Le Pape rappelle le non à la technocratie

Autour du discours du Pape au Conseil Pontifical Justice et paix, et d'une juste réflexion de Massimo Introvigne (5/12/2012)

Image ci-contre:
lexpansion.lexpress.fr/

     

Il y a trois jours, traduisant le discours du Saint-Père devant l'Assemblée plénière du Conseil Pontifical pour la justice et la paix (pour lequel j'avais choisi le titre: Une autorité mondiale, pourquoi, comment), je remarquais, sans plus de commentaire qu'il était à la fois "une mise au point et un recadrage" (sans préciser de quoi!), et je soulignais ce passage très important:

L'Église n'a certes pas la tâche de suggérer, en termes politiques et juridiques, la configuration concrète d'un tel ordre international, mais elle offre à ceux qui en ont la responsabilité ces principes de réflexion, critères de jugement et orientations pratiques qui peuvent en assurer le cadre anthropologique et éthique autour du bien commun (cf. Caritas in veritate , 67).
Dans la réflexion, cependant, il faut garder à l'esprit que l'on ne doit pas imaginer un super-pouvoir, concentré dans les mains de quelques-uns, qui dominerait tous les peuples, exploitant les plus faibles, mais que toute autorité doit être comprise d'abord comme une force morale, une faculté d'influencer selon la raison (cf. Pacem in Terris , 27), c'est à dire comme une autorité associée, limitée dans sa compétence et par le droit.

Massimo Introvigne consacre à ce discours son dernier billet, qu'il relie au document polémique publié en novembre dernier par le Conseil Pontifical Justice et Paix, sous la responsabilité du cardinal Turkson, «Pour une réforme du système monétaire et financier international dans la perspective d'une autorité publique de compétence universelle» (www.justpax.it/fra/)
Un document doublement polémique, en fait, sans doute à cause d'une formulation maladroite, puisqu'il s'était attiré les foudres à la fois des libéraux (l'accusant de condamner l'économie de marché et de faire la promotion de la taxe Tobin, cf. George Weigel) et des anti-mondialistes (l'accusant de défendre un pouvoir mondial), au point de susciter une mise au point du cardinal Turkson lui-même.

Je lui avais consacré à l'époque un dossier , il peut être intéressant de le relire:

     

Le Pape rappelle le non à la technocratie
Massimo Introvigne
05/12/2012
http://www.lanuovabq.it
(traduction partielle, se reporter au texte du discours du Pape)

Cela a échappé à beaucoup, mais dans un discours prononcé le 3 Décembre 2012 à la session plénière du Conseil pontifical Justice et Paix, le pape Benoît XVI est intervenu personnellement pour expliquer, clarifier et corriger un document controversé de ce dicastère.

Il s'agit du texte du 24 Octobre 2011 «Pour une réforme du système monétaire et financier international dans la perspective d'une autorité publique de compétence universelle» qui, à en croire les Vaticanistes, avait à l'époque suscité des réserves du cardinal Tarcisio Bertone lui-même, donnant naissance à la disposition qui invitait désormais tous les dicastères pontificaux à soumettre leurs documents à la secrétairerie d'Etat avant la publication (cf. chiesa.espresso.repubblica.it).

Le Pape - à la fois dans l'encyclique Caritas in Veritate et dans les discours ultérieurs - dénonce, comme l'un des grands dangers de notre temps, la technocratie, la prévalence des techniciens qui ne répondent ni aux électeurs, ni au bien commun, mais fondent leur pouvoir sur la prétention d'un savoir supérieur. Les détracteurs du document du Conseil Pontifical se sont demandés si l'autorité mondiale - dont le texte parle avec des précisions trop nombreuses, alors que la même autorité avait été évoquée dans Caritas in Veritate, dans les lignes générales, et sans détails - n'était pas susceptible de se résoudre en un énième pouvoir technocratique anonyme, qui décide en échappant au contrôle citoyen (ndt: en France, la principale polémique tournait autour de l'interprétation du document, faite hâtivement par certains, comme une condamnation de l'économie de marché et un plaidoyer pour la taxe Tobin).
(...)
Avec des mots dans lesquels on peut voir sinon une correction publique, au moins une clarification du document du Conseil pontifical, le pape Benoît XVI affirme que «L'Église n'a certes pas la tâche de suggérer, en termes politiques et juridiques, la configuration concrète d'un tel ordre international»; elle se limite à offrir un élément de réflexion général. Et «Dans la réflexion, cependant, il faut garder à l'esprit que l'on ne doit pas imaginer un super-pouvoir, concentré dans les mains de quelques-uns, qui dominerait tous les peuples, exploitant les plus faibles, mais que toute autorité doit être comprise d'abord comme une force morale, une faculté d'influencer selon la raison (cf. Pacem in Terris , 27), c'est à dire comme une autorité associée, limitée dans sa compétence et par le droit».

Le «superpouvoir» serait en effet une nouvelle manifestation de la technocratie , que l'Église n'a certainement pas l'intention de favoriser. Une autorité internationale limitée «par le droit» dans sa «compétence» sur certains sujets, et entendue davantage comme autorités «morale» que comme gouvernement pourrait au contraire contribuer à éviter des dérives dangereuses qui, en particulier dans le domaine financier, sont les racines de la crise actuelle . On peut imaginer, par exemple, qui - si elle avait existé -, il y a quelques années elle eu aurait l'autorité de mettre en garde contre les produits financiers spéculatifs vendus sur les marchés internationaux, sans vrai rapport avec l'économie réelle.

Avec cette intervention du Pape, les polémiques sur le document du 24 Octobre 2011 pourraient être closes. Tandis que continue la réflexion sur qui contrôle réellement l'économie mondiale, et quelles autorités nationales ou internationales pourraient mettre un frein aux prétentions technocratiques: en prenant toutefois bien garde à ne pas en créer de nouvelles.