Le mariage dans la Grèce antique

«Rites et traditions au-delà des mystifications contemporaines, pour une éthique matrimoniale partagée entre l'hellénisme et le christianisme». C'est le titre et le sous-titre d'un essai de Francesco Colafemmina (Fides et Forma). Présentation sur le site Corrispondenza Romana, et interviewe de l'auteur (6/11/2012)

>>> Livre disponible via le site Fides et Forma

     

Le livre est en italien.
Les livres sont évidemment prioritairement faits pour être lus. Mais accessoirement, et ce n'est pas négligeable, pour que l'on parle d'eux. C'est ce à quoi j'essaie de contribuer par mon modeste travail de traduction. Car il n'est pas indifférent que ce livre soit paru il y a 4 mois... et qu'il faille en parler justement maintenant.

Présentation (CR)

Le mariage dans la Grèce antique, par Francesco Colafemmina
http://www.corrispondenzaromana.it
30.8.2012
Gianandrea Antonellis
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«Rites et traditions au-delà des mystifications contemporaines, pour une éthique matrimoniale partagée entre l'hellénisme et le christianisme», énonce le sous-titre du livre de Francis Colafemmina (Le mariage dans la Grèce antique), qui rend de diverses manières hommage à la Tradition. Tout d'abord parce qu'il se présente aussi comme un hommage sponsal. Au XVIIIe siècle, la coutume dans beaucoup de familles cultivées, était de publier, à l'occasion des noces, un livret en vers, un court texte ou un extrait d'un ouvrage rare. Et Colafemmina, à l'occasion de son mariage, publie un essai accompagné par la répétition des Préceptes conjugaux de Plutarque.

Mais l'hommage du savant italien à la tradition consiste avant tout à souligner, en analysant chaque détail, la similitude entre la culture matrimoniale (et sexuelle) de la Grèce antique et celle de la civilisation chrétienne occidentale, réussissant à démonter un certain nombre d'idées fausses alimentées notamment par certains essayistes (Colafemmina cite le sociologue Michel Foucault, l'helléniste Eva Cantarella et le philologue anglais Kenneth Dover) selon lesquelles l'homosexualité - ou tout au moins la bisexualité - aurait été une pratique courante dans la vie quotidienne des Grecs. Colafemmina fait à juste titre observer que les épigrammes prurigineux de l'Anthologie Palatine, les peintures retrouvées sur certains vases ou l'homosexualité notoire de figures comme Anacréon ou Alcibiade, ne prouvent pas la propagation «institutionnelle» de l'homosexualité dans l'antiquité grecque, mais seulement son existence, généralement limitée «aux endroits d'où les femmes étaient exclues, comme les gymnases et les champs de bataille».

En d'autres termes, poursuit l'auteur, il serait erroné de faire passer pour habituelle l'homosexualité dans la Grèce antique, tout comme il le serait de l'attribuer à notre société actuelle , si un jour nos descendants n'avaient accès qu'aux films de Pasolini, et aux publicité de Dolce & Gabbana ...

En plus, pour les épigrammes cités (dont les auteurs sont évidemment homophiles) ou les peintures érotiques sur les vases (créés exprès pour s'amuser dans les symposium et non pour une exposition quotidienne, constituant l'équivalent des films pornographiques d'aujourd'hui) on ne peut certes pas parler de reproduction de la vie quotidienne.

En fait, à ces exemples de clin d'œil envers l'homosexualité, on peut opposer des exemples beaucoup plus concrets de condamnation: dans l'oraison 'Contre Timarque' d'Eschine, on parle explicitement de sexualité «selon la nature» et «contre nature»; la législation athénienne était très rigide contre la pédophilie (ce qui veut dire qu'elle existait, mais n'étaitcertes ni appréciée ni tolérée); Aristophane réserve dans certaines de ses comédies des attaques féroces aux des homosexuels notoires.

Mais la condamnation la plus explicite se produit dans «Les lois» de Platon (636c) dont les paroles pourraient être reproduites dans n'importe quel écrit d'un auteur chrétien, montrant que la loi naturelle a toujours été reconnue par les grandes civilisations. Du reste - au-delà des interprétations erronées ou de mauvaise foi - alors comme à notre époque, l'amitié entre deux hommes ou entre un homme et un enfant, ne devait jamais déboucher sur une pulsion physique: en effet, ni Homère ni Hésiode ne font d'allusion à l'homosexualité, et tant pis pour ceux qui voudraient voir en Achille et Patrocle, les premières «familles de fait».

Platon, encore lui, confirme dans la République (403b) ce qui a été mentionné dans l'Euthyphron (282b) et le Symposium (IX), affirmant que seul l'amour vrai, l'amour noble qui lie le disciple au maître, au nom de la sagesse et de la vertu doit être loué et recherché, et Xénophon rapporte le jugement sévère de Socrate sur la pédérastie, définie comme «passion d'esclaves, indigne d'un homme bon et noble », et comme «une maladie des porcs»

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Entretien avec l'auteur (Tempi)

Mon chaste et hétérosexuel mariage grec
http://www.tempi.it
5 Novembre 2012
Valerio Pece
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C'est ainsi que le jeune philologue Francesco Colafemmina démonte à coups de Plutarque, Platon et Aristophane tous les clichés sur la sexualité hellénique gay. Souvent bricolés par des spécialistes trop «impliqués» et déformés par notre manie de tout érotiser.

«C'est incroyable de voir à quel point il est devenu difficile d'expliquer que le mariage n'est pas une création du christianisme, et que par conséquent, lorsque l'Eglise le défend, elle ne défend pas quelque chose qui est à elle. Et combien il est pénible de clarifier que l'éthique sexuelle des Grecs de l'Antiquité n'est pas la même que celle du marquis de Sade ou d'un quelconque Cecchi Paone» (ndt: un journaliste italien homosexuel déclaré, qui avait révélé avoir eu des relations sexuelles avec un joueur de football) déclare à Tempi Francesco Colafemmina, philologue et helléniste, auteur du livre: 'Le mariage dans la Grèce antique'.
Le livre - «formidable, plein de citations étonnantes et d'une écriture brillante», selon l'écrivain et journaliste Antonio Socci - brise les clichés traditionnels d'une Grèce classique libre et gay, dont la félicité aurait été étouffée par l'avènement de la sombre morale chrétienne. Il a contre lui pas mal d'érudits, Francesco Colafemmina, mais il a pour lui une documentation qui crie vengeance, et les citations accablantes de ses bien-aimés auteurs grecs. «C'est pourquoi - dit-il - si le but caché d'une certaine propagande était de renverser l'ordre fondé sur le mariage entre l'homme et la femme, le temps est venu d'un surplus d'efficacité, de clarté et de courage».

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- Colafemmina, des universitaires de renom tels que Michel Foucault (Histoire de la sexualité), le célèbre professeur d'Oxford Kenneth Dover (L'homosexualité dans la Grèce antique, Harvard University Press), jusqu'à Eva Cantarella (Selon la nature. La bisexualité dans l'Antiquité) ont écrit des livres avec une thèse très claire dès leurs titres. La conséquence en est que, dans les cinquante dernières années, l'ensemble du système universitaire - et en premier lieu, de nombreux jeunes - a été bombardé avec cette théorie: les femmes grecques avaient des maris souvent bisexuels et/ou des pédophiles. Qu'y a -t-il de vrai?
- Plutôt qu'une théorie, c'est maintenant un «dogme de foi». On peut y répondre de deux façons au moins: il y a la «voie biographique», très révélatrice mais que dans l'essai je n'ai pas parcourue, et il y a une voie plutôt basée sur les écrits authentiques, je dirais entre guillemets d'auteurs grecs.

- Si elle est révélatrice et inédite, commencez par la «voie biographique».
- Eh bien, est-ce un hasard si plupart des universitaires qui ont lancé ces idées sont homosexuels? Le philosophe Michel Foucault, professeur au Collège de France, la plus prestigieuse institution culturelle française, est mort du sida en 1984. John Boswell aussi, professeur à l'Université de Yale et activiste gay (à Yale, il a organisé le Centre pour les études gay et lesbiennes), qui toute sa vie a essayé de concilier la morale catholique et la conduite gay (voir son livre 'Christianisme, tolérance, homosexualité. L'Eglise et les homosexuels des origines au XIVe siècle), est décédé du sida à l'âge de 47 ans, à la veille de Noël 1994. Et la liste des chercheurs avec des biographies «intéressées» serait encore plus longue.

- Si l'on gratte ces biographies, on voit se matérialiser le verset que Dante dédie à Sémiramis, celle qui «libido fé licito in sua legge» (ndt: la luxure qu'elle fit licite dans sa loi - Semiramis, reine légendaire de Babylone, est rencontrée par Dante dans le deuxième cercle de l'enfer, dans La Divine Comédie). Mais venons-en aux textes. Qu'écrivent, vraiment, les auteurs grecs sur l'homosexualité?
- En fait, c'est le point crucial. Il est essentiel, cependant, de prendre d'abord un peu de recul. Selon le dogme qui prévaut actuellement, dans la Grèce antique, la pédophilie (ou éphébophilie) aurait été au centre d'un véritable rite d'initiation: l'homme adulte, l'éraste, avait des relations sexuelles avec l'adolescent, l'éromène, et, ce faisant, le formait aussi spirituellement. Nous comprenons bien que dans la perspective d'une formation spirituelle de l'adolescent, avoir des relations pédophiles était un mérite! De là, on est passé ensuite à définir le dogme de l'absence d'une «morale sexuelle» dans l'Antiquité classique à travers la proclamation de l'homosexualité comme quelque chose de naturel.

- Pardon, Colafemmina, est-ce une coïncidence si l'oncologue Umberto Veronesi( chirurgien italien de renommé international; politiquement proche du parti socialiste, il est "ouvert: favorable à l'euthanasie; contre l'avortement mais favorable à la pillule RU 86; pour la dépénalisation des drogues légères; pour les OGM et l'utilisation de l'énergie nucléaire; etc.. Bref, pour nous, français, un mélange pas forcément cohérent, mais c'est quelqu'un qui ne craint pas de sortir de son domaine de compétence et de donner son avis sur tout) a affirmé récemment que les homosexuels, contrairement aux hétérosexuels, vivaient un «amour pur» parce qu'il ne visait pas à la procréation, donc un amour spirituel?
- Il ne s'agit pas d'un hasard, c'est exactement le même vision folle. Mais attention: l'amour pur et spirituel n'est rien de plus que ce que les gay de l'époque revendiquaient pour justifier leurs pratiques dans un contexte social qui au contraire les condamnait résolument. L'erreur est que ceux qui répètent ces arguments aujourd'hui ne font que répéter ce que disaient les auteurs homosexuels de la Grèce classique. Ou ils ne font que redire ce que Platon fait déclarer à certains de ses personnages déjà connus dans l'antiquité comme des homosexuels (comme Pausanias dans le Banquet) mais pour démonter leurs arguments et soutenir le contraire.

- Comme dire que Manzoni pensait comme Don Rodrigo (ndt: personnage de 'I promessi sposi') ... Pouvez-vous nous expliquer alors pourquoi dans l'imaginaire collectif, Platon passe pour un authentique gourou de l'homosexualité?
- La promiscuité sexuelle est typique de certains milieux aristocratiques athéniens et Platon nous raconte aussi cela. Pourtant, plus de la satisfaction de notre pruderie historique, nous devrions nous occuper de ce que Platon a vraiment écrit à propos de l'homosexualité: quatre cents ans avant Jésus-Christ, deux mille ans avant le Catéchisme de l'Eglise catholique, Platon a écrit que l'homosexualité est «contre nature». Dans les Lois (636, c), par exemple, on lit explicitement: «Le plaisir des hommes avec les hommes et des femmes avec les femmes est contre nature et cet acte imprudent découle de l'incapacité à dominer le plaisir». On ne saurait être plus clair! La vérité est que, dans la Grèce classique homosexualité n'était pas aussi répandue qu'on le croit, et plus important encore, n'a pas été institutionnalisé. Eschine, orateur athénien et homme politique du IVe siècle avant Jésus-Christ dans l'Oraison 'Contre Timarque' écrit qu'à Athènes, il était interdit d'ouvrir des écoles et des gymnases dans l'obscurité pour que les enfants soient toujours surveillés; et que, même avec le consentement de la famille, il était interdit de donner une jeune à un amant homosexuel afin d'obtenir en échange de l'argent ou d'autres avantages. Eschine écrit qu'il était même interdit aux adultes de pratiquer ouvertement l'homosexualité. Il est intéressant de noter que les homosexuels étaient appelés par des noms vraiment très forts: cinedi (kinaidos au singulier), littéralement «celui qui suscite la honte» ou, pour d'autres, et dans un sens encore plus réaliste, «hontes».

- Cela signifie que dans la Grèce des quatrième et cinquième siècles avant JC, quelqu'un comme Cassano (joueur de football de l'AC Milan accusé de propos homophobes) n'aurait pas été obligé de présenter des excuses à genoux sur des pois chiches?
- Regardez, il suffit de lire Aristophane pour faire de Cassano un enfant de chœur. Célèbre est le répertoire que nous appellerions aujourd'hui homophobe, que le dramaturge grec dédie aux gay de son temps. Nous parlons d'épithètes tels que lakkoproktos, katapygon, euryproktos, mots absolument intraduisibles. Bien autre chose que les «cassanate» (néologisme affectueusement attribué par la presse transalpine aux dérapages incontrôlés du joueur).

- Soyez gentils, traduisez. Les spécialistes pourraient vous reprocher de ne pas être un philologue rigoureux.
- Confiant dans la liberté de ton de cet journal, je peux dire que, par exemple, euryproktos peut se taduire par «culaperto» (je ne traduis pas en français, car cela me semble assez clai!). Expression typique de la suspension des règles opérée par la comédie, mais certainement pas gay-friendly. L'homosexuel était un caractère comique et si nous devions suivre la théorie de Bergson, nous pourrions dire que le rire de la comédie est un ciment social.

- Alors d'où vient le mythe de l'homosexualité courante dans le monde grec?
- Les nombreuses personnes qui étaient de mauvaise foi (souvent parce qu'elles étaient gay), nous ont fait marcher, nous l'avons dit; celles qui étaient de bonne foi, en revanche, ont fait l'erreur caractéristique de notre époque, de «sexualiser» tout et trop . Le «je t'aime» trouvé dans les lettres de Leopardi à Ranieri ou ceux de Fronton à Marc-Aurèle, l'amitié de Patrocle et Achille ou d'Euryale et Nisus (sans parler de Montaigne et La Boétie!!), sont immédiatement devenus «des indices clairs d'homosexualité».. Simplement, nous lisons ces échanges d'affection amicale et profonde avec les yeux malades aujourd'hui, interprétant mal d'authentiques amitiés, saines et très pures. C'est une erreur et, en même temps, une grande perte. Ce n'est pas un hasard que de nos jours, nous avilissions l'amitié et sa valeur à une demande d'un contact sur Facebook.

- Que nous dites-vous de la place de la figure de la femme dans la Grèce antique? Son rôle était-il vraiment nettement inférieur à celui d'une femme contemporaine, ou bien ici aussi, y a-t-il un mythe à dissiper?
- Mise à l'écart, la femme, je dirais, pas vraiment. Pensons aux fêtes religieuses à Athène, aux cinquième et sixième siècles: on a calculé qu'il y en avait 150 par an.... Entre elles et un peu de shopping, les jeunes filles d'Athène ne manquaient certes pas d'occasions d'apercevoir et de sourire aux prétendants potentiels. Et puis, il y avait des stratagèmes privés contribuant également au choix du mari.

- Vous faites allusion au «café de la consolation», dont vous parlez dans votre essai?
- Oui, par exemple. C'était une tradition vivante jusqu'à il y a quelques années en Grèce. Le prétendant, le gambròs, se rendait dans la maison de la jeune fille pour rencontrer son père et peut-être se mettre d'accord sur les termes de la dot. La particularité était dans le salon où le jeune homme était introduit (le Musée de Kastoria, au Nord de la Grèce, en conserve un beau). Caché par une cadre, un trou dans le mur permettait à la jeune fille de voir celui qui était venu là pour demander sa main. Si le jeune homme ne lui plaisait pas, on lui servait un café très sucré, le café de la consolation, justement. Le jeune homme n'avait pas la main de la jeune fille, mais retournait chez lui avec la bouche sucrée.

- Pourtant, on insiste sur le fait que la femme n'était pas l'égale de l'homme.
- C'était l'ordre de la société traditionnelle, on ne peut pas et on ne doit pas parler de retard ou de discrimination. C'est ridicule de regarder avec un froncement de sourcils féministe et post-moderne la condition de la femme dans la Grèce antique: ce rôle et cet ordre de la famille constituent le fondement de la société qui nous a donné les plus grandes oeuvres de génie de l'histoire. Plus: elles sont le fondement de la société qui a fondée la civilisation occidentale. La catégorie de l'émancipation est anachronique et nous n'avons pas le droit de juger. Entre autres choses, cette société et ce rôle des femmes ne sont rien d'autre que ceux de notre société rurale jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, dont nous sommes directement issus. Ce n'est qu'aujourd'hui que beaucoup d'ex-féministes, en particulier aux États-Unis, où le thème suscite des publications très intéressantes encore peu connues chez nous, commencent à réaliser à quel point le mouvement féministe a été une arme utile au capitalisme pour asservir la femme, plus que pour lui offrir une pleine réalisation.

- Quelles sont les similitudes entre le mariage chrétien et le mariage grec?
- Elles sont très fortes. Là, nous pouvons être plus précis parce que nous sommes beaucoup aidés par 'L'Economique' de Xénophon ). Comme pour le catholicisme, pour la Grèce classique aussi, la finalité principale du mariage était la procréation. L'Athènes du IVe siècle avant J.-C. voyait le fait d'avoir des enfants comme une «grâce de Dieu». Toujours d'après Xénophon, nous savons que l'autre but du mariage était l'éducation des enfants. Donc, pour les principaux objectifs, nous sommes parfaitement en ligne avec les enseignements de la doctrine catholique dans Gaudium et spes. Et pas seulement cela, dans le mariage grec il y a aussi l'objectif de la chasteté conjugale. En plus de Xénophon, le sophrosyne, un concept très similaire à celui de chasteté, se trouve dans Plutarque et chez des auteurs comme Chariton d'Aphrodisias.

- Alors, où est la différence?
- Par certains aspects, on peut la trouver dans l'indissolubilité, élément que le christianisme a apporté à sa plénitude, et purifié. Le mariage des anciens Grecs n'était pas juridiquement indissoluble, comme pour les chrétiens. Pourtant, même sur cette question, ce qu'on ne lit généralement pas, c'est que la relation monogame est en quelque sorte inhérente à la culture grecque. il suffit de lire Andromaque (v. 11-179), où Euripide se lance dans un éloge très noble de la fidélité monogame, comme le fait aussi dans Alceste. mais c'est peut-être chez Plutarque que l'on trouve le plus bel éloge du lien sacré: dans Amatorius (767 D-E), il en vient à affirmer que l'affection pour l'épouse est «semblable à la participation aux grands rites sacrés».

- En effet, en lisant Plutarque de Chéronée, on a l'impression d'être en face d'un auteur chrétien, nous ne sommes pas loin du zèle et du pathos des lettres de Saint-Paul. «Les Préceptes conjugaux» - oeuvre de Plutarque que vous reproduisez intégralement dans l'annexe de votre essai - peuvent-ils être considérés comme un résumé de la vision que la Grèce classique avait de l'éthique matrimoniale?
- Les Préceptes conjugaux (Gamikà Paranghélmata) sont en fait un incroyable lecture, si l'on pense qu'ils viennent de une source païenne. Ils ont été composés par Plutarque à l'occasion du mariage de deux de ses élèves, Polliano et Eurydice, dans le premier siècle après Jésus-Christ. Il s'agit d'une oeuvre agile et extrêmement plaisante, un traité sur la vie conjugale riche de maximes, d'amour, de conseils pratiques et de récits exemplaires, presque un livre de sagesse s'il n'y avait pas la joie qui l'imprègne. Un ouvrage que personnellement, je ferais lire dans les cours pré-matrimoniaux, souvent si fades. Certes, les Préceptes conjugaux représentent bien ce qu'était l'éthique matrimoniale pour les Grecs de l'Antiquité, nourrie de valeurs solides, de rapports essentiellement monogames caractéristiques d'une solide civilisation paysanne, valeurs par la suite transférées dans la société chrétienne, et anoblies par son éthique. Ce n'est pas un hasard si l'oeuvre de Plutarque sera reprise plus tard par des auteurs chrétiens tels que Hugues de Saint-Victor (De amor sponsi adt sponsam) et saint Jérôme (Adversus Iovinianum).

- Colafemmina, quel est le but ultime de votre essai?
- En réalité, il s'agit d'un vœu. Le voeu qu'une synthèse élevée entre une morale hellénique retrouvée et l'éthique catholique puisse offrir un miroir pour refléter l'héritage inestimable que nous avons reçu du monde classique. Et que l'on voie aussi le risque de se précipiter dans la direction opposée, celle de l'abîme.