La bête astucieuse

Un médecin espagnol, porte-paroles du collectif des "Gynécologues pour le Droit de Vivre" médite sur notre condition d'homme postmoderne: "il s’agit de choisir si nous voulons être des 'bêtes astucieuses' ou des personnes dignes, si nous allons vivre avec comme but la gestion efficace de toutes nos « luxures » ou avec celui de trouver la vérité dans la charité".. Article sur Infocatolicà, traduit par Carlota (7/11/2012)

>>> Ci-contre: Le Dr Esteban Rodríguez Martín

     

Les lecteurs pressés trouveront les questions essentielles dans le dernier paragraphe, et pourquoi je préfère marcher le dimanche 18 octobre !
(Carlota)

Article original en espagnol: http://infocatolica.com/?t=opinion&cod=13136

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La bête astucieuse
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Le philosophe allemand Robert Spaemann, dans son essai « La rumeur immortelle » (cf. http://chiesa.espresso.repubblica.it) définit très graphiquement le modèle anthropologique du postmodernisme laïciste aux racines nihilistes comme celui de la « bête astucieuse ».
Il s’agit de la conception de l’homme comme un singe tout particulièrement évolué, doté d’une singulière intelligence ou astuce qui le différencie des autres animaux sans cesser de l’être.
Spaemann dit que cet homme moderne qui « se considère de lui-même comme une bête astucieuse » a renoncé à arriver à la connaissance de la vérité et occupe la majeure partie de son temps à la façon de gérer sa luxure, à comment satisfaire ses appétences, ses désirs et ses intérêts, et à comment être dans les meilleures conditions possibles pour y parvenir. « Pour une telle bête rien ne peut se donner qui puisse ressembler à la connaissance de Dieu [...]. Occupés seulement à gérer leur propre luxure ils considèrent comment fou tout dissident qui prend quelque chose au sérieux comme par exemple, la vérité ». Il s’agit d’un homme qui niant la loi naturelle lui a substitué « la loi du désir » qui le soumet et en cela l’a éloigné de Dieu. Ou dans les paroles de Saint Thomas d’Aquin « le plaisir désordonné est la cause de la haine de Dieu ».

Dans les composants de la sexualité animales des espèces les plus évoluées comme les mammifères et les oiseaux, la Zoologie analyse trois paramètres instinctifs déterminants pour perpétuer l’espèce. D’un côté il y a le désir, c'est-à-dire l’attraction sexuelle biologiquement naturelle. L’animal se sent attiré vers tout individu de sexe opposé de son espèce. D’un autre coté il y a l’affection, moyennant quoi il sélectionne rituellement l’un parmi tous les individus du sexe complémentaire, généralement le mieux doté parmi ceux disponibles, qui sera utilisé en fonction d’intérêts marqués par l’instinct de conservation et de perpétuation. Et enfin ce qui s’appelle le lien d’attachement, qui est ce qui le prédispose à rester uni avec l’individu concret désiré par l’attraction sexuelle et sélectionné par l’affection. Un tel lien se maintient pour la majorité des animaux pendant la période où sont élevés les petits et disparaît lorsqu’ils sont autonomes, moment où disparaît également l’intérêt affectif d’un individu pour un autre.

Chez l’homme ces trois composantes purement animales sont aussi présentes, c'est-à-dire qu’il existe l’attraction sexuelle vers le sexe opposé, la tendance à sélectionner via les affections et les émotions un seul individu de l’autre sexe et à se maintenir uni à lui à travers le lien de l’attachement.
Cependant dans la sexualité humaine intervient un facteur différentiel par rapport aux bêtes, dans la sexualité des individus plus développés et mieux adaptés intervient la charité envers l’autre, c'est-à-dire l’amour. On pense à l’autre non pas comme un objet pour satisfaire ses propres intérêts mais avec la préoccupation et le souci de combler ses aspirations.
Moyennant cette charité le « moi » prend conscience de sa dignité propre et de celle « de l’autre », son égal, de sa valeur, et cela l’entraîne vers le respect. Cette charité vers l’autre implique la considération du compagnon comme celui dont on partage la vie, non de simple « paire » avec qui l’on cohabite temporairement comme les animaux.
L’homme, sommet de l’évolution animale, qui atteint la plénitude de son développement, est celui qui s’est rendu compte qu’il est un animal digne et que c’est cela qui fait la différence avec le reste. Ce respect qui le pousse à avoir pris conscience de sa dignité et de celle de l’autre qui lui ressemble, à la différence des bêtes, module chez l’homme pleinement développé et émotionnellement mûr les instincts basiques : il module l’attraction sexuelle, il module l’affection et il module le lien d’attachement. Chez l’homme le lien d’attachement se maintient pour la vie parce que les petits d’hommes continuent à avoir besoin de géniteurs unis pour le reste de leurs vies même quand ils ont été émancipés, chose qui n’arrive pas chez les animaux.
Par conséquent, l’homme qui a bien compris avec sa raison et son intelligence cette vérité sur son être et sur sa dignité, en se sentant capable de respect vis-à-vis de l’autre par charité pour lui, ne vit plus pour gérer sa luxure comme la bête astucieuse de Spaemann, mais vit pour trouver la vérité et une fois qu’il l’a trouvée, il agit d’une façon responsable par rapport à ses exigences.
Dans cette vérité il trouve sa liberté pour agir à la marge du déterminisme de l’instinct animal, des appétences égoïstes ou des modes mondaines. Dans cette vérité de la charité envers l’autre il trouve la raison de fiançailles respectueuses, d’un mariage indissoluble, de l’ouverture à la vie dans chaque acte conjugal, de l’accueil de chaque enfant conçu, du vécu de sa sexualité pleinement humaine. Dans cette vérité il trouve la force pour résister aux modes, aux tentations ou aux impostures idéologiques. Dans cette vérité il se fait homme et personne en apprenant à vivre pour se donner à l’autre, et il cesse d’être une bête particulièrement astucieuse où l’astuce est utilisée pour tirer profit de l’autre bête. Parce qu’il n’a pas renoncé à la vérité il a été libre d’agir dans la connaissance et de vivre sans remords.

Au contraire l’homme qui se considère lui-même comme une bête astucieuse et vit pour gérer sa luxure à côté de l’autre, vit dans l’amertume d’une insatisfaction continue, dans la névrose de l’éros et du thanatos, rendu esclave de ses appétences animales, passionnantes dans son imagination, décevantes dans leur matérialisation et qui le plongent dans un remords traître.
Lope de Vega criait l’angoisse dans ces vers de « la Dorotea » (composée en 1632 – amours d’une jeune femme pour un pauvre poète et un homme ayant fait fortune en Amérique):

«Oh, gustos de amor traidores,
sueños ligeros y vanos,
gozados, siempre pequeños
y grandes imaginados»

« Oh plaisirs traîtres de l'amour
Rêves légers et vains,
Consommés, toujours petits
Et grands imaginés »

La question finale est si les dirigeants des destins du monde doivent être les bêtes astucieuses ou les animaux dignes, si nous voulons être respectés ou si nous devons permettre que l’astuce soit utilisée pour que l’on tire profit de nous.
La question est qu’allons-nous faire, chacun d’entre nous, sur qui allons-nous nous appuyer et quel esprit va nous faire bouger pour reconquérir cette dignité que la bête essaie de nous arracher depuis la Genèse de l’humanité ? En qui allons-nous avoir confiance ? Et allons-nous démontrer la confiance dans l’obéissance ? À qui allons-nous obéir et contre qui allons-nous nous rebeller et combattre ?
En définitive, il s’agit de choisir si nous voulons être des bêtes astucieuses ou des personnes dignes, si nous allons vivre avec comme but la gestion efficace de toutes nos « luxures » ou avec celui de trouver la vérité dans la charité. Liberté ou esclavage. Vérité ou tromperie. Vie ou mort.
Esteban Rodríguez Martín.