Le Pape au Liban:Une feuille de route pour la paix

Une interviewe du cardinal Tauran dans l'OR. Ma traduction (26/9/2012)

Image ci-contre: Il Sussidiario (une autre interviewe, datant de novembre 2010, déjà sur le thème du dialogue avec les musulmans)

Il faisait partie de la suite papale au Liban, comme président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux.
Il n'est pas réputé pour être un ratzingérien de pointe, et son hommage à Benoît XVI, qu'il qualifie de "prophète" n'en a que plus de prix.

On peut penser que sa position tient de l'angélisme (cependant, son expérience du terrain est indéniable), mais en ce moment où les boutefeux de tous poils cherchent par tous les moyens à attiser les braises, chaque parole d'apaisement est bienvenue.

Article en italien sur le site de Raffaella.
Ma traduction.

 

La feuille de route pour la paix.
Entretien avec le cardinal Jean-Louis Tauran, sur le voyage du pape au Liban
Mario Ponzi
-------------------------
Benoît XVI a montré le chemin de la paix. Maintenant, c'est à ceux qui ont entre leurs mains le destin du Moyen-Orient de décider s'il convient de l'emprunter - et ainsi mettre un terme à la souffrance des peuples qui vivent dans cette région troublée - ou de continuer à céder la place à la violence, alimentée par l'instrumentalisation des convictions religieuses qui n'ont rien à voir avec la violence. Cette conviction, le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, l'a développée au cours de ses nombreuses années d'expérience à la tête du Dicastère vatican: chrétiens et musulmans n'ont pas aujourd'hui, et ils n'en ont jamais eu, de problèmes de coexistence dans la vie de tous les jours. «Les problèmes - dit-il dans une interview à notre journal au retour du voyage du pape au Liban , auquel il a participé en tant que membre de la suite - sont autres. Beaucoup sont causés par le fondamentalisme, un ennemi non seulement pour les chrétiens mais pour les musulmans eux-mêmes».

- Avant de partir pour le Liban, vous nous aviez parlé du «dialogue de la vie quotidienne» entre chrétiens et musulmans, différent du dialogue qui est mené dans les commissions officielles. Ayant vécu l'expérience du voyage du Pape, pouvez-vous nous dire si et dans quelle mesure ce dialogue pourrait être déterminant pour la coexistence de ces deux réalités religieuses au Moyen-Orient?

- Je dirais qu'à ce moment, cette forme de dialogue est montée d'un ton et a impliqué aussi les dirigeants. Pour s'en convaincre, il suffisait de voir avec quelle familiarité et quelle chaleur les chefs des quatre principales communautés musulmanes ont accueilli le pape et l'esprit d'amitié qui a caractérisé la rencontre au palais présidentiel. Ils ont été les premiers à dire qu'il est impossible de concevoir un Liban sans chrétiens. Le mufti sunnite lui-même, précisément à la fin de la rencontre, a explicitement demandé au pape de lancer un appel à tous les chrétiens à ne pas quitter le Liban. Une chose très importante, en plus d'être belle. Et Benoît XVI, soulignant l'exemplarité du Liban, a demandé de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour exporter le modèle au-delà des frontières du Moyen-Orient. Donc, dans ce sens, ce fut une rencontre très positive.

- Et les jeunes chrétiens et musulmans, accueillant ensemble le pape, ont fait une démonstration du caractère concret de ce modèle.

- Je dirais que oui. La rencontre avec les jeunes a été très significative. Ils ont montré que la coexistence pacifique entre chrétiens et musulmans n'est pas une utopie. L'enthousiasme de cette jeunesse, habituée à cohabiter dans la souffrance imposée par la haine, m'a profondément ému. Ils étaient côte à côte pour célébrer le pape et crier: «nous t'aimons». Tout comme j'ai été ému par la douceur de ce pape, âgé, mais jeune dans son âme, qui semble être parfaitement à l'aise avec les jeunes. Il compte beaucoup sur eux et cela se voit dans toutes les circonstances

- Vous avez parlé de la douceur du Pape. De nombreux commentateurs ont souligné cependant de manière particulière son courage.

- J'ai ma propre conviction: le pape appartient à la lignée des prophètes. Une lignée qui n'a peur de rien parce qu'elle sait où doit aller la lumière. Benoît XVI sait où apporter la lumière et il le fait.

- Dans quelle messure cette visite pourra-t-elle influer sur les futurs développements du dialogue entre chrétiens et musulmans?

- Pendant ce temps, Benoît XVI a une nouvelle fois démontré beaucoup de respect pour l'islam et sa culture. De plus, il a souligné avec vigueur la contribution apportée par les chrétiens, avec les musulmans, à la naissance et à la formation de la culture arabe en général. Il a ravivé le souvenir de l'époque où les chrétiens et les musulmans ont vécu ensemble dans de nombreux endroits. Il croit en la possibilité d'un retour à cette cohabitation.

- D'une tonalité complètement différente, le jugement sévère contre le fondamentalisme.

- Le fondamentalisme est un ennemi commun pour les chrétiens et pour les musulmans eux-mêmes. Il détruit plutôt que de construire. Qu'il suffise de dire que, pendant qu'au Liban nous vivions cette belle expérience du dialogue entre chrétiens et musulmans, dans d'autres parties du Moyen-Orient, il y en avait qui continuaient à inciter à la haine, à inciter à la violence, à chercher d'autres victimes. Donc je n'exagére pas quand je dis que l'intégrisme islamique est un danger pour tous.

- Un danger qui se concrétise dans de nombreux épisodes de violence qui continuent à se reproduire malgré les appels à la paix et en dépit de la volonté manifeste des gens ordinaires pour la paix. Pourquoi, selon vous?

- Sans aucun doute il s'agit d'un phénomène étrange et inexplicable. Ou peut-être trop explicable. Quand vous parlez aux gens ordinaires, dans n'importe quel pays du Moyen-Orient, on sent la sincérité de leur désir de paix, de vivre ensemble, en partageant la vie quotidienne, les mêmes problèmes, les mêmes angoisses et peines, les mêmes joies. Dans le passé, il y avait aussi des différends. Mais aujourd'hui les choses ont radicalement changé, et nous voyons ce désir d'être ensemble. Peut-être que beaucoup de choses sont indépendantes de la volonté des chrétiens et des musulmans eux-mêmes.

- Cela signifie qu'il pourrait y avoir des raisons au-dessus et à l'extérieur de la coexistence entre chrétiens et musulmans?

- Je peux répéter ce que le Pape a dit, en parlant aux politiciens et aux autres leaders religieux lorsqu'il a souligné que la foi authentique ne peut conduire à la mort. Et cela, les gens de foi le savent. Mais ils savent aussi que, comme l'a dit le Pape, «L'inaction des gens de bien ne doit pas permettre que le mal triomphe. Et ne rien faire est encore pire». Ici, ne rien faire pour empêcher que d'autres fassent «est encore pire».

- Qu'est-ce qui vous a le plus impressionné dans les discours du pape au Liban?

- J'ai été dans ce pays à plusieurs reprises: d'abord en tant que simple citoyen français, puis en tant que professeur, puis pendant de nombreuses années à la nonciature. Donc, j'ai remarqué qu'aujourd'hui qu'il y a une génération qui donne plus de confiance. Montre beaucoup d'enthousiasme et surtout la volonté de rester. Ils ont demandé de l'aide à tout le monde, y compris au pape. Je les ai entendus répéter: «Nous sommes nés ici, c'est notre terre, ici il y a nos maisons, nous voulons rester ici». J'ai été très heureux d'entendre le pape réclamer ce droit pour eux et demander aux Eglises sœurs des aides concrètes afin de leur permettre de réaliser leur souhait. Fondamentalement, je crois que ce voyage a été un grand succès, en particulier du point de vue spirituel, mais aussi marqué une feuille de route précise à parcourir pour atteindre enfin la paix. Maintenant, il appartient aux peuples du Moyen-Orient de démontrer le courage de le suivre jusqu'au bout.

(© L'Osservatore Romano, du 24 au 25 Septembre 2012)