L'eau du Gave et l'eau de la grâce

Une lecture à caractère "spirituel" de la crue du Gave de Pau à Lourdes. Nécessaire, car devant la catastrophe, j'ai trop souvent eu l'impression que les commentaires n'étaient pas dictés que par la sollicitude pour les victimes et les dégâts (22/10/2012)

     

Du site du Sanctuaire de Notre-Dame de Lourdes
(http://fr.lourdes-france.org/evenement/inondation-grotte-lourdes )
Samedi 20 octobre 2012, à la mi-journée dans le sanctuaire, le niveau de l'eau a littéralement submergé l'autel de la Grotte !
Des pluies diluviennes se sont abattues sur le piémont des Pyrénées.
Le bas de la ville de Lourdes et le sanctuaire ont été submergés par la crue du Gave de Pau. Dans la nuit de vendredi à samedi, le Gave est sorti de son lit et la Grotte a été inondée. L'autel de la Grotte a été littéralement submergé par les eaux ! Les portes d'entrée du sanctuaire ont été fermées jusqu'à nouvel ordre. La décrue devrait s'amorcer demain dimanche même si un nouveau pic est attendu dans la journée. Il faudra ensuite nettoyer le sanctuaire en commençant par la Grotte. .. La crue record de 1937 semble pouvoir être égalée.

* * *

J'ai trouvé cette étonnante réflexion sur le site "Un regard de la porte Saint-Anne" - http://www.daportasantanna.it/ - (rappelons que la Porte Sainte Anne est l'un des points d'entrée à l'Etat de la Cité du Vatican).
L'auteur de l'article est (à ce que j'ai compris) un jeune prêtre italien, professeur à l'Istituto Superiore di Scienze Religiose “San Luca” de Catane.
Il parle de la France. Et il interprète les "signes", qu'il n'est pas déplacé de lire dans cet évènement que la plupart des gens ne classeront que comme météorologique. Quand ils ne l'accueilleront avec les ricanements de la presse: "tiens, y'a pas eu de miracle, à Lourdes!"

     

L'eau du Gave et l'eau de la grâce
21 octobre 2012
Don Antonio Ucciardo
http://www.daportasantanna.it/2012/10/lacqua-del-gave-e-lacqua-della-grazia/
-----------------
Le 20 Octobre, la Grotte de Lourdes a été inondée. Rien d'étrange, étant donné que le Gave l'effleure. Rien d'exceptionnel, sachant que les sanctuaires peuvent s'effondrer pour des tremblements de terre, des glissements de terrain, la barbarie de l'homme.
Pourtant, ces images ont impressionné. Il semble qu'elles soient là pour évoquer quelque chose de plus grand.
Je ne sais pas si cela était arrivé durant ces 154 ans, que cette esplanade ait été envahie par les eaux. S'il était jamais arrivé que l'eau qu'avait fait couler la Dame ait été recouverte par les eaux de la rivière. Il faudrait demander à des experts dans l'histoire de Lourdes, comme René Laurentin, ou bien fouiller dans l'immense documentation que Vittorio Messori, attentif même à des nuances moins évidentes de ce lieu saint, a recueillie avec une patience de chartreux.

Nous voulons admettre, à la lumière de l'Evangile, que rien n'arrive par hasard. Nous pouvons par conséquent tenter de lire aussi cette nouvelle dans l'économie des apparitions et du message de Lourdes. Ou peut-être dans celle, plus grande, d'un pays qui a tourné le dos à Dieu. Il n'est pas le seul à l'avoir fait dans cette Europe qui est en proie à une apostasie silencieuse, mais il s'agit encore de la nation définie comme fille aînée de l'Eglise. Le Sanctuaire des Pyrénées en représente, pour ainsi dire, l'âme. En un samedi d'Octobre, le jour de la semaine dédiée à la Vierge, dans le mois spécialement consacré à la prière tant aimée de la Dame, la rivière a pris possession de ce lieu saint.

Lourdes est intimement liée à l'histoire de la sécularisation. Les phénomènes auxquels nous assistons aujourd'hui ont une histoire. Ils dérivent en grande partie de l'exaltation de la rationalité, de la présomption de pouvoir enfin tout expliquer et de pouvoir archiver définitivement le recours à la religion.
La France du positivisme a vraiment cru qu'elle avait réveillé la lampe de la raison, allumée le siècle précédent, et avait marqué une nouvelle page dans l'histoire de l'humanité, en particulier en ce qui concerne le progrès scientifique. Ce n'est pas un hasard si la Vierge a fait de ce lieu une vérirtable clinique des âmes et des corps. Beaucoup de miracles, à ce jour, représentent un défi pour les enfants de ce rationalisme. Beaucoup de conversions sont le signe de cette dimension spirituelle qui sera contrecarrée avec force aussi au siècle suivant. Beaucoup de prodiges inexpliqués, et avant tout l'acceptation sereine de la souffrance, ont abouti au pied de cette image qui lors de l'inondation, s'est découpée au-dessus de l'eau avec une éloquence inédite.

En ce sens, Lourdes représente encore aujourd'hui l'âme non seulement de la France, mais du continent tout entier.
Trop vite, peut-être, on a crié à un retour du religieux. Contre toute donnée rassurante, nous voyons des pays entiers rejeter les principes de leur culture chrétienne et éprouver l'ivresse de la laïcité, probablement échangée avec la garantie de leur liberté contre les influences de toutes sortes. Cette rivière a évoqué ce flot impétueux de nouveauté et de liberté dans notre histoire.
Justement en ces jours, la France a récupére la laïcité absolue - en vérité, jamais mise de côté - avec le retour aux principes fondateurs de la Révolution. Il faut former des citoyens, ou plutôt des hommes sans âme qui connaissent la morale de l'Etat, l'éthique qui dérive de sa propre affirmation dans cette grande maison commune. Ils n'ont besoin de rien d'autre! Hitler, dans sa folie lucide, s'était arrêté à «Gott mit uns» , Dieu est avec nous. Ici, nous en sommes à «Dieu, c'est moi» (en français dans le texte)!

Les phénomènes de sécularisation aigüe auxquels nous assistons en France ces jours-ci, ne semblent pas avoir de grande opposition en face d'eux. Je ne dis pas qu'ils trouvent partout un accueil enthousiaste, mais il est certain qu'ils n'ont pas non plus de réactions tenaces. Quelques timides signaux de force de la part de l'épiscopat, en particulier en relation avec la reconnaissance des unions homosexuelles, sont malgré tout appréciables. Il est intéressant de noter, cependant, que les évêques français nous ont demandé de prier. Lourdes est l'image même de la prière!
Si l'inondation du Gave était le signe de la colère du démon pour les prières qui commencent enfin à s'élever, nous pourrions au moins être rassurés, parce que nous serions au début d'une contre-tendance. Ce sanctuaire, dans l'Europe sécularisée, nous rappelle, à nous les catholiques, avant tout l'importance de la prière. Nous avons tout fait pour dire que nous sommes là, et que nous voulons être les bienfaiteurs de l'humanité. Sauf que très souvent, nous l'avons fait avec les discours persuasifs, avec le dialogue comme une fin en lui-même, avec une interminable série de réunions et de documents. Et nous avons pris trop au sérieux l'idée d'être les bienfaiteurs. Nous le sommes, bien sûr, mais dans le sens où il nous est rappelé que Jésus «a passé en faisant le bien et guérissant tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable» (Actes 10: 38). Le bien que nous pouvons faire, est bien autre chose que le bien que le monde attend. C'est le véritable défi qui nous est lancé. Nous avons besoin de prier, parce que seulement du recours humble et confiant à Dieu peut rayonner le bien vrai que nous devons donner.

Et si au lieu du démon, nous pensions à l'image de la grâce? La prière nous conduit à la grâce, c'est-à-dire à ce qui nous dépasse et ne vient pas de nos bonnes intentions. Au début de l'Année de la Foi, Lourdes sait nous rappeler, une fois encore, cette nécessité. Dans notre histoire actuelle, qui a si souvent la couleur de la boue du Gave, se détache toujours la blanche silhouette de la Pleine de Grâce. Nous devons être réalistes, mais pas défaitistes. Nous pouvons tout avoir à nouveau, si nous acceptons de déposer aux pieds de Dieu nos infirmités et implorons le soutien de la grâce.

Dans le Cantique des Cantiques, il est écrit que «les grandes eaux ne peuvent éteindre l'amour, ni les fleuves ne peuvent l'emporter» (Cantique 8:7).
Marie est la présence même de l'amour de Dieu dans notre histoire. Dans quelques heures, la rivière se retirera et la source donnée par la Vierge affleurera à nouveau. Il ne faut pas arrêter la source de la grâce, ni revenir à l'eau que l'homme possédait avant le don de Christ. Ce n'est pas une eau qui peut étancher la soif. Nos communautés ecclésiales et nos maisons doivent revenir à la joie de Cana, où la Mère, diligente, demande que l'eau soit changée en vin. Non, nous n'avons aucune inondation à craindre si nous sommes encore capables d'implorer le vin de la grâce et d'obéir, dans la foi, au Christ. Lourdes, comme tous les autres endroits liés à des apparitions reconnues par l'Église, est un signe que la Vierge n'a pas achevé sa mission: «Faites tout ce qu'il vous dira» (Jn 2, 5). Avec elle, nous pouvons toujours reprendre notre chemin!

Don Antonio Ucciardo