La vierge, les Coptes et moi

Un film coup de coeur de Carlota (17/9/2012)

J’ai découvert, il y a peu, dans la plus petite des salles de mon cinéma de quartier, la petite merveille qu’est le film de Namir Abdel Messeeh: « La vierge, les Coptes et moi».
Je crois donc nécessaire d’encourager à aller le voir avant qu’il ne soit plus à l’affiche.

Bande-annonce

L'histoire (racontée par Carlota)

Namir, qui a une petite trentaine, vit à Paris depuis quinze ans. Son père et sa mère sont arrivés en France il y a environ un quart de siècle après l’avoir laissé à une tante d’un village égyptien reculé quant il n’avait que 40 jours. Puis une fois bien établis en France, ils sont venus le chercher. Depuis, Namir n’est jamais retourné dans son pays d’origine et pour lui la religion n’est vraiment pas sa préoccupation. Ses parents, eux, sont néanmoins restés bien imprégnés de leur foi, même s’ils ne pratiquent pas et ne fréquentent pas l’église copte orthodoxe de la région parisienne. Mais à l’occasion de la venue d’une parente qui ramène d’Égypte une cassette vidéo sur la dernière apparition de la Vierge dans ce pays (dans un gros halo de lumière au dessus d’une église), Namir, particulièrement sceptique, décide de partir tourner un documentaire sur ces phénomènes et obtient quelques crédits et un « timing » très serré de la part de son patron, un nommé Grégoire. Sa mère, très « mama » méditerranée, montre un terrible scepticisme sur les capacités de son fils à faire un film, puis elle l’accable de conseils et lui donne une interdiction formelle : Il est hors de question qu’il retourne dans le village maternel où vit encore la grand’mère, mais aussi la tante, les oncles cultivateurs, et tous les cousins, qu’il les ennuie avec ce sujet. Et surtout, surtout, il ne doit en aucun cas les filmer. En fils respectueux, Namir dit oui à tout (enfin presque), mais est bien décidé, de toute façon, à n’en faire qu’à sa tête.

Evidemment rien ne va se passer comme prévu. Au Caire Namir n’arrive pas à trouver des témoins des premières apparitions de Zeïtoun, en 1968 (des apparitions de la Vierge que même Nasser aurait vues d’après des Égyptiens musulmans ou chrétiens de la rue consultés bien que l’hypothèse aurait été aussi avancée que le phénomène lumineux provenait de projecteurs et avait pour but de faire oublier la défaite de 1967 contre Israël). Namir n’arrive pas à trouver d’éléments suffisants pour faire son documentaire, même pour les dernières apparitions de 2010. Il ne parvient pas non plus rencontrer les autorités religieuses pour filmer l’église. Pourtant il avait fait l’effort d’aller à la messe pour montrer sa bonne volonté (une très belle messe copte mais qui dure 4 heures et dans une chaleur d’enfer !). Le patron, le fameux Grégoire, que l’on ne voit jamais mais dont on entend la voix très parisienne et pédante au téléphone, peut faire penser à l’archétype des journalistes français (ou du système), faiseurs d’informations sur toute la planète, commence sérieusement à s’impatienter et reproche même à son jeune collaborateur de s’être payer un voyage touristique à ses frais. En désespoir de cause Namir décide de tourner non pas un documentaire mais un film de fiction sur le phénomène des apparitions en utilisant comme figurants des villageois et comme interprète de la Saint Vierge, une jeune fille du village. Et évidemment la distribution tout comme les scènes de tournage proviendront des lieux de l’enfance de Namir, et cela, malgré l’interdiction formelle de sa mère qui va d’ailleurs finir par arriver pour l’aider sur le terrain. Son fils vaincu déclare d’ailleurs (de mémoire) : «elle saura au moins gérer le budget du film car elle s’y connaît pour la gestion de l’argent, elle a été comptable à l’ambassade du Qatar à Paris.

Namir doit donc convaincre les villageois de participer au tournage et notamment il faut leur faire admettre qu’une jeune fille peut jouer le rôle de la Sainte Vierge (car c’est sûrement un péché). Finalement le cinéaste débutant, dûment « cornaqué » par sa terrible maman, la tante et le sacristain (un oncle), et le vieux curé de village, rencontre le jeune évêque de la région qui donne son aval. L’on découvre aussi en décor naturel la vie de ces courageux paysans égyptiens qui continuent à maîtriser l’irrigation comme le faisaient leurs ancêtres à l’époque pharaonique mais qui, eux aussi, comme nos petits paysans français, souffrent de la mondialisation. Ils ont l’or de la terre dans leurs mains et ils crèvent de misère. L’on voit aussi une magnifique et populaire procession mariale dans des petites rues, avec la Vierge portée à dos d’hommes et entourée de bannière, et cela ressemble tellement à ce qu’on peut vivre dans les villages d’Espagne par exemple, où le sérieux et la douce folie joyeuse s’emparent de tous en témoignage d’affection à la Mère du Christ. L’on profite aussi du déplacement pour faire tatouer la traditionnelle petite croix sur le poignet des enfants, et les jeunes gens avec leur premières économies se font faire de belle et grande représentation de la Vierge sur le bras, quand sur l’autre est déjà en bonne place Saint Georges, sept fois martyr, et modèle de vertu et de courage.
Enfin les premiers « rushes » du film sont projetés, à la plus grande joie de tous, dans la grande salle du village, puis c’est le départ des deux Parisiens. Grégoire appelle alors Namir sur son portable pour lui demander des nouvelles du « Printemps arabe » au Caire mais l’intéressé n’est même pas au courant des manifestations pris comme il l’était par son tournage à la campagne. Une dernière scène encore : un musulman dans un champ crie : « Je la vois, là ! » Effectivement de dos, sur le toit d’une maison, l’on distingue parfaitement la silhouette très reconnaissable d’une jeune femme vêtue de bleu et de blanc, qui regarde s’éloigner sur le chemin en terre, Namir et sa mère. Comme disent les Égyptiens, il y en a qui voient la Vierge et d’autres pas.

La critique de Carlota

Le réalisateur (que je ne connais pas du tout) a fait une œuvre de fiction, dans laquelle il mélange avec beaucoup de talent des aspects documentaires et des souvenirs autobiographique. Il s’est fait d’ailleurs aussi acteur et a entraîné une partie de sa famille dans l’aventure. Sous l’apparente naïveté (mais aussi magnifique et pudique amour pour son pays natal et sa famille) d’un gars qui vient de France et qui n’a pas plus forcément toutes les clefs et les codes pour comprendre un pays qu’il a quitté depuis longtemps, même s’il parle couramment et lit sans trop de difficulté l’arabe, Namir Abdel Messeeh réussit en effet à nous faire découvrir la complexité des réalités. Il ne cache pas la terrible situation des coptes devenus étrangers et de plus en plus minoritaires sur leur propre terre. Mais son film n’est pas là pour heurter et exacerber les antagonismes. Certes nous savons qu’il y a des situations profondément injustes, un passé extrême douloureux, et même en ce moment, nous avons l’impression qu’une terrible fatalité s’est abattue sur les chrétiens condamnés à disparaître dans certains régions du globe dans l’indifférence générale alors que les puissants de ce monde n’ont jamais autant parlé des droits et des respects de l’homme. Mais ce n’est pas ce message que le film veut faire passer.

Namir Abdel Messeeh fait bien mieux car, à sa manière, il montre d’abord la dignité des hommes et leur grandeur à travers les petits choses de la vie. Il fait parler des Égyptiens du peuple, en milieu urbain, comme rural, chrétiens comme musulmans, qui constatent tous que rien ne va plus comme avant. Un marchand musulman d’un bazar lui dira d’ailleurs : « cela va mal quand politique et religion sont mélangées ». Et puis sont aussi suggérés des points d’une certaine convivialité possible, malgré les antagonismes, des points sans doute ténus et quelques peu artificiels sans une véritable révolution des cœurs, mais qui peuvent exister en attendant, comme le passé égyptien et pharaonique commun (des Égyptiens chrétiens terriblement paupérisés qui fièrement déclarent: « Nous sommes les descendants des pharaons, nous étions là bien avant les arabes » et parlent avec des mots de poètes de leur beau pays), avec son pendant nationaliste et relativement laïc dont Nasser a été une grande figure ; une même misère sociale à combattre ; un amour de la Vierge, modèle de mère pour tous (qui semble être très vénérée également du côté des musulmans, même si l’idée qu’ils s’en font « théologiquement parlant » est bien sûr inexacte, a fortiori du fils qu’elle a engendré). Des notions qui nous rappellent étrangement le Liban et les mots prononcés en ce moment à l’occasion de la visite du Saint Père.

Conclusion :
Je ne sais pas si j’ai compris ce film et ce que Namir Abdel Messeeh a voulu dire (si je me suis trompée qu’il ne m’en veuille pas), mais en tout cas j’ai trouvé son œuvre formidable et je lui dis un grand merci. Je ne sais pas si « La vierge, les Coptes et moi » est actuellement projeté en Égypte et a quelque chance d’être vu dans les 57 pays musulmans où les chrétiens ne sont pas tout à fait, voire pas du tout, des « citoyens » ou des « sujets » comme les autres. Sont-ils d’ailleurs quelques parts comme les autres, à des degrés plus ou moins différents de tolérance évidemment, dans des pays dits libres et démocratiques (cf le lynchage médiatique récent de Mgr Barberin, évêque de Lyon et primat des Gaules, qui n’a pourtant fait que rappeler des évidences. Un lynchage qui permet peut-être aussi de ne pas avoir à parler du voyage du Pape au Liban, ou d’en limiter l’importance) ? Mais par contre je sais que Celle que certains voient et d’autres pas, est toujours là pour nous aider à poursuivre notre chemin de Croix, un chemin, combien douloureux, qu’elle a suivi avant nous (*).

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(*) Un film récent (ou tout au moins la bande annonce véhiculée sur internet) a provoqué (c’est ce que rapporte les médias) des émeutes sanglantes et même la mort d’un ambassadeur de la première puissance mondiale Des informations donnent à ce film des origines diverses dont celle d’un copte égyptien naturalisé nord-américain, vivant du côté d’Hollywood en Californie, et qui se vanterait de son « glorieux » exploit. J’ai peine à croire qu’un homme qui fait fonctionner sa foi et sa raison ait pu agir ainsi. Il ne suffit pas de se dire pour être. Et même si l’information est vérifiée, toutes autres motivations que celle de la foi, ont fait agir cet homme.
« Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font » (Luc 23 :34), a dit notre Seigneur crucifié.
Il ne faut pas non plus oublier qu’actuellement les coptes orthodoxes d’Égypte attendent la nomination de leur nouveau primat (le 118ème) sur le siège de Saint Marc, depuis le décès de sa Sainteté Chenouda III (cf. www.coptipedia.com) . Et dans quel contexte !