La liberté de parole en démocratie

Une tribune de Chantal Delsol, dans les pages "débats et opinions" du Figaro, à propos du film sur Mahomet, éreintée par Natacha Polony, une ex du même Figaro désormais passée à Europe 1. (21/9/2012)

Photo ci-contre issue du blog de Chantal Delsol.

Natacha Polony a été journaliste au Figaro - mais, comme Zemmour, elle était passée par Marianne, et a participé à une émission de Ruquier à la télévision, aux côtés d'Audrey Pulvar, ce qui laisse une nouvelle fois très songeurs quant à la pluralité de la presse. C'est la raison pour laquelle certains la tiennent en haute estime et croient qu'elle représente un courant droitier rafraîchissant dans le paysage médiatique français.
Depuis le mois dernier, elle fait la revue de presse dans la matinale d'Europe 1 (nouveau coup de canif à son image de gentille journaliste de droite), aux côtés d'un "meneur" tel que l'audiovisuel en produit à la chaîne, et qui la chahute (ou fait semblant) en raison de ses prétendues idées "de droite" .

Bref, sa réputation rend d'autant plus surprenante à un auditeur distrait sa sortie d'avant hier (19 septembre) alors que sa chronique-revue de presse était largement consacrée aux caricatures de CH.
Transcription, voir ici, vers 2':

On tombe des nues quand on lit la tribune de la philosophe Chantal Delsol dans les pages "Débats" du Figaro sous le titre "le sacré des autres doit être respecté".
Je cite: "la démocratie où l'on peut tout a impérativement besoin d'une courtoisie partagée, faute de sombrer dans des excès sans nombre".
En gros, pour la philosophe, parce qu'il y a un terrorisme intellectuel sur certains sujets comme la question du mariage gay, il faudrait respecter les tabous des autres, ceux des chrétiens aussi bien sûr (le aussi est souligné par le ton de la voix), et comprendre les salafistes choqués. Ben du coup, on aurait presque envie de dire "Merci Charlie".

C'est l'auditeur (le distrait!) qui pourrait tomber des nues en lisant Natacha Polony...
Et que viennent faire les chrétiens et le mariage gay dans cette galère? Le bref extrait du texte de Chantal Delsol cité (on pourrait dire découpé aux ciseaux) par Natacha Polony ne le dit pas, mais on comprend mieux en lisant l'intégralité de la tribune.
J'ai donc scanné l'article (non trouvé sur Internet, et agrémenté d'un beau dessin au crayon), sur l'édition papier du journal, achetée tout exprés.
Disons que je donne un bon point au Figaro, cette fois.

 

Le sacré des autres doit être respecté
Chantal Delsol, pour le Figaro
Débat, opinions, (édition du 19/9/2012)
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L’indignation est immense face à une manifestation d'à peine 250 personnes, qui ne laisse pas grands dégâts derrière elle (si l'on regarde tout ce que nous tolérons d'ordinaire sans sourciller en termes de voitures brûlées et de magasins pillés), mais qui impose au cœur même de Paris le spectacle insupportable de sectaires salafistes manifestant au nom de leur intolérance.
L'opinion française a le bon goût de ne pas (encore) identifier l'islam à ses extrémistes, et les médias précisent toujours, à juste titre, que l'islam dans son entier n'est pas un ramassis de salafistes (cette finesse élémentaire n'est pas manifestée pour toutes les religions ! Voyez comment on confond toujours volontairement les catholiques avec leurs inquisiteurs). Lorsqu'on constate l'ampleur des manifestations dans le monde musulman, on peut se poser la question de savoir s'il ne s'agit vraiment que d'une minorité active. Mais pour la France, c'est le cas.
Le gouvernement tonitrue en annonçant une énième loi (mieux vaudrait peut-être appliquer les lois en vigueur), et l'opposition vocifère en arguant que les lieux saints du Pouvoir ne sont pas suffisamment protégés.
Les salafistes ont manifesté parce qu'ils se considèrent comme injuriés.
Le petit film incriminé est une honte. On n'a pas besoin d'être musulman pour détester que le Prophète soit ainsi décrit.
Parodie infâme. Le sacré des autres doit être respecté, par respect pour ces autres. Les chrétiens peuvent avoir honte que des chrétiens aient commis cela pour le diffuser sur la planète entière.
C'est un acte de malotru que de jeter sur le marché un produit pareil.

On glose beaucoup sur le fait que nos sociétés seraient débarrassées du sacré, grâce aux Lumières, et ne se soumettraient plus qu'aux cohérences de la raison. Et l'on prétend que tout y est permis en termes de discours, et que par conséquent les religions n'ont qu'à supporter ce qu'elles considèrent comme des injures. Grande erreur. Derrière les Lumières, nos sociétés ont reconstitué tout un sacré de marché noir, qu'il faut révérer sans discontinuer faute de subir la chasse aux sorcières.
Non seulement toute parole n'y est pas libre, mais la loi punit les paroles interdites.
N'aurait-on pas toléré, ou plutôt encouragé et applaudi, une manifestation emmenée par le Crif pour protester contre un texte négationniste, ou une manifestation d'homosexuels pour protester contre un texte homophobe? Dans ces deux cas, l'intolérance est même si grande qu'il existe des lois rendant le discours délictuel. Alors comment expliquer aux salafistes qu'il leur faut, au nom de la démocratie, supporter un discours outrageant sur le Prophète, pendant que d'autres discours outrageants sont considérés comme des délits d'opinion ?

En réalité, les salafistes sont illégitimes à s'indigner, non pas parce qu'on ne doit s'indigner de rien, mais parce qu'ils le font au nom d'une religion. À partir du moment où ils exhibent dans la rue tous les attributs d'une spiritualité (doublée de machisme, ce qui aggrave leur cas), ils ne sont plus considérés comme des citoyens respectables à part entière, mais comme des sauvages à moitié humains qu'il faut seulement renvoyer à la niche.

Samedi dernier, au cours d'une émission de radio bien connue, un journaliste a dit à propos du mariage gay : « Il faut débattre, toutes les opinions sont respectables, sauf celle de Mgr Barbarin, qui l'est moins »... Nous voilà au cœur de la question. Il faut débattre, tout le monde peut parler, mais il y en a qui sont moins des interlocuteurs que d'autres. Ce qui signifie au fond : il faut débattre, tout le monde peut parler, enfin ceux que je désigne. Ce n'est pas la liberté de parler qui a été instaurée en France par les Lumières, mais c'est la substitution d'un sacré à un autre.


La démocratie doit défendre la liberté de parole, mais alors il faut la défendre pour tout le monde. Ce qui serait déjà une victoire, et pour autant ne suffirait pas. Car la démocratie où l'on peut tout a impérativement besoin d'une courtoisie partagée, faute de sombrer dans des excès sans nombre. Pour paraphraser Tocqueville, si la loi permet au citoyen de tout faire, au moins que la morale lui défende de tout oser. Autrement dit, la démocratie ne peut se déployer vraiment que dans des sociétés civilisées au point que le respect des croyances et des opinions soit une coutume et non une obligation. Comment les musulmans du monde peuvent-ils avoir envie de démocratie quand ils voient que non seulement nous érigeons encore des délits d'opinion, mais que devant le film L'Innocence des musulmans, ce sont les manifestations que nous blâmons, avant même de blâmer les auteurs du film ? On nous présente les salafistes comme des sauvages. Mais les auteurs du film incriminé ne sont pas bien civilisés non plus, si l'on entend par là cette altitude qui s'exprime par le respect des autres. Et pas davantage très civilisés, les chiens de garde français qui s'appliquent régulièrement à salir le christianisme.