La bataille qui ne se voit pas

Les deux manifs du week-end dernier (chacune à sa façon) contre le "mariage pour tous" et la dernière caricature de Charlie-Hebdo illustrent une fois de plus la stratégie du goutte à goutte. Carlota a traduit un article très fort d'un blogueur espagnol contre " la bataille qui ne se voit pas" (21/11/2012)

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>>> Voir aussi:
¤ Contre l'Eglise, la stratégie du "goutte à goutte"
¤ Je ne marcherai pas le 17 novembre
¤ Un appel solennel contre le blasphème

     

Le sens des mots et des images.
(Carlota)
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L’élève en Humanités - ou classe de Lettres - du XVIIIème ou du XIXème siècle n'aurait sans doute pas eu de mal à décrypter le néologisme (si tant est qu'il ait déjà existé) « homophobie » comme une peur pathologique donc irresponsable d’un être humain envers le genre humain en général, une misanthropie poussée à l’extrême, une peur générale de ses contemporains « homo sapiens ».
Le mot homophobie est aujourd’hui employé dans un sens linguistique pas vraiment étymologique, mais il correspond à une définition bien légale qui peut vous conduire devant les tribunaux.

C’est ainsi que lors de la marche contre « le mariage pour tous » mais aussi contre l’homophobie, du 17 novembre dernier, des consignes auraient (?) été données aux marcheurs (avec des jeunes enfants) afin que, s’ils rencontraient le long du trajet des personnes du même sexe faisant, pas forcément sur un banc, mais sûrement en public, ce que chantait Georges Brassens, ils acclament chaleureusement ce bel élan d’affection….
Et surtout !! pas d’amalgame avec les méchants rétrogrades qui se réfèrent au catéchisme de l’Église Catholique et croient encore que c’est un péché (ce qui n'implique évidemment pas de condamner les pécheurs); ces méchants cathos qui eux défilaient le 18. Ces catholiques pas vraiment comme il faut qui essayaient pourtant eux aussi de préserver le petit noyauté d’humanité qu’est une famille soudée autour d’un père et une mère, et du plus faible et du plus petit des hommes, un enfant, et ce dès sa conception.
Car le 18, parmi ceux qui marchaient, il y avait aussi ceux qui se battent depuis des décennies contre les lois de la culture de mort qui ont peu à peu, et à l’insu de la plupart des gens, pris le pouvoir d’une façon toujours plus absolue, y compris dans la façon d’éduquer les enfants et de penser.

Ma longue introduction pour annoncer un article de César Uribarri qui parle d’une guerre qui ne se voit pas…et qui pourtant fait des ravages (original http://www.religionenlibertad.com/)

     

Le brutal blasphème de Charlie Hebdo et la bataille qui ne se voit pas
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Lorsqu’en cette déjà lointaine année 2006 se déchaîna le scandale des caricatures contre Mahomet, on a pensé que ce qui était en jeu, c’était l’affrontement de deux principes : la liberté d’expression face au respect de la religion ou des convictions religieuses.
La vague de haine qui s’est déchaînée dans les nations musulmanes semblait confirmer le caractère sacré de la liberté d’expression, car si les fanatiques religieux réagissaient ainsi, la nécessité de cette liberté d’expression se voyait confirmée comme garantie de la liberté qu’avait construite l’Europe. Les révoltes provoquèrent des morts et tous les politiciens de l’ « Occidentalité » s’empressèrent d’accorder leurs violons et d’appeler à la responsabilité qui devait régir tout exercice de cette liberté d’expression. La panique avait débordé de partout. Mais le robinet avait sauté. L’Occident semblait jouer son être, son essence, dans le fait de pouvoir se moquer du religieux.

Et même si cela peut paraître exagéré, c’est ce qu’a expliqué sans ambages l’éditorial du journal espagnol « El País » le 23 septembre 2012 (1), après la flambée de violence occasionnée dans les rues des pays musulmans par le film contre Mahomet et les nouvelles caricatures réalisées par la revue satirique "Charlie Hebdo" :

« La valeur sacré d’une image ou d’une croyance ne peut s’imposer au reste du monde. La liberté d’expression est l’essence de la démocratie et le fondement de l’organisation sociale et politique que se sont données les nations les plus avancées de la planète. Sa défense peut être difficile. […] Il ne faut pas s’attendre à ce que les pays musulmans adoptent les standards occidentaux. Le fanatisme est une plante qui grandit en tous lieux. Mais atteindre le salutaire détachement et le scepticisme de l’Occident face au sacré, qui peut être ouvertement critiqué et même ridiculisé, a coûté des siècles de conflits et de titanesques batailles de la pensée».

D’une manière expéditive et sans que cela ait été demandé, il s’agissait d’une authentique déclaration de principe. Le danger était imminent, la menace du fanatisme islamique avait la folle prétention de considérer comme intouchables certaines croyances, certaines images. On voulait à nouveau imposer le silence devant les « dogmes », il était donc nécessaire de jeter bas les masques pour défendre sans équivoque, devant l’imminence du danger, la marchandise véritablement sans prix : le détachement et le scepticisme salutaires de l’Occident devant le sacré.

L’identification des intentions ne doit pas être négligée, car elle reflète et explique où nous en sommes et elle nous alerte vers où nous allons. L’Occident, pour ces minorités qui contrôlent les politiques, ne peut pas se fonder sur l’inviolable dignité de la personne humaine, mais sur la désacralisation face au religieux, désacralisation pour laquelle on a « lutté durant des siècles de conflits et de titanesques batailles de la pensée ».

Mais si l’on met de côté cet objectif pour lequel on a combattu durant des siècles et que l’on se rapproche du domaine déconcertant du prophétique, des mystiques ou des apparitions mariales, on peut raisonnablement penser: « Où est donc ce qui a été prédit ? Où sont les catastrophes annoncées? Les châtiments qui devraient faire trembler même les anges? » Puisque la même normalité de la vie se poursuit, hier comme aujourd’hui, sans que rien ne se passe, sinon la même quotidienneté. C’est peut-être pour cela que Jean-Paul II lui-même devait reconnaître devant la journaliste Aura Miguel que l’abandon de la foi était arrivé jusqu’aux experts : « d’un autre côté les plus grands spécialistes de la doctrine de la foi sont très satisfaits s’ils voient qu’une parole ou une promesse, les années passées, s’accomplit d’une manière ou d’une autre ».

C’est une réalité déconcertante: celle que les annonces, les graves annonces prophétiques, se répètent mais que tout semble continuer de la même façon. Alors, comme une ombre de désillusion, la confiance dans les prophéties se perd, parce que si ce qui est annoncé ne s’accomplit pas, pourquoi a-t-on accepté le message ? Surtout quand le message demande un changement de vie - de vie personnelle - sans que la vie - la vie sociale - ne change. Comme si tout continuait comme avant – alors que, sans qu’on le voie, rien n’est plus pareil, parce que comme un vent imperceptible, la pente s’accentue jour après jour. On s’attend à voir tomber le feu du ciel. Mais ce qui est tombé d’abord c’est une guerre spirituelle qui nous a trouvés désarmés et incrédules. Une guerre spirituelle sournoise et cruelle, dont un regard rétrospectif aide à percevoir la portée : on distingue la position jusqu’à laquelle les lignes de défense ont reculé, jusqu’à ce que disparaisse de la vie publique des très chrétiennes nations d’antan toute trace de foi.

Le percevons-nous? Nous comprenons difficilement que la bataille, depuis des siècles, est cruelle et qu’aujourd’hui nous avons atteint les dernières positions de défense. La bataille est une terrible bataille spirituelle qui passe inaperçue pour beaucoup. Soit parce qu’ils se moquent des étoiles qui jamais ne vacilleront, soit parce qu’ils attendent de voir tomber le feu du ciel sans sentir que déjà nos pieds sont en train de brûler. Comme si cette dégradation de la vie morale, qui peut-être au début, a pu être violente et choquante, est aujourd’hui la compagne naturelle et non transcendante de nos jours. Et elle est même salutaire pour le progrès des nations. Au moins pendant ce temps le feu du ciel ne tombe pas, les nations barbares ne trucident pas au couteau les antiques splendeurs impériales qui succombent victimes de leur dégradation.

C’est pour cela que le 7 novembre 2012, quand la revue Charlie Hebdo a décidé de se moquer des catholiques, personne n’a élevé le moindre signal de plainte ou d’applaudissement. Cela s'est passé à-la-façon-de-la-méconnaissance-indifférente. Pas même la stratégie de l’étouffement pour éviter la publicité, simplement la banalité du mal, avec lequel on coexiste comme s’il était normal. Comme si la moquerie, le mépris du religieux, du sacré, de l’inviolabilité de la dignité de la personne, était une marchandise de plus qui peut être ou ne pas être, sans que rien ne se passe.

Et ainsi, ce 7 novembre Charlie Hebdo a rendu manifeste le fait que la sensibilité de l’âme catholique était endormie, qu’on pouvait la blesser à plaisir, frappée comme elle est d’indifférence, habituée à la désacralisation.

Alors, que dire : la sacrosainte liberté d’expression n’était-elle pas le rempart de notre « Occidentalité » ? N’était-ce pas l’indifférence au sacré, sa critique et sa moquerie, le but de siècles de bataille sans merci ?
C’est l’être même de Dieu qui a été piétiné cruellement et brutalement, et le silence confirme que la bataille pour la désacralisation de l’Occident a atteint les fruits désirés. …
Mais derrière la moquerie contre Dieu il n’y a pas la vengeance des Cieux – seulement le choix de ceux qui mentent depuis le début. Et les fruits de cet arbre ne sont jamais ceux de la paix, mais un terrain fertile pour « la simple indifférence et le scepticisme face au sacré, qui peut être ouvertement critiqué et ridiculisé » jusqu’à s’élever à la catégorie de la haine » .

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(1) El País ; voir ici l’article complet du journal espagnol, l’équivalent du Monde en France, et soutien sans faille du zapatérisme. Il se trouve d’ailleurs actuellement en piteuse situation financière et a « notifié » par simples courriels à un certain nombre de ses journalistes vedettes qu’il n’avait plus besoin d’eux.