Le nid du corbeau (I)

Un article du vaticaniste du quotidien allemand Die Welt, Paul Badde. A part une hostilité incompréhensible envers la "gouvernante du Pape", Ingrid Stampa, il brosse un tableau crédible des faits émergés du procès Vatileaks, et réduit à néant les arguments de Nunzi dans sa lettre au Pape. (8/10/2012)

Aricle original en allemand: http://www.welt.de/politik/ausland/article109638298/Das-geheimnisvolle-Archiv-des-Papst-Butlers.html
Traduction VB.

L'article reprend aussi des éléments de l'interviewe d'Ingrid Stampa dans Il Corriere della Sera du 3 octobre dernier (voir texte intégral en italien ici, et note §1).

 

Les mystérieuses archives du majordome du Pape

Devant le tribunal, Gabriele, le majordome du Pape, livre franchement les informations sur les documents volés - attitude sans doute dûe aussi à son intelligence limitée.
Ce qui vient à la lumière est digne d'un roman.
Paul Badde
Die Welt, 4/10/2012
---------------------

Comme majordome, Paolo Gabriele (46 ans) était l'homme effacé au fond de l'appartement papal, versant silencieusement le thé, faisant les valise lors des voyages, assis à l'avant, à droite, dans la voiture, toujours silencieux.

Mais en réalité, comme on le voit maintenant au tribunal, c'est un vrai moulin à paroles. Ce fut sa perte, encore plus que l'énorme fossé d'intelligence et d'éducation qui séparait l'ancien balayeur de Saint-Pierre de l'homme le plus intelligent et le plus cultivé du Vatican et des autres collaborateurs du Pape. Et cela faisait du gardien des secrets sur deux jambes qu'il était une source hautement appréciée pour tout le monde - tous ceux qu'il rencontrait et vice-versa.

Paolo Gabriele présentait donc un aspect tout à fait ordinaire, que l'on retrouve encore aujourd'hui dans son costume élégant et sa coiffure impeccable, et un chaos inimaginable dans son âme, comme le contenu de l'armoire énorme où il accumulait les masses de documents cachés qu'il avait volés au Pape et recueillis comme un corbeau, pendant de nombreuses années.


Une bombe à retardement dans le Palais
-------------------
Il était depuis le début une bombe à retardement dans le Palais Pontifical, depuis que Mgr Paolo Sardi l'avait recommandé.

Ingrid Stampa, en revanche, l'ancienne confidente du Pape (§1), qui a depuis des années juré à Joseph Ratzinger-Benoît XVI de ne jamais donner d'interview, s'est exprimée assez largement dans le "Corriere della Sera" de Milan, après que Paolo Gabriele ait déclaré au tribunal qu'elle-même et le cardinal Sardi étaient parmi les gens au Vatican en qui il avait confiance, et qui avaient une certaine «influence» sur lui.
Il ne les a jamais qualifiés de «complices», mais il avait parlé avec eux du «climat général». En tous cas, tous deux figuraient parmi les premiers noms qu'il avait cités, et qui s'inscrivaient dans ce réseau jusque-là anonyme d'une vingtaine de personnes, dont il avait parlé en Janvier, participant, le visage caché, à l'émission de télévision du journaliste Gianluigi Nuzzi, et répondant à une question sur l'existence d'éventuelles personnes dans l'ombre de sa trahison des secrets.

«S'il m'avait parlé de ce qu'il faisait, je lui aurais dit, arrête!» a déclaré mercredi la Professeur Stampa. Au Vatican, elle vit dans la même maison que la famille Gabriele, deux étages en dessous, et elle le connaît très bien.

«Une autre solution»
----------------
«Peut-être aurions-nous trouvé une autre solution. Il aurait pu parler de son trouble avec le Saint-Père , ou peut-être l'aurais-je fait pour lui, mais comme ceci .. Non!»
- Le rapport (cf. Die Welt du 15 Juillet) dans le cadre de l'affaire Vatileaks où votre nom a été relevé pour la première fois, et qui a été présenté samedi à la demande de la défense de Gabriele dans l'enchevêtrement des dossiers, vous le trouvez, trois mois après la publication, «tout simplement ridicule».
- Ce sont des délires, des calomnies. (ndt: en réalité, elle dit qu'elle sait qui en est l'auteur, et que, comme elle est une personne de foi, elle s'est mise à prier pour lui.)

Elle aurait voulu que Gabriele s'explique mieux sur ses motifs: «Si seulement il avait parlé avec quelqu'un, tout cela ne serait pas arrivé».
Ce manque d'échange ne peut cependant pas expliquer que le serviteur infidèle ait trahi la confiance du Pape de façon aussi dramatique, comme il l'admet maintenant, et le regrette.
Mardi, il a déclaré devant le tribunal que le trajet de trois minutes que ce père de famille de 46 ans devait parcourir à pied après son service pour rentrer à son appartement, se prolongeait parfois jusque dans l'après-midi car il conversait souvent avec l'une ou l'autre de ses connaissances.

Un comportement obsessionnel n'est pas exclu
-------------------
Lors de son interrogatoire, il avait déjà cité un certain nombre de noms. Il avait parlé d'un «grand nombre de personnes» parmi lesquelles il ne cite plus désormais que le cardinal Paolo Sardi, le cardinal Angelo Comastri, Mgr Franceco Carina et le Professeur Ingrid Stampa. D'après sa connaissance de Gabriele, elle pense qu'il était peut-être manoeuvré.
Selon elle c'était un homme «qui aimait à étudier beaucoup, et seul», et qui avait «recueilli» tout ce matériel afin de se faire une «idée de la situation». Une sorte d'obsession dans son comportement ne serait pas à exclure. «Il s'agit d'une personne qui raisonne, et observe bien. Il évalue les choses».
Cette appréciation de la voisine de Gabriele et ex-confidente du Pape (selon un article de la «Frankfurter Allgemeine Zeitung» du 25 Juillet, cependant, on lui a maintenant retiré la clé de l'ascenseur, qui ces dernières années, lui permettait de venir librement dans l'appartement du Pape) (§1) contraste grandement avec les déclarations des policiers qui ont relaté mercredi la perquisition de l'appartement de Gabriele, le 23 mai, quand ils ont, en 8 heures de temps, de 3 heures de l'après midi à 11 heures du soir, sorti de l'appartement et mis en sûreté 82 caisses de documents .
Dans cette pléthore de matériel se trouvaient mélangés en vrac, des centaines de documents en provenance du Palais apostolique, des copies ou des originaux (certains avec la note manuscrite en allemand "à détruire").

Le temps était beaucoup trop court
------------------
Quatre policiers ont dressé le procès-verbal, selon lequel ont été mis en sûreté un PC, ainsi que deux ou trois ordinateurs portables, des clés USB pouvant mémoriser d'innombrables données, deux disques durs, les puces de mémoire différentes, une Playstation et un iPad.
Théoriquement, ces supports de stockage, en plus de textes, contiennent également des images et des enregistrements audio. Lors de l'interrogatoire, il n'a pas été précisé si ces données avaient déjà été exploitées. Mais en fait, le temps écoulé entre l'arrestation de Gabriele et aujourd'hui était beaucoup trop court.
Les documents et le matériel dans son appartement dépassent en tout cas de loin la quantité utilisée par Gianluigi Nuzzi pour son livre best-seller, élaboré à partir des documents volés fournis par Gabriele, et on doit aussi se poser sérieusement la question de savoir si Gabriele n'avait pas l'intention de partager ces documents avec d'autres.
Cela, il semblerait que la police du Vatican l'ignore.
«Voyez comme j'aime lire?» a dit Gabriele aux agents lors de la perquisition «Voyez-vous à quel point j'étudie? Dommage que je vous donne autant de travail à la dernière minute».
------------------

à suivre

Note

(§1) La lecture de l'interviewe de madame Stampa invite à moduler quelque peu les propos de Paul Badde, qui affirme, citant un quotidien allemand, qu'elle n'a plus un accès direct à l'appartement du Pape.
Or, voici ce que dit Il Corriere (l'article est signé par le très fiable Gian Guido Vecchi):

* * *

Ingrid Stampa est parfois décrite comme l'"ex-gouvernante" du Pape, mais c'est une définition réductrice: professeur, spécialiste de musique médiévale et de viole de gambe, elle supervise les traductions italiennes et le travail d'édition d'une quantité d'oeuvres de Joseph Ratzinger.
Quand en juillet, le quotidien allemand Die Welt (ndt: et paul Badde!) relia Vatileaks à un climat d'«envie» au sein du Vatican, citant même son nom, on en vint à dire qu'elle avait été éloignée de la Secrétairerie d'Etat et était tombée en disgrâce. Mais Ingrid Stampa continue à travailler à la Secrétairerie d'Etat, et dans l'intervalle, comme elle l'avait fait pour les deux premiers, elle a fini de traduire en italien et supervisé l'édition du très attendu troisième volume de "Jésus de Nazareth" sur les évangiles de l'enfance... Nouvelle qui a résonné comme la confirmation de la confiance de Benoît XVI pour sa collaboratrice historique.