait-on aussi modifier la doctrine ?
Périsset: Nous devons être fidèles à l’enseignement du Christ. C’est Lui qui a fondé l’Église, pas nous. Si les gens veulent une autre Église, cela ne doit pas nous concerner.

C&W: La Conférence épiscopale allemande voudrait entrer en dialogue avec les laïcs pour envisager l’avenir de l’Église. Serait-ce un chemin praticable ?
Périsset: La seule discussion à l’intérieur de l’Église n’aboutira pas à grand-chose. Par contre, le dialogue, qui n’est pas la discussion, est toujours utile. Il faut faire attention toutefois, pour ne pas s’accrocher à son point de vue personnel si l’on veut mener à bien le dialogue. Celui qui participe au dialogue, doit avoir une attitude ouverte dans la foi, c’est l’attitude de celui qui veut apprendre et recevoir aussi quelque chose de l’autre.

C&W: Le processus de dialogue, éveille-t-il l’illusion de pouvoir aborder tous les sujets ?
Périsset: Non. Les évêques ont eu le courage de vouloir parler avec le peuple de Dieu. Mais il faudra faire attention de ne pas tout renverser, de la tête au pieds.

C&W: il n’est pas toujours facile de tracer une limite. Par exemple au sujet des divorcés remariés, l’archevêque R. Zollitsch a demandé plus de miséricorde.
Périsset: Plus de miséricorde, c’est vrai, mais aucun des évêques n’a voulu obtenir la permission de la communion eucharistique pour eux. Il s’agit toujours d'examiner chaque cas en particulier, sans simplifier la problématique. St Paul, déjà, invitait les fidèles de s’examiner avant de recevoir l’Eucharistie, pour savoir s’ils en sont dignes.

C&W: Mais il y a aussi la question du rôle des femmes dans l’Église..
Périsset: Oui, là aussi il y a un manque de compréhension. Chaque fois qu’on propose l’ordination sacerdotale ou diaconale on se heurte à la volonté du Christ, fondateur de Son Église.

C&W: Tous ne sont peut-être pas d’accord ?
Périsset: Chacun peut avoir une pensée personnelle, bien entendu. Mais il faut savoir qu’elle est l’Église de Jésus Christ en réalité.

C&W: Il y a aussi la question du manque de prêtres. Certains voudraient modifier la discipline du célibat pour résoudre le problème.
Périsset: La question fondamentale, c’est le manque de foi, plutôt que le manque de prêtres. On sait que le recrutement des prêtres devrait venir des familles. Malheureusement il y a de moins en moins d’enfants, et la foi aussi diminue. C’est par là qu’il faudrait commencer le renouveau.

C&W: Comment ?
Périsset: Chacun est renvoyé à sa propre responsabilité plutôt que de pointer du doigt les autres. Que dois-je faire pour que ma communauté puisse vivre ? Et il ne faut pas tout de suite penser à de grandes choses. Si je vais à la messe comme je vais à un concert ou à un match de football, alors elle perd sa signification !
Chacun devrait se remettre en question, et cela changerait tout.

C&W: Il y a de quoi faire !
Périsset: Il y a beaucoup de choses, en effet. C’est bien, mais à la longue, c’est fatigant. Même dans les associations il y a de moins de moins de participants. Cela ne dépend pas de l’institution mais bien plutôt de la mentalité des gens. On devrait retrouver la culture du vivre ensemble, y compris dans le domaine de la foi. Et pour cela, on a besoin de grands rassemblements, comme c’était le cas à la messe du pape au stade olympique. Cela peut encourager chacun comme pour lui dire: Tu n’es pas seul.

C&W: Aves-vous parfois le sentiment de crier dans un désert ?
Périsset: Oui, un peu. Mais ce n’est pas nouveau dans l’Histoire de l’Église. Ce qu’on prêche ou enseigne n’est pas toujours compris, loin de là. Chacun est là avec son point de vue et croit toujours savoir mieux. C’est peut-être un fait typiquement allemand.

C&W: Cela vous fait de la peine de voir que le pape soit si fort critiqué en Allemagne ?
Périsset: Oui, c’est triste qu’il soit si peu écouté par ses compatriotes. On pourrait améliorer certaines choses, bien entendu, mais en attendant, le pape souffre de manque de réceptivité qu’il rencontre dans son propre pays.

C&W: Est-elle trop riche, l’Église en Allemagne ?
Périsset: En soi, l’argent n’est pas un mal parce qu’il peut être utile aux hommes et à la société. Mais peut-être l’Église en Allemagne est-elle trop préoccupée de la distribution de la richesse par rapport à l’annonce de la Bonne nouvelle.

C&W: Depuis deux ans déjà, le sujet n°1, c’est le scandale des abus sexuels. Les évêques ont mis sur pied un système qui est critiqué sur internet par un groupe de prêtres..
Périsset: Ces prêtres n’ont pas compris ce dont il s’agit. C’est aux évêques que revient la responsabilité de clarifier la situation, cas par cas. On doit avoir un peu de patience au lieu de réagir trop vite, sans connaissance de cause.

C&W: Ces prêtres se considèrent pourtant fidèles à Rome.
Périsset: Cela ne suffit pas pour avoir raison, qu’on se dise fidèle à Rome. Encore faut-il faire confiance aux évêques.

C&W: Même au Vatican, il y un manque de confiance. Que pensez-vous ici, à Berlin, de la fuite de documents qui a fait scandale récemment ?
Périsset: C’est un procédé incroyable, d’agir ainsi dans la proximité du pape. Et je plains tout à la fois le pape et celui qui a commis ce méfait.
Il s’agit des gens qui ne pensent qu’à eux-mêmes, sans s’occuper des conséquences de leurs actes. Il faudra du temps pour sortir de cette crise.

C&W: Avez-vous la nostalgie des temps qui auraient été plus simples pour l’Église ?
Périsset: Dans l’histoire de l’Église, il y a des périodes diverses. Bien sûr, au 19e siècle, la situation avait été plus avantageuse pour l’Église. Mais après les persécutions et la sécularisation, il existe aussi aujourd’hui de nouvelles possibilités. L’Église catholique a par exemple su intégrer la globalisation. Ce que l’Église d’Allemagne est capable de réaliser pour l’Église dans le monde entier, est remarquable.

C&W: Dans les années 50 il y avait encore beaucoup de personnes nées dans une famille croyante. Aujourd’hui une libre décision est requise. Comment jugez-vous cet état de fait ?
Périsset: Cela est un avantage à condition d’utiliser la liberté pour le bien. Ce n’est pas bien si on se laisse emporter par le courant, sans résistance. La paresse nous est défendue, il nous faut sans cesse nous adapter. Ce que je redoute, c’est l’individualisme, lorsqu’on ne s’occupe plus de son prochain, des plus nécessiteux.

C&W: On vous connaît peu personnellement. Vous êtes né en 1939 à Neuenburgersee (Suisse). Quel est votre parcours ?
Périsset: Mon père était confiseur, j’ai une sœur et trois frères. Nous avons aidé à la maison. L’église se trouvait juste à côté, et c’était normal d’y aller. J’étais d’abord servant d’autel, puis je voulais être prêtre.

C&W: La Suisse connaît la coexistence des deux confessions. Quel liens aviez-vous avec le protestantisme ?
Périsset: Au lycée, j’avais un ami protestant. Nous avons discuté ensemble de la religion. Il est devenu pasteur. Il y a deux ans, il m’a rendu visite à Berlin, après la mort de sa femme. Et de nouveau nous avons parlé de la religion. Dans ma jeunesse la conversation avec lui m’a beaucoup aidé, parce qu’elle m’a fait approfondir ma propre foi. Plus tard, comme vicaire et jeune prêtre, j’ai toujours cherché à échanger avec des pasteurs protestants. Nous avons même écrit ensemble un commentaire sur l’épître aux Romains. Il s’agissait toujours de respecter la foi de l’autre. Cette attitude nous manque un peu actuellement, je trouve.

C&W: Il se trouve que Frère Roger Schutz de Taizé, est né justement dans la proximité de Neuenburgersees, pas très loin de chez vous! Avez-vous un lien avec Taizé ?
Périsset: Pendant longtemps, je n’en savais rien. Mais en 1996, lorsque j’étais nommé au Secrétariat pour l’Unité des chrétiens, Frère Roger m’a invité à Taizé. Et j’ai pu faire sa connaissance. J’étais deux fois chez lui et nous avons beaucoup échangé tête à tête. Je considère cette rencontre comme un don de Dieu.